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juin 01, 2009, Par: Sarah Benbow, RN, B.Sc.inf.
RÉSUMÉ
L’injustice sociale s’entend des désavantages imposés à un groupe par des structures sociales. Les personnes atteintes d’une maladie mentale sont parmi les plus marginalisées, opprimées, dévalorisées et stigmatisées. Elles vivent toutes sortes d’injustices sociales : obstacles aux soins de santé, chômage, discrimination et difficulté à trouver et à conserver un logement adéquat. Défenseures de la santé et du mieux-être, les infirmières sont mieux que quiconque en mesure de s’attaquer à l’iniquité et à l’injustice sociales. L’auteur traite des effets de l’injustice sociale et propose aux infirmières des moyens de défendre les droits des personnes atteintes de maladie mentale.
Les infirmières ont l’obligation éthique et morale de promouvoir la santé et le mieux-être des clients, et la justice sociale en général. Elles doivent s’attaquer aux problèmes systémiques qui oppriment les groupes marginalisés : enfants, personnes âgées, handicapées, itinérantes, vivant dans la pauvreté, atteintes d’une maladie mentale ou appartenant à une minorité visible.
L’injustice sociale s’entend des désavantages imposés à des groupes par des structures sociales et empêche certaines personnes de réaliser leur plein potentiel et de satisfaire leurs besoins fondamentaux. Le traitement des personnes atteintes de maladie mentale a beaucoup progressé, mais celles-ci demeurent parmi les plus marginalisées et dévalorisées de la société. L’injustice sociale cause un cruel déni des droits moraux des malades mentaux (Johnstone, 2001, p. 200).
EFFETS DE LA STIGMATISATION
En général, la société blâme les personnes atteintes d’une maladie mentale pour leur état et n’accorde aucune attention au contexte sociopolitique qui teinte leur vécu. Les médias attisent les stéréotypes courants qui présentent ces personnes comme dangereuses, instables, malpropres et sans valeur (Wilson, Nairn, Coverdale et Panapa, 1999).
La stigmatisation sociétale touche tous les aspects de la vie et peut être catastrophique pour la santé. Overton et Medina (2008) ont établi que la stigmatisation reliée à la maladie mentale entraîne divers problèmes : discrimination, attitudes négatives, violence physique, rareté des possibilités d’emploi, insalubrité des logements et itinérance, tout en entravant l’accès aux services de santé et à leur utilisation.
Au cours d’une étude sur la stigmatisation des personnes atteintes de maladie mentale, 47 p. cent des participants se déclaraient victimes d’attaques ou de harcèlement publics (DePonte, Bird et Wright, 2000). Par ses actes, ses paroles ou son silence, la société signifie aux personnes atteintes d’une maladie mentale qu’elles ne sont bonnes à rien et ne méritent pas qu’on satisfasse leurs besoins fondamentaux (Nicki, 2001). La perte d’estime de soi, de qualité de vie et du sentiment de valeur qui en découle reflète les perceptions négatives de la société en général.
Selon Martin, Pescosolido et Tuch (2000), les préjugés envers les personnes atteintes de maladie mentale sont plus marqués lorsque l’on attribue les conséquences de la stigmatisation sociale aux lacunes d’une personne que lorsque l’on reconnait l’effet des forces sociopolitiques sur la santé.
Le taux de chômage parmi les personnes atteintes de maladie mentale est alarmant. Seulement 2 des 300 participants à une étude sur la santé mentale et le logement en Ontario occupaient un emploi à plein temps tandis qu’environ 20 % cherchaient activement du travail (Csiernik, Forchuk, Speechley et Ward-Griffin, 2007).
Au cours d’une autre étude, Tugwood, McManus, Burke et Forchuk (2007) ont analysé les problèmes d’emploi reliés à la maladie mentale. Même si les employeurs ne faisaient pas ouvertement preuve de discrimination, des stéréotypes subtils nuisibles aux pratiques d’embauche émergeaient de l’entrevue. Un participant a mentionné l’importance d’assurer la « sécurité » des clients pour justifier le rejet de candidats atteints de maladie mentale. Rarement remises en cause, de telles perceptions sont troublantes : les clients qui se remettent d’une maladie mentale n’ont pas commis de crime qui compromettrait la sécurité de tiers.
La capacité de trouver et de garder un emploi donne une raison d’être et un sentiment de réalisation, tout en améliorant les relations sociales (Buckle, 2004). Le fait d’être considéré comme inadéquat, incompétent et même dangereux à cause d’une incapacité détruit le sentiment de valeur personnelle. Une fois assimilées, les perceptions négatives anéantissent tout espoir de surmonter les problèmes.
La fin du traitement et le congé de l’hôpital ne signifient pas que les clients en psychiatrie sont au bout de leurs peines. On s’attend à ce qu’ils soient autosuffisants lorsqu’ils partent même s’ils sont souvent à peine stables et qu’un soutien communautaire adéquat fait défaut. La désinstitutionalisation cause des problèmes aux clients qui terminent un séjour prolongé et qui sont incapables de reprendre leur vie en mains.
Les personnes atteintes de problèmes de santé mentale sont surreprésentées chez les itinérants (Kim et coll., 2007), qui risquent fort de subir de multiples séquelles : maladies aigues et chroniques (Morris et Strong, 2004), violence (Miller et Du Mont, 2000), traumatismes (Stermac et Paradis, 2000) et santé mentale compromise (Tischler, Rademeyer et Vostanis, 2007). Lorsque les clients passent directement de l’hôpital psychiatrique au refuge, les progrès accomplis sont menacés. Les refuges sont surpeuplés, et les bénéficiaires sont souvent exposés au commerce de la drogue et du sexe, ou y sont même poussés (Forchuk, Russell, Kingston-MacClure, Turner et Dill, 2006).
Il ne suffit pas de disposer d’un toit. L’insalubrité du logement expose les personnes atteintes de maladie mentale et leur famille à la violence, au commerce de la drogue et du sexe et aux problèmes de santé qu’entraînent les dangers environnementaux.
Selon Thornicroft, Rose et Kassam (2007), beaucoup de professionnels de la santé croient les stéréotypes sur la maladie mentale, et les échanges négatifs qui en découlent avec les clients contribuent à la stigmatisation. De fait, des clients affirment que la stigmatisation constitue un obstacle important à l’accès aux soins de santé et aux services (Cosgrove et Flynn, 2005). Or pour chercher à obtenir des services, une personne doit accorder une certaine confiance à ceux qu’elle côtoie dans le système de santé.
QUE PEUVENT FAIRE LES INFIRMIÈRES?
Les infirmières ont l’obligation morale et professionnelle de préconiser des réformes sociales et peuvent le faire à de nombreux niveaux. À l’échelon local, les infirmières peuvent prendre des décisions proactives sur le soin des clients. Dans le domaine de la santé mentale, dès le premier contact avec un client, les infirmières doivent absolument évaluer son réseau de soutien social et communautaire. Par exemple, si le logement pose un problème, elles doivent intervenir sur-le-champ pour éviter qu’on donne congé à un patient qui aboutira dans la rue ou un refuge (Forchuk et coll., 2006). À l’échelon régional, les infirmières peuvent participer, en milieu de travail, aux travaux de comités qui examinent des questions comme les protocoles de transition et la stigmatisation que pratiquent les professionnels de la santé. À l’échelon national, les infirmières peuvent participer à des campagnes postales et d’autres manifestations politiques et sensibiliser davantage les étudiantes infirmières et le grand public aux injustices sociales.
La discrimination et la stigmatisation systémiques sont tenaces une fois enracinées. Il faut recourir aux stratégies utilisées pour transformer des attitudes négatives face aux minorités visibles (manifestation, éducation et communication) afin de changer la perception du public envers les personnes atteintes de maladie mentale (Corrigan, 1998). Les infirmières peuvent souligner les semaines de sensibilisation à la santé mentale en dénonçant énergiquement les mythes et les messages inexacts véhiculés par les médias.
Grâce à l’autoréflexion et à une prise en compte soutenue des influences sociopolitiques sur la santé, les infirmières sont bien placées pour s’assurer que leurs clients obtiennent les soins thérapeutiques et les appuis dont ils ont besoin. Les stages cliniques en santé mentale qui permettent de travailler avec des clients tant à l’hôpital qu’à l’extérieur devraient être obligatoires pour les étudiantes infirmières. Les contacts directs avec les personnes atteintes de maladie mentale et une analyse approfondie de l’injustice sociale donneront aux étudiantes une meilleure idée du problème. Les éducateurs peuvent promouvoir la compréhension de problèmes de justice sociale en en faisant le point de convergence de projets d’intervention politique.
Avant de prendre des décisions sur la réforme des politiques sociales, on doit écouter ceux qui reçoivent des soins de santé mentale, et les infirmières doivent exercer des pressions en ce sens. Ces voix sont vitales dans les discussions visant l’amélioration du système. On peut sensibiliser les gouvernements aux injustices existantes et aux réformes nécessaires en attirant l’attention des politiciens et des décideurs sur la recherche infirmière en cours sur la justice sociale et la maladie mentale. Les infirmières et leurs organisations peuvent, seules ou en collaboration, exercer des pressions pour qu’on abolisse les politiques sociales injustes et pour qu’on augmente les ressources et les services affectés aux clients qui reçoivent des soins de santé mentale.
RÉFÉRENCES
Buckle, D. (2004). Social outcomes of employment: the experience of people with mental ill health ». A Life in the Day, 8(2), 17-22.
Corrigan, P. W. (1998). « The impact of stigma on severe mental illness ». Cognitive and Behavioral Practice, 5(2), 201-222.
Cosgrove, L. et Flynn, C. (2005). « Marginalized mothers: Parenting without a home ». Analyses of Social Issues and Public Policy, 5(1), 127-143.
Csiernik, R., Forchuk, C., Speechley, M. et Ward-Griffin, C. (2007). « De “myth” ifying mental health: Findings from a Community University Research Alliance (CURA) ». Critical Social Work, 8(1).
DePonte, P., Bird, L. et Wright, S. (2000). Pull yourself together! A survey of the stigma and discrimination faced by people who experience mental distress. London : Fondation de la santé mentale.
Forchuk, C., Russell, G., Kingston-MacClure, S., Turner, K. et Dill, S. (2006). « From psychiatric ward to the streets and shelters ». Journal of Psychiatric and Mental Health Nursing, 13(3), 301-308.
Johnstone, M. J. (2001). « Stigma, social justice and the rights of the mentally ill: Challenging the status quo ». Australian and New Zealand Journal of Mental Health Nursing, 10(4), 200-209.
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Martin, J. K., Pescosolido, B. A. et Tuch, S. A. (2000). « Of fear and loathing: the role of “disturbing behavior”, labels and causal attributions in shaping public attitudes toward people with mental illness ». Journal of Health and Social Behavior, 41(2), 208-223.
Miller, K. et Du Mont, J. (2000). « Countless abused women: homeless and inadequately housed ». Les cahiers de la femme, 20(3), 115-122.
Morris, R. I. et Strong, L. (2004). « The impact of homelessness on the health of families ». Journal of School Nursing, 20(4), 221-227.
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Tugwood, V., McManus, D., Burke, S. et Forchuk, C. (2007). Learning from employers: Employment issues related to mental illness and housing. Manuscrit non publié.
Wilson, C., Nairn, R., Coverdale, J. et Panapa, A. (1999). « Mental illness depictions in prime-time drama: Identifying the discursive resources ». Australian and New Zealand Journal of Psychiatry, 33(2), 232-239.
Sarah Benbow, RN, B.Sc.inf., est une infirmière en santé mentale au London Health Sciences Centre, et un étudiant à la maîtrise en sciences infirmières de l'Université de Western Ontario, London, Ontario.
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