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juin 01, 2014, Par: Francoise Mathieu
Q. Mon travail est très stressant en ce moment, et ce stress me suit à la maison. Je veux comprendre ce que je vis. Quels sont les effets de l’usure de compassion, du traumatisme par personne interposée et de l’épuisement professionnel?
R. Quand j’ai commencé à travailler en soins de santé, on ne se souciait guère du bien-être des praticiens et je n’en savais pas grand-chose. Après avoir travaillé quelques années comme conseillère en intervention d’urgence avec des clients en situations fortement traumatiques, mon rapport au travail a changé : j’avais moins d’empathie, mes collègues m’irritaient davantage et j’étais constamment en colère au sujet des réductions budgétaires et du manque de ressources. J’étais souvent fatiguée et impatiente à la maison. Ces changements subtils et progressifs ne me ressemblaient pas. Comme je savais que j’adorais mon travail, il a fallu que j’apprenne à prendre soin de moi-même pour redevenir l’aidante professionnelle que je voulais être.
J’ai commencé à me documenter sur l’épuisement professionnel et les autres formes d’épuisement lié au travail, et en lisant et en en parlant, j’ai découvert que le problème était de plus en plus fréquent dans notre domaine. Depuis que je suis devenue éducatrice en usure de compassion, j’ai parlé avec toutes sortes de professionnels de l’aide : personnel infirmier, médecins, travailleurs sociaux, agents de police. Je vois un système qui se dégrade : charges de travail accrues, taux croissants de congés maladie, ressources qui diminuent. Pas étonnant que beaucoup de professionnels des soins de santé se sentent débordés.
L’usure de compassion désigne l’épuisement émotionnel et physique profond que peuvent ressentir les professionnels des soins de santé au cours de leur carrière, quand ils ne parviennent pas à recharger leurs batteries et à se revitaliser. Ils remarquent parfois qu’ils supportent plus difficilement les émotions fortes de leurs patients, leurs collègues et leurs proches ou les histoires dérangeantes. Avec le temps, il arrive qu’ils deviennent plus détachés et n’arrivent plus à établir une connexion avec les patients. Des chercheurs ont découvert que l’usure de compassion est une conséquence normale du travail en milieu très stressant, avec une charge de travail importante, comme dans des hôpitaux très achalandés, où le personnel doit traiter beaucoup de cas et manque de temps pour faire le point et reprendre ses esprits. Voir trop de patients avec des problèmes similaires peut aussi causer l’usure de compassion. Le personnel soignant peut devenir insensible, comme engourdi, et les soins offerts peuvent s’en ressentir.
Les termes stress traumatique secondaire et traumatisme par personne interposée ont été créés par des chercheurs qui avaient remarqué que, dans les professions axées sur l’aide, le personnel était souvent profondément affecté par son exposition à des traumatismes indirects. Des symptômes de stress post-traumatique peuvent apparaître chez des membres du personnel, même s’ils n’ont pas été en danger ou dans la ligne de tir eux-mêmes. Ils disent avoir des visions dérangeantes et des cauchemars et être profondément et durablement préoccupés par les récits de leurs clients. Avec le temps, il arrive qu’ils aient un traumatisme par personne interposée, qu’ils ne voient plus le monde de la même façon : une histoire épouvantable (ou des milliers) peut être gravée dans leur âme au point de modifier leur sentiment de sécurité et d’accroître leur angoisse ou leur peur de certaines situations. J’ai récemment travaillé avec un groupe d’infirmières et d’infirmiers qui m’ont dit que, pour beaucoup d’entre eux, toutes les motocyclettes sont des « donneurcyclettes ». Ils ont vu tellement de victimes d’accident avec des traumatismes crâniens qu’ils ne pensent plus que circuler en moto est sûr. Le traumatisme par personne interposée entraîne une perte de l’innocence et interfère avec la capacité de profiter de la vie et de tisser des liens, au quotidien.
L’épuisement professionnel désigne l’épuisement et le détachement que peuvent ressentir les employés quand ils se sentent impuissants et débordés. Le stress de leur situation en est souvent la cause : des charges de travail ingérables, un salaire insuffisant, des attentes déraisonnables, le manque d’occasions de donner son avis, des horaires rigides ou des gestionnaires toxiques ou qui les maltraitent. Personne n’est à l’abri de l’épuisement professionnel, qu’il travaille dans un restaurant, chez un agent immobilier, dans une salle de classe, en usine ou ailleurs.
Bien sûr, le personnel soignant peut connaître les trois problèmes : l’usure de compassion pour avoir eu trop de patients, le stress traumatique secondaire en raison des histoires qu’il entend et l’épuisement professionnel causé par un milieu de travail malsain. Dans la réalité, les différences entre les trois sont parfois floues.
Des recherches récentes ont montré que le plus efficace pour réduire les risques est d’apporter des changements systémiques et organisationnels en diminuant les charges de travail, en augmentant le contrôle qu’a le personnel sur ses horaires, en créant des équipes solidaires, en limitant l’exposition aux traumatismes et en offrant une formation complémentaire.
Renforcer la résilience
Voici quelques stratégies susceptibles de vous aider à faire front :
- Constituez-vous un réseau de soutien, si vous n’en avez pas encore : prenez le temps de rencontrer régulièrement les membres de votre réseau.
- Après un événement critique, demandez à en parler au travail, lorsque nécessaire. Si ce n’est pas possible, tournez-vous vers un thérapeute ou vers votre programme d’aide aux employés.
- Trouvez de meilleures façons de vous détendre : à la fin d’une longue journée, un verre de pinot, un plat de croustilles ou la télécommande peuvent sembler attrayants. Avec modération, rien de tout cela n’est un problème, mais utilisés régulièrement pour atténuer l’effet du stress, ces moyens peuvent devenir des béquilles et même causer une dépendance grave. Allez plutôt courir ou marcher, jouez avec votre animal de compagnie, écrivez dans votre journal, faites du yoga, méditez, ou passez du temps avec des enfants – les vôtres ou ceux de quelqu’un d’autre.
- Pratiquez la réduction du stress par la pleine conscience : essayez d’en faire 3 minutes par jour et augmentez progressivement jusqu’à 10 ou 12 minutes.
- Réduisez vos sources de stress : réfléchissez à la quantité de contenu traumatique auquel vous êtes exposé en regardant les nouvelles ou vos émissions préférées et quand vous lisez par plaisir.
- Demandez une réduction de votre charge de travail et davantage de contrôle sur votre emploi du temps.
Mathieu, F. The Compassion Fatigue Workbook: Creative Tools for Transforming Compassion Fatigue and Vicarious Traumatization, New York, Routledge, 2012.
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