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Apprendre à utiliser un DSE : récits d’infirmières et d’infirmiers

  
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L’importance du savoir-faire infirmier pour l’intégration des DSE dans la pratique

juin 01, 2015, Par: Karen E. Furlong, INF. AUT., M. SC.INF., Ph.D.
nurse looking at health records of patient laying in bed
Teckles Photography Inc.

Comprendre l’ampleur et l’intensité de l’apprentissage que nécessitent les dossiers de santé électroniques (DSE) est essentiel si l’on veut favoriser leur intégration dans la pratique. Cette intégration étant une tâche complexe pour laquelle les utilisateurs doivent être motivés, il m’a paru important d’étudier comment le personnel infirmier apprend à utiliser un DSE. Mon intérêt pour ce domaine de recherche découlait aussi de mon expérience de formatrice auprès de professionnels de soins de santé en vue de la mise en place de DSE il y a un peu plus de cinq ans. On trouvera dans cet article les principales conclusions et implications d’une étude réalisée dans le cadre de mes études de doctorat.

Un DSE est un système numérique qui fournit un portrait longitudinal des antécédents médicaux et des plans de soins d’une personne : des données spécifiques sont tirées de divers systèmes d’information clinique. Le personnel infirmier s’en sert généralement pour vérifier ce qui a été prescrit, les résultats diagnostiques, les notes dictées et les rapports de consultation, et pour documenter les soins ; l’administration de médicaments, par exemple.

J’ai réalisé mon étude dans un grand hôpital de soins tertiaires situé dans les Maritimes, dont les professionnels des soins de santé utilisaient des dossiers électroniques de patients depuis près de 25 ans. Le nouveau système de DSE de l’hôpital comportait des fonctionnalités avancées, comme des soutiens aux décisions cliniques et une meilleure interopérabilité. Si le lancement a sans doute été l’une des expériences les plus passionnantes – bien qu’intimidantes – de ma carrière, les six mois que j’ai passés à préparer les membres de l’équipe de soins pour ce lancement m’ont laissé les souvenirs les plus marquants. Ma conception de la façon dont les infirmières et infirmiers apprennent à utiliser un DSE reposait à l’époque sur des hypothèses assez superficielles qui ne reflétaient pas toujours avec exactitude ce qui se passait vraiment. Je pensais qu’il manquait aux formateurs un élément important de l’apprentissage que je ne savais pas expliquer.

Avant de commencer la collecte de données, j’ai obtenu le feu vert des comités d’éthique de la recherche de l’Université du Nouveau-Brunswick (UNB), campus de Fredericton, et du Réseau de santé Horizon. La collecte de données s’est faite en 2 étapes sur une période de 12 mois, au moyen de groupes de discussion (première étape) et d’entretiens libres (deuxième étape). J’ai invité des membres du personnel infirmier qui étaient présents lors de la mise en œuvre initiale des DSE, et qui travaillaient maintenant dans diverses unités de l’hôpital.

Les transcriptions des entrevues ont été ma première source de données. J’ai demandé aux infirmières et infirmiers de me raconter leur apprentissage des DSE. Sur les neuf personnes interviewées, il y avait un seul homme, et la majorité des participants occupaient des postes à temps complet. Les participants avaient entre 3 et 36 années d’expérience, et la plupart d’entre eux avaient entre 30 et 50 ans. Les plus jeunes et ceux d’âge moyen se disaient généralement à l’aise avec la technologie; les plus âgés exprimaient souvent peu d’intérêt pour l’utilisation de la technologie en dehors du travail. L’emploi de tous les participants exigeait l’utilisation des DSE. Tous faisaient partie d’une équipe interdisciplinaire engagée à fournir des soins infirmiers sûrs et complets.

Méthodologie

Mon but n’était pas de parvenir à une description ou un résumé. En analysant les propos révélateurs des participants, j’ai pu étudier la façon dont ils percevaient leur expérience d’apprentissage et présenter ces points de vue sous forme de récits composites. En réalité, ces infirmières et infirmiers trouvaient un sens à leur apprentissage en racontant leur expérience.

Je leur ai expliqué que le but de mon étude n’était pas de faire une évaluation – il n’y avait pas de bonnes et de mauvaises réponses –, mais plutôt de leur fournir des occasions de me raconter leur expérience d’apprentissage des DSE. Les participants savaient que je les considérais, eux, comme les experts en la matière. Plusieurs m’ont confié que leur participation à l’étude leur a permis de pousser la réflexion sur l’expérience et de comprendre certaines choses.

Les participants et moi avons utilisé une approche collaborative et itérative, dont ont émergé trois récits composites qui nous paraissaient justes à tous. Le cadre de l’analyse permettait de tenir compte du contexte et respectait les interprétations des participants.

Résultats

J’ai compris pendant cette étude que le personnel infirmier n’est pas toujours certain de ce qui se passe dans la profession et de la place qu’y occupe (ou non) la technologie. Les participants m’ont raconté leur difficulté à gérer leur apprentissage étant donné diverses contraintes au travail, en particulier le manque de temps. Par ailleurs, ont-ils expliqué, l’apprentissage structuré et les mécanismes d’évaluation après le lancement ont été limités, voire inexistants.

Il était évident qu’ils voulaient sincèrement apprendre ce qu’ils devaient savoir. Apprendre à utiliser les DSE faisait partie de leurs obligations, mais rien ne semblait indiquer que cette directive organisationnelle leur faisait peur. Leur professionnalisme les motivait : ils voulaient apprendre. Néanmoins, l’une des conclusions principales de mon étude est que le personnel infirmier n’est peut-être pas bien préparé à exercer dans des milieux de travail où la technologie occupe une place importante.

Les compétences en soins infirmiers doivent inclure l’informatique à titre de connaissance fondamentale. Cela ressort clairement des récits des participants. Bien qu’ils les aient situées dans le contexte de la prestation de soins, mettant uniformément la sécurité des patients au premier plan lorsqu’il est question d’accéder à un DSE et de l’utiliser, ils ont peu parlé de la nécessité de réévaluer leur compétence en soins infirmiers. Je reviendrai plus en détail sur ce concept avec un extrait de l’un des récits composites. J’encourage les lecteurs à se plonger dans ce récit pour réfléchir à la façon dont l’intégration de la technologie transforme les soins infirmiers. Pourquoi les participants à cette étude n’ont-ils pas, généralement, réfléchi à la raison d’être des DSE, au-delà de leur utilisation au chevet des patients? Il semble possible que la formation prélancement, qui portait exclusivement sur les aspects techniques, ait joué un rôle dans cette tournure d’esprit.

D’après l’Association canadienne des écoles de sciences infirmières (ACESI) (2012), la formation est l’élément le plus important pour que le personnel infirmier et les futurs membres de la profession apprennent à intégrer la technologie. Cette formation devrait aider le personnel infirmier à comprendre comment les DSE s’inscrivent dans la conception plus vaste des soins de santé, et dépasser leur simple utilisation au quotidien. De plus, dans les discussions sur les compétences infirmières, l’esprit critique, la pratique reposant sur des données probantes et la compétence technique sont souvent cités comme des exigences distinctes pour la pratique de la profession infirmière au 21e siècle (ACESI, 2010). Il est ironique que plusieurs composantes de la discipline soient imbriquées dans la définition de l’informatique infirmière et que, malgré cela, nous ne soyons pas parvenus à faire passer le même message dans la définition des soins infirmiers en tant que profession. Il est grand temps de combiner ces diverses composantes pour qu’il soit clair que l’une ne va pas sans l’autre. Le personnel infirmier doit considérer les connaissances en informatique et la maîtrise de l’information comme des éléments des compétences infirmières et non comme des compétences à part.

L’extrait de ce récit composite est authentique : il repose sur les données et présente de nouvelles façons de réfléchir à ce qu’ont vécu les infirmières et infirmiers lorsqu’ils ont appris à utiliser les DSE. Le récit est raconté du point de vue d’un personnage composite, une infirmière appelée Angela Johnson. J’ai décidé de créer un personnage composite alors que j’analysais les données des entrevues, en voyant comment les histoires étaient racontées. Les participants parlaient rarement à la première personne du singulier, préférant le « nous » et décrivant l’apprentissage collectif du groupe. La majorité d’entre eux ont lu ce récit plusieurs fois et ont participé à son amélioration itérative.

Implications pour la pratique et recommandations

Au début de mon étude, je pensais que les infirmières et infirmiers me raconteraient des anecdotes sur leur formation à l’utilisation des DSE. Puis j’ai compris qu’il fallait tenir compte de l’ensemble de leur monde. Leurs récits remettent en question la tendance générale à exagérer les pouvoirs de la technologie.

Dans les entretiens, les participants ont souvent insisté sur ce qu’ils avaient appris sur les DSE tout en prenant soin des patients; ils parlaient surtout des ajustements de leur façon de penser le flux de travail. La rapidité avec laquelle les choses se passent en contexte hospitalier influence inévitablement l’apprentissage : les participants se souviennent surtout des incidents graves et stressants, où il fallait absolument faire vite.

Il faut donc sensibiliser le personnel infirmier aux façons sécuritaires de mettre un système de DSE en place. Il doit comprendre qu’il faudra parfois modifier les flux de travail habituels et apprendre quoi faire en cas de mauvais fonctionnement. Il est important de comprendre que des incidents critiques sont inévitablement partie intégrante de l’apprentissage, à tel point qu’ils devraient être simulés pendant la formation préalable au lancement.

Les infirmières et infirmiers qui ont participé à mon étude ne semblaient pas conscients de l’ampleur de leurs responsabilités liées à l’exercice de leur profession quand ils travaillent avec diverses applications aux points de service. S’ils rapportaient systématiquement les problèmes de fonctionnalité des DSE et demandaient de l’aide quand ils avaient des doutes, ils semblaient utiliser les DSE sans vraiment savoir si leur façon de procéder était dans la lignée des objectifs organisationnels. Ils n’auraient pas su dire si ces objectifs avaient changé avec l’arrivée du nouveau système. On a du mal à concevoir qu’un système de DSE puisse être mis en place sans que les utilisateurs comprennent comment il est sensé changer – et, on l’espère, améliorer – les practiques de prestation de soins. Pourtant c’est ce qui s’est passé ici.

Toute critique de l’infrastructure de gestion du savoir dépassait le champ de cette étude. Toutefois, la vision limitée qu’a le personnel infirmier des avantages potentiels des DSE dans le domaine plus général de la prestation des soins n’est pas nouvelle. Hollander, Corbett et Pallan (2010) citent en effet des interrogations semblables. Le manque de connaissance des avantages potentiels des DSE est inquiétant; selon Gill, Leonard et Jonker (2010), ne pas les connaître risque de compromettre les résultats de la mise en place de ce type de système.

À l’avenir, il faut que la base de connaissances du personnel infirmier inclue les compétences en informatique, requises pour accéder à la pratique, comme défini par l’ACESI (2012). En fait, ces compétences font partie des normes d’agrément pour les programmes de premier cycle en sciences infirmières. Les connaissances infirmières sont déterminantes pour la sécurité de l’accès aux diverses technologies des soins de santé et de leur utilisation.

Cette étude montre les craintes du personnel infirmier de perdre l’élément humain de sa profession sous l’effet de l’intégration de la technologie. Les récits des participants portent à croire que cette peur peut être soulagée si on aide les infirmières et les infirmiers à comprendre l’importance de leur savoir et de leur esprit critique dans l’utilisation d’un DSE.


Karen E. Furlong, INF. AUT., M. SC.INF., Ph.D., est professeure associée principale en Sciences infirmières et sciences de la santé, au campus de Saint John de l’université du Nouveau-Brunswick et bénéficiaire du soutien du programme de partenariats régionaux des instituts de recherche en Santé du Canada. Elle est membre du réseau de pairs en santé numérique du corps professoral des sciences infirmières de l’Association Canadienne des écoles de sciences infirmières, présidente désignée du groupe d’informatique infirmière du Nouveau-Brunswick et présidente désignée de la Canadian Nursing Informatics Association.

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