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Croissance professionnelle : les enjeux et les possibilités pour ceux qui fournissent des soins de fin de vie
nov. 06, 2015, Par: Janet Storch, inf. aut., B.Sc.inf., MHSA, Ph.D., D.Sc. (Hon., Ryerson), LLD (Hon., UWO)
Voici le dernier article de notre série en trois parties sur les enjeux déontologiques de la fin de vie. Dans le premier, il était question d’une personne capable à l’approche d’une mort naturelle. Dans le deuxième, nous avons examiné des situations où le patient était manifestement incapable et où la famille voulait, dans l’un des cas, que les soins continuent et, dans l’autre, qu’ils cessent. Ce troisième article présente deux scénarios où une personne capable souhaite une aide médicale à mourir.
En cause : Mettre en question le statu quo
Maurice, médecin, souffrait d’un cancer du cerveau en phase terminale. Dans les dernières semaines de sa vie, Maurice était paralysé, avait du mal à respirer et perdait la vue et l’ouïe; ses fonctions corporelles échappaient déjà à son contrôle. Il dépendait complètement de sa famille et du personnel infirmier. Quelques jours avant sa mort, dans une vidéo, il demandait publiquement la légalisation de l’aide médicale à mourir au Canada. Il implorait les médecins qui s’y opposaient de comprendre sa souffrance et de songer qu’ils changeraient peut-être d’avis s’ils devaient prendre sa place pendant 24 heures. Il déplorait le fait d’avoir perdu le contrôle de sa vie et de ne pouvoir légalement y mettre fin.
Résumé des aspects juridiques et déontologiques
Ce scénario illustre de façon poignante combien peut être douloureux le sentiment d’avoir perdu toute autodétermination en raison d’une maladie terminale. Le concept d’autodétermination a été abordé dans le premier article de notre série (numéro de septembre 2015); il y était question d’Amalia qui, comme Maurice, souhaitait mourir dignement, sans souffrir. Si les soins palliatifs étaient la solution pour elle, ils n’étaient pas suffisants pour Maurice, le déclin de son état entraînant des souffrances insupportables.
Ce scénario repose en partie sur le cas du Dr Donald Low, un médecin qui avait retenu l’attention des médias nationaux pour sa gestion de l’épidémie de SRAS à Toronto en 2003. Le Dr Low est mort en 2013, avant la décision de la Cour suprême dans l’affaire Carter c. Canada (Procureur général) sur l’aide médicale à mourir. Sa souffrance et son plaidoyer pour qu’on l’aide à mourir dignement étaient difficiles à ignorer et ont fait réfléchir ceux qui n’avaient pas vraiment l’expérience des difficultés entourant la fin de vie et la mort. Il s’est fait le porte-voix de ceux qui souffrent à l’approche de la mort. Sa situation a également illustré la fragilité que ressentent les patients.
Ce que peut faire le personnel infirmier
Le Code de déontologie pour les infirmières et les infirmiers de l’AIIC (2008) guide le travail du personnel auprès des patients de façon à « maintenir leur dignité et leur intégrité » (p. 13). Ce soutien est particulièrement important en fin de vie. Lorsqu’un patient est en phase terminale ou mourant, « les infirmières favorisent son confort, allègent ses souffrances, préconisent le soulagement adéquat de l’inconfort et de la douleur, et assurent une atmosphère digne et paisible lorsque la fin arrive » (2008, p. 14).
Résumé des aspects juridiques et déontologiques
Ce deuxième scénario inclut certains éléments de l’affaire Carter, qui concernait deux femmes atteintes de maladies incurables et évolutives. Gloria Taylor, atteinte de SLA, et Kay Carter, souffrant de sténose spinale à un stade avancé, ont contesté la constitutionnalité de l’alinéa 241(b) du Code criminel. Le jugement de la Cour a permis de modifier la loi comme l’espérait Rashida : il a autorisé l’aide d’un médecin pour mourir pour « une personne adulte capable qui (1) consent clairement à mettre fin à sa vie; et qui (2) est affectée de problèmes de santé graves et irrémédiables (y compris une affection, une maladie ou un handicap) lui causant des souffrances persistantes qui lui sont intolérables au regard de sa condition » (Carter c. Canada, 2015).
En cause : Se renseigner sur l’aide médicale à mourir
Rashida désespère de savoir que d’ici quelques mois, elle peut s’attendre au syndrome de verrouillage typique chez les patients atteints de sclérose latérale amyotrophique (SLA). Elle a souvent exprimé le souhait que quelqu’un l’aide à mettre fin à sa vie lorsque celle-ci lui deviendra insupportable. Elle a suivi l’affaire Carter avec grand intérêt, espérant que la décision de la Cour suprême l’aiderait. Son infirmier de soins à domicile, Rolf, n’est pas sûr de ce qu’il devrait dire à Rashida et de la façon dont il peut le mieux l’aider. Il sait qu’il doit éviter soigneusement de couper le dialogue, mais il comprend aussi qu’il faudra du temps avant que les modifications du Code criminel découlant de l’affaire Carter entrent en vigueur.
Ce que peut faire le personnel infirmier
Les infirmières et les infirmiers doivent bien réfléchir aux façons d’être attentifs aux patients capables qui expriment leur désir qu’on les aide à mourir et aux manières de leur répondre. Dans ce scénario, Rolf pourrait examiner les raisons du souhait qu’exprime Rashida. Quelles sont ses motivations : peur de souffrir, d’être abandonnée ou autre? Rolf pourrait ensuite voir avec Rashida comment remédier aux craintes qu’elle exprime. Rolf doit faire en sorte que le dialogue se poursuive afin que Rashida ait quelqu’un à qui parler, et il doit veiller à ce que d’autres membres de l’équipe ― psychologue, travailleur social, aumônier ou autre ― soient également là pour elle.
Rolf doit soigneusement documenter toutes ses discussions avec Rashida, les membres de sa famille et les autres membres de l’équipe de soins sur les enjeux de fin de vie et ses inquiétudes à ce sujet. Mais il doit aussi impérativement protéger la vie privée de Rashida et la confidentialité des informations qui la concernent (AIIC, 2008, p. 15). Rolf doit comprendre la loi, les normes de pratique élaborées par l’organisme de réglementation de sa province ou de son territoire et toutes les politiques de son lieu de travail en matière de soins de fin de vie, dans leur état actuel et comme ils pourraient évoluer. Les revues professionnelles et les reportages dans les médias aideront Rolf à se tenir au courant des nouveaux enjeux qui ont trait à l’aide médicale à mourir. Il devra cependant évaluer ces derniers avec un esprit critique.
Le Québec a adopté une loi permettant l’aide médicale à mourir dans des cas précis, et d’autres provinces et territoires pourraient lui emboîter le pas prochainement. Pour le milieu infirmier, dont fait partie Rolf, le temps est venu de participer aux discussions avec les décideurs et de s’exprimer dans les forums et consultations publics sur ce type de législation.
Les infirmières et infirmiers peuvent apporter leurs connaissances et leur expérience dans ce domaine en participant à des initiatives professionnelles visant à préparer la profession à apporter une aide médicale à mourir. Ils pourraient par exemple offrir leur contribution à leur organisme de réglementation provincial ou territorial afin de participer à l’élaboration de normes professionnelles. Ils pourraient aussi vérifier auprès de leur employeur s’il existe un comité qui a pour rôle d’élaborer des politiques ou des lignes directrices sur la question et y entrer, ou en créer un au besoin. Il est évidemment important de provoquer des discussions au sein du milieu infirmier et avec les autres fournisseurs de soins de santé et de donner l’exemple en utilisant un langage neutre adapté pour les discussions et les débats, comme le mentionnait le deuxième article de cette série. Ainsi, on favorisera un dialogue rationnel en parlant plutôt d’aide médicale à mourir (terme utilisé dans l’arrêt Carter) que d’euthanasie ou de suicide assisté.
Au moment de mettre sous presse, des consultations gouvernementales sont en cours aux niveaux fédéral et provincial-territorial pour préparer la mise en application de l’arrêt Carter, qui doit entrer en vigueur en février 2016. En attendant qu’émergent de nouvelles informations et directives, les infirmières et infirmiers pourront consulter le code de déontologie, où ils trouveront de précieux enseignements.
Les scénarios présentés dans les trois articles de cette série illustrent les situations particulières de patients en fin de vie et les aspects déontologiques et juridiques qui s’y rapportent et dont il faut tenir compte. Nous espérons que ces articles serviront de point de départ à des conversations utiles et aideront à mieux comprendre ces situations.
Remerciements
L’auteure remercie Laurie Sourani, B.A., LL.B., analyste des politiques à l’AIIC, pour son aide lors de la préparation de cet article.
Références
Association des infirmières et des infirmiers du Canada. Code de déontologie pour les infirmières et les infirmiers, Ottawa, AIIC, 2008.
Carter c. Canada (Procureur général), 2015 SCC 5.
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 241.
Lisez Respect des choix en matière de soins de fin de vie [PDF, 542,8 Ko], l’article de recherche de Janet Storch sur lequel se base cette série.
Janet Storch, inf. aut., B.Sc.inf., MHSA, Ph.D., D.Sc. (Hon., Ryerson), LLD (Hon., UWO), est professeur émérite de l’école de sciences infirmières à l’Université de Victoria.
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