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Une erreur sur la personne aide Marilyn Bell à établir un contact avec les résidents d’un centre de soins de longue durée
nov. 07, 2016, Par: Marilyn Bell, B. Sc.inf., inf. aut.
Ces 35 dernières années, je n’ai pas beaucoup pensé à mon nom. Enfant, je regrettais parfois qu’on ne m’ait pas donné un nom plus dramatique et original. Pour mes amis d’alors, mon nom ne voulait pas dire grand-chose, mais pour nos grands-parents, oui! À l’époque, les adultes le relevaient toujours : « Oh... Marilyn Bell! C’est bien toi qui as traversé le lac Ontario à la nage? » Tout le monde riait, et moi je souriais, gênée. J’ai su très tôt qui était Marilyn Bell, une légende canadienne, parce qu’on m’en a parlé un million de fois. Mais mes amis ne le savaient pas, et j’étais toujours gênée quand on braquait les projecteurs sur moi à cause de mon nom. Plus grande, je m’en sortais avec des réponses que je trouvais spirituelles : « En effet, c’était moi. Je ne fais pas mon âge, vous ne trouvez pas? » ou « Oui, mais ça fait longtemps que j’ai pris ma retraite ». Je me suis habituée à ces échanges de plaisanteries insignifiantes.
Aujourd’hui, je suis infirmière gestionnaire dans un centre de soins de longue durée où je fournis des soins à nos 110 résidents. Ils ont entre 60 ans et 100 ans ou plus. Quand de nouveaux résidents me rencontrent pour la première fois et lisent mon nom sur mon badge, ils me posent inévitablement la question d’autrefois. Sauf que maintenant, je n’en profite pas pour faire de l’esprit, car l’expérience m’a enseigné que c’est une occasion pour eux de se replonger avec plaisir dans le passé.
Presque tous les résidents se souviennent de Marilyn Bell et ont une histoire à raconter sur sa traversée épuisante du lac Ontario en 21 heures. C’était un exploit, surtout pour une fille de 16 ans. Ils se rappellent où ils étaient quand ils ont entendu parler d’elle pour la première fois, ce qu’ils faisaient quand elle a atteint Toronto et ce qu’ils ont ressenti quand elle est sortie de l’eau le 8 septembre 1954. Leurs souvenirs de ce jour-là sont aussi clairs que ceux associés à l’assassinat de Kennedy ou à la mort d’Elvis. Mon nom déclenche des souvenirs agréables d’un moment de fierté dans l’histoire du Canada. C’est un moment auquel ils peuvent repenser, et une occasion pour eux et pour moi d’établir une connexion, de nous souvenir et d’entamer une relation thérapeutique.
Les résidents de l’unité de soins pour problèmes de mémoire ont des réactions encore plus intéressantes. Atteints de démence plus ou moins avancée, ils ont besoin d’un soutien infirmier accru. Certains ne reconnaissent plus les membres de leur famille, ont oublié les gestes les plus simples et ont besoin d’aide pour manger, boire et s’habiller. Mais, de temps en temps, je découvre que quelques-uns d’entre eux se souviennent de Marilyn Bell. Quand ils lisent mon nom sur mon badge ou me l’entendent dire, ils me voient tout de suite comme ma célèbre homonyme. Pour eux, je suis la Marilyn Bell.
Notre règle d’or pour les soins aux patients atteints de démence est de ne pas discuter. Si je leur disais la vérité sur Marilyn Bell, cela ne servirait qu’à les contrarier et à semer la confusion. Certains patients m’ont posé des questions très précises sur la traversée et attendaient des réponses. Les leur refuser aurait été cruel. J’admets donc avoir joué le jeu et leur avoir raconté combien ça avait été difficile, comme j’avais souffert du froid et de la fatigue, comme j’étais fière d’avoir marqué l’histoire du sport au Canada. Leur excitation est visible dans leurs yeux quand ils entendent l’histoire réelle et revivent cette journée inoubliable. Mon récit confirme leurs souvenirs, leur donne le contrôle du moment et suscite en eux une fierté et une joie manifestes.
Je reconnais maintenant que je n’aurai pu souhaiter meilleur nom pour travailler en soins de longue durée. En fait, j’en suis reconnaissante, car m’appeler ainsi me permet d’établir un contact à partir duquel je peux nouer un lien. Je pense alors aux gens de ma génération et à mon avenir et je me rends compte que je dois exploiter cette connexion tant que c’est possible. Les exploits de Marilyn Bell seront oubliés d’ici peu. Quand j’entrerai à mon tour en centre de soins de longue durée, on aura oublié qui c’était.
Les souvenirs subsistent dans la mémoire de nos résidents, c’est à nous de trouver comment les aider à puiser dans les meilleurs. Pour qui ne porte pas un nom connu, il suffit de creuser un peu plus profondément. Ce n’est pas impossible. Cela devient un défi, un peu comme la célèbre traversée de Marilyn Bell. Commencez par vous plonger dans les vastes eaux inconnues de la vie du résident. Puis nagez dans son passé et son présent, prenant les vagues, repérant les points hauts et les points bas, sans vous soucier du prix que vous aurez à payer physiquement, mentalement ou émotionnellement. Il ne faut pas abandonner, alors faites du sur-place si nécessaire, jusqu’à ce que vous puissiez entrevoir la côte au loin. Tenez bon, respirez à fond et luttez contre le courant. Les vagues vous propulseront, la traversée deviendra plus facile et, en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, vous atteindrez la rive. Vous aurez accédé à un instant privilégié dans la vie de cette personne, un moment dont vous vous souviendrez, et vous vous en réjouirez.
Marilyn Bell, B. Sc.inf., inf. aut., travaille dans un centre de soins de longue durée à Parry Sound (Ont.). Elle adore l’eau et est un jour parvenue à traverser à la nage un lac qui était loin de faire la taille du lac Ontario.
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