https://www.canadian-nurse.com/blogs/cn-content/2017/07/03/reconsidering-nursings-history-during-canada-150
Les soignants autochtones : reconsidérer les traditions infirmières
juil. 03, 2017, Par: Lydia Wytenbroek, M.A., B.A., B.Sc.inf., inf. aut. , Helen Vandenberg, Ph.D., inf. aut.
Cette année marque le 150e anniversaire de la Confédération, moment où les provinces du Canada (l’Ontario et le Québec), le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse se sont réunis pour former le Dominion du Canada. Bien sûr, l’histoire du territoire que nous appelons aujourd’hui Canada est plus complexe, et des gens y vivaient bien avant 1867. L’histoire de la profession infirmière au Canada est elle aussi beaucoup plus longue qu’on ne le reconnaît souvent, et remonte à bien avant Florence Nightingale et ses réformes des soins de santé. Cet article présente trois exemples des éclairages nouveaux que les connaissances historiques jettent sur cette histoire.
Les écrits sur l’histoire de la profession infirmière au Canada attirent souvent l’attention sur la tradition catholique française des soins infirmiers et sur la tradition britannique d’apprentissage infirmier. Jusqu’à récemment, les traditions autochtones de guérison et de soins étaient absentes de cette représentation. Bien avant l’arrivée des Européens au Canada, des guérisseurs et des sages-femmes autochtones occupaient une place importante dans la santé de leur communauté (Benoit et Carroll, 2005, p. 27). Ces guérisseurs connaissaient à fond les plantes médicinales et savaient les récolter, les préparer et les administrer pour traiter divers maux. L’historienne Kristin Burnett a découvert qu’avant le début du 20e siècle, des guérisseuses autochtones de l’Ouest du Canada jouaient un rôle essentiel comme infirmières et sages-femmes dans les sociétés coloniales. Un pionnier de Saskatchewan rapportait ainsi en 1833 qu’une femme pied-noir avait guéri sa belle-sœur atteinte de dysenterie en lui donnant une tisane de fleurs blanches des prairies après qu’un médecin ait tenté sans succès de la guérir (Burnett, 2010, p. 60).
Après la Confédération, le gouvernement fédéral a appliqué de main de fer une politique d’assimilation des peuples autochtones et d’éradication de leur culture, y compris de leur savoir et de leurs pratiques en matière de guérison (Lux, 2016, p. 5). Par ailleurs, jusqu’aux années 1930, les femmes autochtones n’étaient pour la plupart pas acceptées dans les écoles infirmières, ce qui montre bien le manque d’égalité des chances à l’époque pour celles qui souhaitaient travailler comme infirmières. L’histoire des soignants autochtones nous pousse à voir au-delà des traditions infirmières catholiques françaises et britanniques.
Les religieuses soignantes : reconsidérer l’autonomie des infirmières
On entend souvent dire que les infirmières d’autrefois avaient peu d’autonomie et relevaient des médecins et des conseils d’administration des hôpitaux. Pourtant, ce qu’ont accompli beaucoup des premières religieuses soignantes au Canada vient contredire ce point de vue. Les religieuses soignantes catholiques ont bâti un vaste réseau d’hôpitaux dirigés par des infirmières, à partir de 1637, soit 230 ans avant la Confédération. À Québec, les Augustines ont ainsi fondé l’Hôtel-Dieu. En 1947, des religieuses soignantes administraient au moins 146 hôpitaux à travers le Canada (Paul, 2005, p. 125). Avant la tradition infirmière établie par Florence Nightingale, les religieuses avaient un pouvoir et une autorité considérables en tant que propriétaires, architectes, trésorières et gestionnaires d’hôpitaux.
Les religieuses soignantes étaient guidées par une éthique de service particulière, et leur statut religieux leur a permis d’émerger comme leaders à une époque où les femmes avaient peu d’autres possibilités d’emploi. Ainsi, mère Joseph, née à Québec en 1823, a conçu et construit plus de deux douzaines de centres de santé, y compris dans le Pacific Northwest, aux États-Unis. Elle a appris le travail de charpentier auprès de son père et est entrée dans les ordres catholiques pour utiliser ses compétences dans un contexte professionnel. Elle a supervisé tous les aspects de la construction d’hôpitaux, vivant souvent sur le chantier, dans une cabane, pour donner ses instructions aux ouvriers (McEvoy, 2008, p. 47-51, 55-58).
Les hôpitaux catholiques étaient au départ des organismes de bienfaisance, et les religieuses soignantes plaçaient leur mission au-dessus des profits. Elles faisaient beaucoup de travail caritatif et mettaient souvent en œuvre des systèmes de souscriptions. Ainsi, les religieuses soignantes de Vancouver remettaient parfois un coupon qui garantissait l’accès à des soins hospitaliers en échange d’un don à l’hôpital (Providence Health Care, 2002).
Les religieuses soignantes considéraient leur travail comme un ministère spirituel, et elles ont trouvé des façons créatives de pousser les frontières hiérarchiques de l’église, où l’on attendait des femmes qu’elles soient soumises aux évêques et aux prêtres (Wall, 2005).
La formation par l’apprentissage : reconsidérer l’enseignement infirmier
Le modèle de formation par l’apprentissage de Florence Nightingale a consolidé la respectabilité du métier d’infirmière pour les femmes. Auparavant, les soins hospitaliers étaient fournis par des intervenants divers : « hommes et femmes, religieux et laïcs, rémunérés ou non, qualifiés ou non » (McPherson, 2005, p. 74). Dans certains hôpitaux, les patients devaient compter les uns sur les autres pour leurs soins. Avec les progrès des hôpitaux et de la médecine scientifique à la fin du 19e siècle, les soins hospitaliers se sont de plus en plus axés sur les traitements (McPherson, 2005, p. 74). À la même époque, la formation par l’apprentissage a gagné en popularité comme moyen de rehausser le statut des soins infirmiers et d’attirer des patients payants de la classe moyenne. Le recours à des infirmières formées a été déterminant pour rehausser le statut des hôpitaux : on n’y voyait plus des lieux associés à la mort et aux mourants, mais des endroits où l’on donnait des traitements et de l’espoir.
En 1900, les hôpitaux du Canada avaient commencé à former des infirmières et à les employer. Le St. Catharines General and Marine Hospital, en Ontario, a fondé la première école d’infirmières en milieu hospitalier en 1874 (Gibbon et Mathewson, 1947). Avec le système d’apprentissage, des milliers d’étudiantes dépendaient des hôpitaux pour leur formation, et les hôpitaux dépendaient des étudiantes pour doter leurs services en personnel (McPherson, 2005, p. 79).
La formation était difficile. Les étudiantes, peu rémunérées, travaillaient un grand nombre d’heures, souvent six jours par semaine. Lorsqu’elles transgressaient les règles strictes, elles risquaient des sanctions disciplinaires. Au Vancouver General Hospital, une étudiante en fin de formation a fait l’objet d’une suspension temporaire en 1959 pour avoir embrassé un homme en dehors de l’hôpital (McPherson, 1999). Les étudiantes cherchaient souvent des façons de se rebeller. Au Kingston General Hospital, dans les années 1920 et 1930, elles tenaient un registre secret de leurs audacieuses infractions au règlement, comme des courses de chariots de linge sale dans les couloirs souterrains de l’hôpital, des vols de poulets rôtis dans les cuisines de l’hôpital et des sorties par les fenêtres des résidences après l’heure autorisée (Wishart, 2005, p. 185).
En 1919, l’Université de la Colombie-Britannique a créé le premier programme de baccalauréat en sciences infirmières au Canada (Zilm et Warbinek, 1994). Les étudiantes passaient la première et la dernière année du programme à l’université, et les autres années en formation dans les hôpitaux de la région. Le premier programme intégré en sciences infirmières a vu le jour à l’Université de Toronto en 1942. Dans ce programme, les professeurs contrôlaient la formation en sciences infirmières à l’université, et l’enseignement de la pratique infirmière dans les hôpitaux (Kirkwood, 2005, p. 193). Avec le passage de la formation infirmière des hôpitaux vers les établissements d’enseignement, les chefs de file de la profession ont pu mettre en place des normes de formation et les gérer (Kirkwood, 2005, p. 195).
Aujourd’hui, le Canada est l’un des rares pays au monde où un baccalauréat est nécessaire pour commencer à exercer comme infirmière ou infirmer autorisé. La formation universitaire offre d’excellentes occasions aux étudiants de renforcer leurs compétences en matière de leadership et de prise de décisions.
La formation infirmière a énormément évolué ces 150 dernières années, mais il reste encore beaucoup à faire pour préparer le personnel infirmier aux défis que nous réserve l’avenir.
Références
Benoit, C., et Carroll, D. Le métier de sage-femme au Canada : un amalgame des pratiques traditionnelles et modernes, dans Bates, C., Dodd, D., et Rousseau, N. (Éd.), Sans frontières : quatre siècles de soins infirmiers canadiens, p. 27-41, 2005, Ottawa (Ontario), Presses de l’Université d’Ottawa.
Burnett, K. Taking medicine: Women’s healing work and colonial contact in Southern Alberta, 1880-1930, 2010, Vancouver (Colombie-Britannique), UBC Press.
Gibbon, J. M., et Mathewson, M. S. Three centuries of Canadian nursing, 1947, Toronto (Ontario), The MacMillan Company.
Kirkwood, L. Assez mais pas trop : La formation en nursing au Canada (1874-2000), dans Bates, C., Dodd, D., et Rousseau, N. (Éd.), Sans frontières : quatre siècles de soins infirmiers canadiens, p. 183-195, 2005, Ottawa (Ontario), Presses de l’Université d’Ottawa.
Lux, M. K. Separate beds: A history of Indian Hospitals in Canada, 1920s-1980s, 2016, Toronto (Ontario), University of Toronto Press.
McEvoy, J. The life and destruction of Saint Mary’s Hospital, 2008, New Westminster (Colombie-Britannique), St. Mary’s Health Foundation.
McPherson, K. « “The case of the kissing nurse”: Femininity, sexuality, and Canadian nursing, 1900-1970 », dans McPherson, K., Morgan, C. et Forestell, N. M. (Éd.), Gendered pasts: Historical essays in femininity and masculinity in Canada, p. 179-198, 1999, Don Mills (Ontario), Oxford University Press.
McPherson, K. L’influence de Florence Nightingale dans l’essor de l’hôpital moderne, dans Bates, C., Dodd, D., et Rousseau, N. (Éd.), Sans frontières : quatre siècles de soins infirmiers canadiens, p. 73-87, 2005, Ottawa (Ontario), Presses de l’Université d’Ottawa.
Paul, P. Les congrégations religieuses soignantes : une présence remarquable dans l’Ouest canadien, dans Bates, C., Dodd, D., et Rousseau, N. (Éd.), Sans frontières : quatre siècles de soins infirmiers canadiens, p. 125-138, 2005, Ottawa (Ontario), Presses de l’Université d’Ottawa.
Providence Health Care. Emilie Gamelin and the Sisters of Providence — St. Paul’s Hospital Vancouver [Vidéo], 2002, Sisters of Providence. Tiré de https://youtu.be/nfa7gTltHuA
Wall, B. Unlikely entrepreneurs: Catholic sisters and the hospital marketplace, 1865-1925, 2005, Columbus (Ohio), Ohio State University Press.
Wishart, J. « We have played while we worked and worked while we played ». Dans C. Bates, D. Dodd, et N. Rousseau (Éd.), Sans frontières : quatre siècles de soins infirmiers canadiens, p. 185. Ottawa (Ontario), Presses de l’Université d’Ottawa.
Zilm, G., et Warbinek, E. Legacy: History of nursing education at the University of British Columbia, 1919-1994, 1994, Vancouver (Colombie-Britannique), UBC Press.
Faire progresser les connaissances historiques
Membre du Réseau canadien des spécialités en soins infirmiers de l’AIIC, l’Association canadienne pour l’histoire du nursing (ACHN), a été fondée en 1987 pour promouvoir l’intérêt pour l’histoire du nursing et développer les connaissances dans ce domaine. Les membres de l’ACHN sont des infirmières et infirmiers en exercice ou à la retraite, des étudiants, des historiens et des chercheurs en sciences infirmières.
Les universitaires font valoir qu’étudier l’histoire développe le sens critique, cultive l’identité professionnelle et permet aux infirmières et infirmiers de mettre leur pratique en contexte. Par ailleurs, la recherche historique, avec l’argumentation à partir de données brutes, est une compétence importante, utile dans la pratique des soins infirmiers. L’évaluation d’un patient exige une collecte d’information à son sujet à partir de sources multiples, l’utilisation d’un ensemble de techniques pour cerner les changements dans son état et la communication claire de cette information aux autres professionnels de l’équipe. Or des études en histoire peuvent aider les infirmières et infirmiers à perfectionner ces compétences, car elles nécessitent synthèse, analyse, argumentation concise et communications claires.
Dans un énoncé de position publié en 2007, l’AIIC en appelait au personnel infirmier ainsi qu’aux chercheurs, formateurs et organisations infirmières pour qu’ils continuent de préserver, d’étudier et de faire connaître l’histoire des soins infirmiers au Canada.
En 2015, dans son rapport Cadre national de l’ACESI sur la formation infirmière, l’Association canadienne des écoles de sciences infirmières a souligné que l’histoire était une composante essentielle du baccalauréat en sciences infirmières.
Alors qu’une nouvelle cohorte commence à prendre en main la direction de la profession infirmière, les membres de l’ACHN espèrent développer et maintenir le soutien pour la recherche et l’éducation dans le domaine de l’histoire de la profession. Il faudra le faire en collaboration avec la nouvelle génération, avec son soutien.
Récemment, l’ACHN a créé un comité sur la formation en réponse à des formateurs qui demandaient des outils qui leur permettraient d’intégrer l’histoire de la profession dans leurs cours. Le comité prévoit créer une vidéo sur les infirmières et infirmiers chefs de file et une chronologie des événements importants en matière de soins infirmiers. Ces outils de formation seront accessibles sur le site Web de l’ACHN (cahn-achn.ca).
Par ailleurs, l’ACHN remet chaque année deux bourses importantes : la Bourse Allemang, pour des étudiants diplômés qui étudient l’histoire des soins infirmiers, et la Bourse Vera Roberts, pour des infirmières et infirmiers historiens dont le travail porte principalement sur les soins infirmiers en région éloignée et au nord du 60e parallèle.
Lydia Wytenbroek, M.A., B.A., B.Sc.inf., inf. aut., est doctorante au programme d’études supérieures en histoire de l’Université York.
Helen Vandenberg, Ph.D., inf. aut., est professeure adjointe au collège de sciences infirmières de l’Université de la Saskatchewan.
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