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juin 26, 2020, Par: Kristin Zelyck
La pandémie de COVID-19 a engendré des dilemmes moraux pour beaucoup d’infirmières et infirmiers. L’auteure évoque quelques-uns des dilemmes éthiques qui ont fait surface et donne des conseils pour les résoudre.
Messages à retenir
- L’éthique infirmière peut appuyer des objectifs communs : fournir des soins centrés sur le patient et sûrs, avec compétence et compassion.
- Pendant la pandémie, les valeurs éthiques et les responsabilités déontologiques du personnel infirmier sont particulières.
- La conscience éthique peut prévenir le désarroi moral et contribuer à la résilience.
Avec la pandémie actuelle, le personnel soignant de première ligne, dont une grande majorité sont des infirmières et des infirmiers, fait l’objet d’une attention accrue. Coïncidence, l’Organisation mondiale de la Santé a aussi proclamé 2020 Année internationale des sages-femmes et du personnel infirmier. À titre d’infirmières et d’infirmiers, nous sommes en ce moment sur le devant de la scène.
Alors que notre profession et notre conduite éthique reçoivent de plus en plus d’attention, que peuvent offrir les lignes directrices déontologiques et les codes de déontologie au personnel infirmier? Une conscience éthique plus vive pourrait-elle renforcer et orienter notre pratique et nos aptitudes à prendre des décisions?
Comme profession et comme discipline, les soins infirmiers adhèrent à des valeurs éthiques et à des lignes directrices déontologiques qui servent de compas moral pour la pratique et la conduite professionnelle. Ces valeurs et lignes directrices incluent des principes éthiques (respect de l’autonomie, bienveillance, non-malfaisance et justice), des qualités morales et le Code de déontologie des infirmières et infirmiers autorisés (2017) de l’Association des infirmières et infirmiers du Canada.
J’examinerai ici certaines des principales questions déontologiques sur lesquelles le personnel infirmier a attiré l’attention pendant la pandémie de COVID-19 : la sécurité, l’augmentation de la charge de travail et une exposition accrue à la mortalité des patients, autant de sources potentielles de désarroi moral et d’épuisement professionnel. J’essayerai également de montrer l’aide que peut apporter la déontologie infirmière à la pratique et à la conduite professionnelle dans la situation actuelle, temporaire et chargée d’incertitudes, où se trouvent les soins de santé.
Le Code de déontologie de l’AIIC
Quasiment tous les aspects de la pratique infirmière ont des ramifications déontologiques. Nous prenons des décisions déontologiques quand nous décidons quels patients faire passer en premier pour les soins et les ressources et quand nous appliquons avec compétence nos aptitudes cliniques.
Par ailleurs, la déontologie éclaire nos décisions de renseigner et d’informer les patients, de défendre leurs droits et collaborer avec eux et avec les équipes de soins interdisciplinaires vers des objectifs communs. Il nous faut donc des aptitudes solides en prise de décision pour promouvoir des soins centrés sur le patient, compétents, empreints de compassion et sûrs.
Le Code fournit des lignes directrices, avec des valeurs éthiques et des responsabilités déontologiques précises qui guident le personnel infirmier dans sa pratique. S’ils savent que le Code existe, les infirmières et infirmiers ne connaissent pas forcément les valeurs et les responsabilités qu’il définit.
Le Code précise sept valeurs qui se recoupent et se rapportent à certains principes déontologiques, comme le respect de l’autonomie, la bienfaisance, la non-malfaisance et la justice (AIIC, 2017, p. 36). Pour guider la pratique, le Code met également l’accent sur des qualités morales comme la compassion, l’empathie et la confiance. Ces valeurs essentielles des soins infirmiers définissent un cadre qui aide les infirmières et infirmiers à respecter l’éthique dans leur prise de décision, dans leur pratique et dans leur conduite professionnelle en général. Le Code favorise en outre une pratique réfléchie qui contribue à la croissance, à la santé et au bien-être du personnel infirmier.
Il nous faut des aptitudes solides en prise de décision pour promouvoir des soins centrés sur le patient, compétents, empreints de compassion et sûrs
Valeurs, responsabilités et préoccupations
Certaines valeurs éthiques et responsabilités déontologiques s’avèrent plus pertinentes et nécessaires pendant la crise actuelle. Citons par exemple des milieux de travail sûrs; l’allocation des ressources; l’atténuation des méfaits; une pratique empreinte de compassion, d’empathie et de confiance; le respect de la dignité du patient; la protection de la vie privée et de la confidentialité et une conduite professionnelle en tout temps.
Depuis le début de cette pandémie, les infirmières et infirmiers ont soulevé des préoccupations légitimes au sujet de la sécurité, de l’augmentation de la charge de travail et de la hausse du taux de mortalité des patients, autant de choses qui peuvent entraîner le désarroi moral et l’épuisement professionnel. Infirmières et infirmiers ont aussi parlé ouvertement, dans divers médias, de leur expérience pendant la pandémie. Les préoccupations déontologiques grandissantes, combinées au regain d’attention du public, imposent une sensibilisation accrue du personnel infirmier aux questions de déontologie.
Dans mon milieu de pratique, des infirmières et des infirmiers ont exprimé leurs inquiétudes au sujet de la sécurité des patients et du personnel. Ils se sont en particulier inquiétés du besoin et du manque d’équipement de protection individuelle (EPI) (Harris, 2020). Le Code de l’AIIC aborde explicitement la question : « Lors d’une catastrophe naturelle…, y compris lors de flambées épidémiques, les infirmières et infirmiers ont l’obligation de prodiguer des soins tout en respectant les mesures de sécurité appropriées et en conformité avec la législation, la réglementation et les lignes directrices fournies par le gouvernement, les organismes de réglementation, les employeurs, les syndicats et les associations professionnelles. » (AIIC, 2017, p. 11). Le Code indique en outre qu’il faut que les infirmières et infirmiers « remettent en question, cherchent à contrer, signalent et abordent les pratiques ou les conditions qui, n’étant pas favorables à la sécurité, à la compassion, à l’éthique ou à la compétence, nuisent à leur capacité de prodiguer des soins sécuritaires et éthiques, avec compétence et compassion » (p. 11).
Ces lignes directrices déontologiques dépassent les inquiétudes concernant l’EPI et traitent de la charge de travail du personnel infirmier et des ressources nécessaires pour assurer des soins avec compétence tout en respectant les normes de pratique exemplaire même pendant une crise.
Attention et confiance du public
Les infirmières et infirmiers utilisent aussi diverses plateformes, en autres les réseaux sociaux, pour parler de leur expérience personnelle en tant que travailleurs de première ligne pendant la pandémie. Voilà qui témoigne, je pense, de notre besoin de faire des bilans et de trouver un sens à ce que nous vivons. Inévitablement, ces réflexions retiennent l’attention du public et déteignent sur sa vision de la profession infirmière dans son ensemble.
Quand nous nous présentons comme infirmière ou infirmier, nous ne devons pas perdre de vue nos valeurs éthiques et nos responsabilités déontologiques. Notre conduite doit entretenir et favoriser la confiance du public dans notre profession et promouvoir nos objectifs communs : « prodiguer des soins sécuritaires et éthiques, avec compétence et compassion » (AIIC, 2017, p. 11).
Avant de parler publiquement de notre expérience au travail, nous pourrions par exemple nous poser les questions suivantes : En quoi cette histoire est-elle représentative de la profession infirmière? Compromet-elle la confidentialité de patients ou de collègues? Respecte-t-elle la dignité des patients que je soigne? Suis-je fidèle aux objectifs communs de la profession infirmière et des soins de santé?
Réflexion personnelle et conscience de soi
Notre besoin de réflexion et de bilan est soutenu par l’AIIC qui, dans son Code, encourage les infirmières et infirmiers à une pratique réfléchie et à la conscience de soi. La réflexion permet de tirer des enseignements de l’expérience, d’acquérir sagesse et compréhension et, en fin de compte, de progresser dans la pratique.
Depuis le début de cette pandémie, les infirmières et infirmiers ont soulevé des préoccupations légitimes au sujet de la sécurité, de l’augmentation de la charge de travail et de la hausse du taux de mortalité des patients
La réflexion peut aussi contribuer à une plus grande conscience éthique, une capacité de reconnaître les enjeux éthiques lorsqu’ils se présentent et de les gérer comme il faut (Milliken, 2018). Parler de son expérience de la pandémie est donc nécessaire à la croissance personnelle, mais donne en plus une image collective de la profession infirmière.
Souvent, ces témoignages portent sur des conflits et du désarroi, ou même de la peur d’assurer des soins infirmiers pendant la pandémie. Quand on ne peut pas atteindre l’objectif de fournir des soins sûrs et éthiques, avec compétence, le risque de désarroi moral grandit.
Désarroi moral
La majorité des infirmières et infirmiers connaîtront un certain désarroi moral au cours de leur carrière. Ce désarroi se manifeste quand ils savent ce qu’ils devraient faire, mais que la situation rend difficile la prise des mesures qui conviennent (AIIC, 2017). Parmi les causes du désarroi moral, on citera des charges de travail excessives et les défis associés à la prise de décisions relatives à la fin de vie (Burston et Tuckett, 2013).
Depuis l’éclosion de la pandémie, le personnel infirmier vit avec des charges de travail et des responsabilités de plus en plus grandes, une mortalité accrue des patients, des problèmes de sécurité et des ressources insuffisantes. Par conséquent, il est plus susceptible de connaître le désarroi moral pendant cette crise. Ce désarroi contribue à l’épuisement professionnel, au manque d’empathie et à une insatisfaction professionnelle accrue. Il nuit aussi directement aux soins aux patients, car il en réduit la qualité et menace les résultats pour la santé (Burston et Tuckett, 2013; Rodney, 2017).
Au final, le désarroi moral va à l’encontre des objectifs infirmiers d’assurer des soins sûrs avec compétence et compassion. Le repérer et tenter d’y remédier ainsi qu’aux problèmes éthiques peut aussi inciter à réfléchir et à innover, ce qui contribue à la résilience et à la conscience éthique (AIIC, 2017). Mieux vaut donc reconnaître ces sentiments et ces sources de stress dans la profession pour pouvoir s’y attaquer collectivement plutôt qu’individuellement.
Défis futurs
À l’heure actuelle, le milieu infirmier doit s’attaquer à de grandes questions, portant entre autres sur la protection de la profession, sur la responsabilité du personnel infirmier envers les patients et sur la préservation de sa santé et de sa sécurité. Être conscients des lignes directrices déontologiques et des valeurs communes de la profession peut nous donner du courage ainsi qu’un compas pour nous aider à gérer les questions éthiques que soulève cette crise.
Mon intention n’est pas de vous décourager. Au contraire, je souhaite favoriser une conscience éthique plus vive. Comme infirmière en soins intensifs qui s’intéresse à l’éthique, j’ai constaté que la conscience éthique a enrichi ma pratique infirmière et m’a donné des objectifs plus clairs. Les valeurs morales sont très présentes en soins de santé, surtout en ce moment, et je suis sincèrement convaincue qu’il est essentiel de nous conformer aux lignes directrices éthiques, dans l’intérêt du public que nous servons et de la profession dans son ensemble.
Espérons qu’à la fin de tout ceci, nous pourrons réfléchir à ce que nous avons vécu et en tirer des enseignements. Nous apprendrons inévitablement certaines choses sur nous, personnellement et professionnellement, et sur notre capacité à répondre à une crise mondiale. Si nous faisons de notre mieux pour préserver l’objectif commun d’assurer des soins sûrs et éthiques, avec compétence et compassion, notre profession en ressortira plus forte.
Loin d’être un fardeau, les valeurs éthiques et les lignes directrices déontologiques peuvent nous aider pendant cette crise. Une conscience éthique accrue est indispensable pour cerner les questions déontologiques afin d’éviter le désarroi moral et de promouvoir plutôt la résilience du personnel infirmier.
Malgré les défis et incertitudes du climat actuel dans les soins de santé, notre déontologie infirmière demeure un guide inébranlable pour la pratique pendant cette pandémie.
Références
Association des infirmières et infirmiers du Canada (AIIC). Code de déontologie des infirmières et infirmiers autorisés, 2017.
Burston, A. S. et A. G. Tuckett. Moral distress in nursing: Contributing factors, outcomes and interventions, Nursing Ethics, 20(3), 2013, p. 312-324.
Harris, K. Doctors, nurses demand government fill “unacceptable” gaps in protective gear on front lines, CBC News, 7 avril 2020.
Milliken, A. Ethical awareness: What it is and why it matters, The Online Journal of Issues in Nursing, 23(1), 2018.
Rodney, P. What we know about moral distress, American Journal of Nursing, 117(2), 2017, p. S7-S10. doi:10.1097/01.NAJ.0000512204.85973.04
Kristin Zelyck, B.Sc.inf., inf. aut., M. Bioéthique, est infirmière autorisée depuis 18 ans, et la majeure partie de son expérience clinique est en soins intensifs. Elle a récemment obtenu sa maîtrise en bioéthique. Elle est également chargée de cours à la Faculté de sciences infirmières de l’Université de l’Alberta. Elle s’intéresse tout particulièrement à la promotion de la conscience éthique chez les infirmières et infirmiers et chez les étudiants en sciences infirmières pour enrichir et renforcer leur pratique.
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