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août 04, 2020, Par: Laura Eggertson
Cheyenne Johnson veut que personne ne finisse ses études infirmières aussi mal préparé qu’elle pour soigner les patients qui font usage de substances et leurs dépendances.
« Ma formation en sciences infirmières, aussi fantastique qu’elle ait été, ne m’a pas préparée pour l’ampleur réelle des dépendances et de l’usage de substance dans le système de santé », constate Mme Johnson, co-directrice générale par intérim d’un organisme spécialisé en toxicomanies, le British Columbia Centre on Substance Use.
Quand elle était infirmière novice aux urgences et dans des unités médicales d’hôpitaux en Colombie-Britannique, Mme Johnson a souvent vu des patients qui arrivaient avec un bras ou une jambe qu’ils s’étaient cassés en état d’ébriété ou drogués.
Elle a soigné des personnes pour d’autres maladies liées à l’alcool, chez qui l’hospitalisation avait déclenché le sevrage et qu’on renvoyait pourtant chez elles sans traitement ou plan de suivi.
Quand Mme Johnson a demandé conseil à ses collègues pour trouver des médicaments qui traiteraient ces symptômes de sevrage, elle n’a pas obtenu de réponse. Au lieu de cela, les patients étaient stigmatisés, évités et jugés.
L’alcool, fait observer Mme Johnson, est associé à plus de 200 maladies chroniques, entre autres des cancers. Mais ce n’est pas à l’école de sciences infirmières qu’elle l’a appris. On ne lui a pas appris non plus à dépister l’usage d’alcool ou de drogue, à soutenir quelqu’un qui est en sevrage ou à accéder à des traitements ou à des services de rétablissement.
« L’usage de substance est prévalent dans tous les domaines d’exercice du personnel infirmier. C’était une énorme lacune dans mes connaissances », souligne-t-elle.
Renforcer les compétences
Cette lacune dans les connaissances ne touche pas seulement le personnel infirmier : elle existe dans l’ensemble du système de soins de santé, estime Mme Johnson. Y remédier était sa motivation pour assumer des fonctions de leadership au British Columbia Centre on Substance Use, un établissement à la fine pointe de la recherche, au carrefour de la médecine spécialisée en toxicomanie et de la santé publique.
L’organisme se concentre sur l’évaluation de recherches de calibre mondial et leur mise en application dans la pratique clinique et la formation pour les professionnels de toute la province, et d’ailleurs.
Dans le cadre de cette mission, Mme Johnson veut renforcer les compétences des professionnels des soins primaires, entre autres le personnel infirmier et les infirmières et infirmiers praticiens, pour qu’ils puissent répondre aux troubles d’usage de substances comme ils répondent à d’autres maladies chroniques.
« L’usage de substance est si prévalent dans notre société que l’on devrait exiger de nous [tous], en tant que professionnels de la santé, que nous le comprenions et le traitions », insiste-t-elle.
Attirée par la santé publique depuis ses études infirmières à l’Université Queen’s, Mme Johnson a, dès l’obtention de son diplôme, entamé sa maîtrise en santé des populations et santé publique à l’Université Simon Fraser. En parallèle, elle travaillait à temps partiel en obstétrique et en médecine d’urgence.
Quand un poste s’est ouvert comme directrice de la recherche infirmière clinique au département d’ophtalmologie et de sciences de la vision de l’Université de la Colombie-Britannique, elle a saisi cette occasion d’enrichir son expérience en recherche et en gestion des essais cliniques.
Ascension professionnelle rapide
Des certificats en recherche clinique et en soins infirmiers en toxicomanie ont suivi. Sa formation a amené Mme Johnson à devenir directrice fondatrice du programme de bourses de recherche en soins infirmiers en toxicomanie (Addiction Nursing Fellowship Program) du British Columbia Centre on Substance Use. Dans ce poste, elle supervisait 10 autres infirmières et infirmiers du programme, le seul de ce type en Amérique du Nord où l’on offre une formation en médecine spécialisée en toxicomanie au personnel infirmier se destinant à la pratique clinique, l’administration et la recherche.
En même temps, Mme Johnson était directrice du développement et des activités cliniques du centre. À 35 ans, elle est aujourd’hui co-directrice générale par intérim.
« Ça a été très rapide, confie Mme Johnson en parlant de sa carrière. J’ai le sentiment que j’étais faite pour ce rôle. Il est lié à toutes mes expériences antérieures dans le monde de la recherche et dans le monde clinique. »
« Partout où l’on regarde, de la prévention au rétablissement, tous les domaines ont besoin d’améliorations. »
Mais ces fonctions s’accompagnent de nombreuses pressions.
À titre de co-directrice générale par intérim, Mme Johnson supervise la recherche clinique et communautaire du centre et aide à diriger le personnel de 250 personnes.
Elle a pour objectif de changer le visage des soins pour les dépendances dans la province, en mettant les traitements fondés sur les données probantes au tout premier plan. Elle sait que sa tâche sera difficile.
De tradition, le traitement des dépendances était le domaine des psychiatres ou de programmes non réglementés, souvent privés, reposant sur des modèles à Douze Étapes.
Ce n’est que récemment que la médecine spécialisée en toxicomanie a été reconnue comme spécialité médicale, entre autres par le conseil américain des spécialités médicales, l’American Board of Medical Specialties en 2016.
Un système inefficace
« Le système de traitement des dépendances ne fonctionne pas. Dans ces conditions, demande Mme Johnson, comment pouvons-nous espérer réussir? Le système est en train d’évoluer, mais c’est le chaos. Partout où l’on regarde, de la prévention au rétablissement, tous les domaines ont besoin d’améliorations. »
Se décrivant comme « d’ascendance mixte, avec des ancêtres colons et autochtones », Mme Johnson est également motivée dans sa volonté d’améliorer les soins pour les dépendances par le savoir que l’inefficacité du système de traitement, au Canada, nuit démesurément aux Autochtones.
En Colombie-Britannique, les membres des Premières Nations, les Métis et les Inuits sont deux fois plus susceptibles de mourir d’une surdose et au moins cinq fois plus susceptibles de faire une surdose non mortelle que les Canadiens non autochtones, souligne-t-elle.
Membre de la bande de la Réserve du Traité de Tootinaowaziibeeng, au Manitoba, Mme Johnson a une connaissance intime du rôle que jouent les traumatismes dans la dépendance. Sa grand-mère maternelle a souffert dans un pensionnat, et des membres de sa famille élargie ont eu des problèmes d’usage de substance et de dépendance. Cette expérience a influé sur ses opinions quant à la nécessité d’incorporer dans le système de soins de santé des traitements adaptés à la culture et tenant compte du traumatisme.
« Penser à des façons d’incorporer la culture et la guérison est extraordinairement important pour moi », souligne Mme Johnson.
Il a été particulièrement important d’influer sur les politiques publiques pour pouvoir sauver des vies, car la Colombie-Britannique traverse une crise des opioïdes.
Sous-estimés et sous-payés
Depuis 2016, il y a eu en moyenne près de 24 000 surdoses par an, comparé à 10 000 ou 15 000 les années précédentes. Plus de 1 500 personnes sont mortes de surdoses rien qu’en 2019. La pandémie de COVID-19 a encore compliqué l’épidémie d’opioïdes en compromettant l’accès à des sites d’injection supervisée et en perturbant des circuits d’approvisionnement en drogues établis.
« Penser à des façons d’incorporer la culture et la guérison est extraordinairement important pour moi. »
En plus du contexte politique chargé où travaille Mme Johnson, elle doit surmonter une difficulté supplémentaire : elle est sous-estimée parce qu’elle est infirmière.
« Il y a une hiérarchie dans le système de soins de santé, et les médecins sont en haut de la pile, déplore-t-elle. C’est ce à quoi je me heurte encore au quotidien. »
Dans la pratique, cette hiérarchie signifie que si Mme Johnson et un collègue médecin assistent à une réunion, la personne qu’ils rencontrent voudra souvent parler au médecin, et non à elle. Cela veut aussi dire qu’elle n’est pas aussi bien rémunérée que les médecins dans des rôles similaires.
« J’en sais plus long sur la médecine spécialisée dans les dépendances que le médecin de famille moyen, fait valoir Mme Johnson. Et pourtant, comme infirmière, je suis constamment sous-payée et sous-estimée. »
Elle espère que la présence accrue d’infirmières et infirmiers dans des postes de leadership au sein du réseau de santé de la province indique que le système est prêt à reconnaître la valeur du personnel infirmier. « La présence de gens comme moi dans ces rôles améliore légèrement les choses », avance Mme Johnson.
Quand la pression devient trop grande, elle a recours à une promenade quotidienne et à une bonne nuit de sommeil pour se détendre. Elle aime aussi faire de la randonnée le week-end avec son conjoint, Jason Ververgaert, graphiste et membre du personnel au sol d’Air Canada.
Ce qui motive Mme Johnson, en fin de compte, c’est la possibilité, rare, d’évaluer de nouvelles stratégies et de s’assurer que les personnes qui font usage de substances reçoivent le meilleur traitement et les meilleurs soins que puisse fournir la province.
« L’usage de substance est une constante des sociétés humaines, constate-t-elle. Nous devons regarder de près comment nous y répondons. »
Laura Eggertson est journaliste indépendante à Wolfville (N.-É.).
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