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juin 21, 2021, Par: Laura Eggertson
Mener des conversations difficiles sur les souhaits de fin de vie d’enfants fait partie intégrante du travail de Francis Macapagal.
Depuis 16 ans, cet infirmier clinicien spécialisé travaille à l’Hôpital pour enfants de Toronto, où il est membre de l’équipe de soins avancés en pédiatrie depuis neuf ans.
Il s’informe auprès des enfants et de leur famille de leurs objectifs en matière de soins et de ce que peut faire son équipe pour rendre chaque jour agréable, pendant aussi longtemps que possible.
Puis, ses coéquipiers et lui font en sorte que les enfants passent d’agréables journées. Par exemple, le rêve d’un enfant de 10 ans était d’avoir un chiot bouledogue français, offert par l’organisation Rêves d’enfants. Un autre enfant rêvait d’un repas de steak et de fruits de mer préparé par un chef célèbre.
Mais lorsque Francis Macapagal a contracté la COVID-19 au cours de la première vague de la pandémie, il n’était pas prêt pour cette conversation lui même.
C’était le 31 mars 2020; M. Macapagal avait été admis la veille au Toronto Western Hospital. Neuf jours plus tôt, les résultats de son test de COVID 19 s’étaient révélés positifs au retour d’une mission de formation de deux semaines dans un hôpital de Trinité.
Au départ, M. Macapagal, qui ne possédait même pas de thermomètre, s’est isolé dans son condominium de 500 pieds carrés. Il avait des frissons, des courbatures et des hallucinations. Il pensait avoir de la fièvre. Après avoir obtenu un thermomètre d’un travailleur social du Bureau de santé publique de Toronto, il s’est rendu compte que sa fièvre avait grimpé jusqu’à 40 ℃.
Serrement de poitrine
« Je n’arrivais pas à croire qu’à 39 ans, je devais répondre à des questions concernant la réanimation cardio-respiratoire et l’intubation. »
Sentant sa poitrine se serrer, Francis Macapagal a conduit jusqu’à l’hôpital. Il a failli s’effondrer en titubant jusqu’au service des urgences.
On l’a admis immédiatement. Les médecins lui ont prescrit des fluides et des antibiotiques.
D’abord, l’infirmier chevronné n’était pas inquiet. Il se souvient que l’équipe soignante « ne semblait pas trop préoccupée ».
Puis, son taux de saturation en oxygène a chuté.
Il le surveillait lui même. Il savait que le taux devait être supérieur ou égal à 90; le sien se situait dans les 80. Ayant du mal à respirer, il a appuyé sur le bouton d’appel.
Une infirmière est arrivée. Elle a commencé à lui administrer de l’oxygène : un litre, deux litres, puis trois litres. Tout en tenant la main de M. Macapagal, l’infirmière a demandé à une collègue d’appeler l’équipe d’évaluation des soins intensifs.
Le taux de saturation de M. Macapagal a enfin augmenté, après cinq litres d’oxygène. Il s’est senti soulagé, jusqu’à l’arrivée du médecin résident de l’étage.
Selon ce médecin, lorsque les patients atteints de la COVID commencent à avoir besoin d’oxygène, leur état se détériore souvent rapidement.
« Il m’a demandé de lui confirmer mes souhaits si on devait me transférer aux soins intensifs et si j’avais besoin qu’on m’insère un tube respiratoire, », se souvient-il.
Il n’avait même pas dit à sa famille qu’il était à l’hôpital. Son père était aux prises avec un cancer du poumon, et son état s’aggravait.
Francis Macapagal ne voulait pas que ses parents, ses frères et sa sœur aient à subir une autre crise de santé.
« Sauvez-moi »
« Je n’ai jamais eu aussi peur et je ne me suis jamais senti aussi seul de toute ma vie, se souvient-il. Je n’arrivais pas à croire qu’à 39 ans, je devais répondre à des questions concernant la réanimation cardio-respiratoire et l’intubation. »
Francis Macapagal ne voulait pas mourir.
Il a supplié le médecin de faire tout ce qui était en son pouvoir pour lui sauver la vie, y compris l’intubation.
Heureusement, Francis Macapagal n’a pas eu besoin d’être placé sous respirateur. Il a commencé à se sentir mieux et s’est sevré de l’oxygène en fin de journée, en réduisant progressivement le débit et en communiquant son taux à l’infirmière.
Après six jours d’hospitalisation, il est rentré chez lui. Le personnel infirmier de l’étage s’est levé et l’a applaudi lorsqu’il est parti, un geste qui lui fait encore monter les larmes aux yeux.
Le rétablissement de Francis Macapagal s’est fait lentement. Il a emménagé avec ses parents en raison d’une fatigue, d’une faiblesse et d’un « brouillard mental » persistants. En même temps, il a aidé à prendre soin de son père, Francisco, jusqu’à son décès, en juillet 2020.
Francis Macapagal a mis près d’un an pour se sentir en aussi bonne santé et aussi fort qu’avant sa maladie.
Il est pleinement conscient que sa vie aurait pu se terminer autrement. Il en témoigne pour encourager les autres professionnels de la santé à se faire vacciner, tout comme il l’a fait.
En février 2021, on recensait le décès d’au moins 24 travailleurs de la santé des suites de la COVID 19 au Canada depuis le début de la pandémie, selon l’Institut canadien d’information sur la santé.
« J’ai simplement accepté le fait que quelqu’un là-haut me protégeait, et j’ai pris du mieux », déclare Francis Macapagal.
Déclenchement de souvenirs
Après avoir été aux prises avec la COVID 19 et avoir vécu le décès de son père, Francis Macapagal a remis en question son choix de carrière.
« L’année qui vient de s’écouler est sans contredit une année de réajustement », dit il.
Avant la COVID 19, il conciliait la tristesse du travail en soins palliatifs avec une vie personnelle saine et heureuse.
Il pratiquait la musculation et s’entraînait trois ou quatre fois par semaine dans un gymnase. Il passait du temps avec sa nièce et son neveu, allait souper en famille toutes les semaines chez ses parents, faisait du vélo et socialisait.
Après la COVID, il ne pouvait plus prendre soin de lui de la même façon.
Plutôt que d’échapper à des souvenirs personnels douloureux en se jetant à corps perdu dans le travail, il s’est rendu compte que le travail déclenchait des souvenirs traumatisants.
Les patients dont le cancer du poumon s’était métastasé lui rappelaient les derniers mois de son père.
Lorsque le taux d’oxygène d’un patient chutait, il devait prendre de grandes respirations, et se rappeler qu’il en était capable.
Parfois, il devait se défiler devant ces conversations difficiles de fin de vie.
« Pour la première fois, je me suis vraiment demandé pourquoi je travaillais en soins palliatifs alors que de nombreux événements tristes ponctuaient ma vie personnelle », raconte M. Macapagal.
Avec l’aide d’un thérapeute, il a appris à prendre soin de lui dans le nouvel univers de la COVID.
Il s’est acheté des poids et s’est adapté à s’entraîner à domicile avec un entraîneur personnel en virtuel. Il a rencontré sa nièce et son neveu sur FaceTime ou s’est rendu chez eux pour des rencontres à travers la vitre de la voiture.
Avec l’arrivée d’une température plus clémente, il se rend au travail en vélo et fait des randonnées de 50 km la fin de semaine.
Être meilleur infirmier
Si difficiles qu’elles l’aient été, les expériences de Francis Macapagal ont amélioré sa pratique infirmière, estime-t-il.
« 2020 s’est avérée une année horrible, mais elle m’a permis de devenir une meilleure personne et un meilleur infirmier. »
Être un patient à son tour a jeté une nouvelle lumière sur la vulnérabilité de ses propres patients, et s’être occupé de son père à domicile signifie qu’il sait poser les bonnes questions aux familles.
« Je pose des questions que je n’aurais peut être pas posées avant que cette histoire ne survienne », admet-il.
Aujourd’hui, Francis Macapagal fait savoir à ses patients qu’ils devront peut être attendre des heures l’arrivée d’une infirmière ou d’un médecin pour prononcer le décès. Il peut leur parler de ce que c’est que de voir un proche partir pour la dernière fois, dans un cercueil.
Francis Macapagal est reconnaissant de pouvoir entamer ces conversations, aussi difficiles puissent-elles être. Il puise auprès des enfants avec qui il travaille son inspiration et sa capacité à œuvrer encore dans le domaine des soins palliatifs.
« Être en mesure d’exaucer ces vœux et de transmettre des témoignages aux enfants et à leur famille est le fondement de ce que je fais », déclare Francis Macapagal.
Sur le haut de ses cuisses, il s’est fait tatouer trois mots qui lui donnent le courage de poursuivre son travail.
« Ne jamais oublier »
Laura Eggertson est journaliste indépendante à Wolfville, en Nouvelle Écosse.
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