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juil. 18, 2021, Par: Emma Leon
Je suis infirmière. C’est une profession que j’ai choisie, un parcours que je suis honorée et fière d’emprunter.
Je ne suis pas une nouvelle infirmière. Je ne suis pas non plus chevronnée. Je me situe quelque part entre les deux. Je me décrirais comme étant forte, confiante, courageuse et prête à affronter de nombreux obstacles.
Je travaille en milieu rural, dans une communauté autochtone isolée du nord de la Colombie Britannique. J’ai traversé la pandémie de COVID 19 dans cette communauté et je continue de le faire. Pendant les pires semaines de la pandémie, je me suis demandé si j’étais assez forte, assez courageuse et assez confiante pour continuer. J’ai osé imaginer à quel point la situation pouvait s’aggraver, mais aucun manuel ni cours en présentiel ou en virtuel n’aurait pu me préparer à ce que la COVID me réservait. Bien que nous n’ayons pas eu de cas pendant une période prolongée, ça n’a pas atténué le choc.
Nos cœurs se sont brisés pour les familles qui ont dû faire leur deuil d’une façon inadéquate sur le plan culturel, et qui laissera un traumatisme durable.
Un soir, un médecin m’a appelée pour m’avertir que les résultats de tests confirmaient deux cas positifs dans la communauté. Cet appel est gravé dans ma mémoire : j’étais si naïve quant à ce qui allait se passer. J’ai pris la nouvelle calmement, avec une apparente arrogance quant à notre capacité à isoler ces cas et à restreindre à un minimum la propagation à d’autres personnes. J’ai donc été prise de cours par le rythme auquel la COVID 19 s’est propagée.
Le nombre de nos cas a grimpé en même temps que celui de toute la région du Nord. L’autorité sanitaire régionale devait se charger de la recherche des contacts et du suivi quotidien. Mais elle a rapidement été submergée. C’est pourquoi, au cours d’un bref appel téléphonique, on m’a formée sur la façon d’accomplir ces tâches.
Les semaines qui ont suivi sont floues. Le virus de la COVID 19 a emporté de précieux membres de notre communauté. Nous avons travaillé, et continuons à le faire, avec le sentiment d’être dépassés, impuissants et d’avancer à l’aveuglette. Nos cœurs se sont brisés pour les familles qui ont dû faire leur deuil d’une façon inadéquate sur le plan culturel, et qui laissera un traumatisme durable.
Au mieux, le temps de réponse d’une ambulance dans la communauté est d’environ une heure. Mais la plupart du temps, c’était encore plus long. La communauté où je travaille n’est pas la seule dans la région à être desservie par l’ambulance, qui était constamment sur la route et qui effectuait en moyenne quatre ou cinq déplacements par jour dans notre communauté seulement.
Dans les premières semaines qui ont suivi les cas positifs initiaux, le taux de positivité aux tests était de 100 %, et l’administration des tests n’était pas une mince affaire. Le transport est un obstacle énorme aux soins de santé dans notre communauté, car bien des résidents ne possèdent pas de véhicule et doivent se faire conduire par d’autres membres de la communauté. Ainsi, dans le but de réduire le risque d’exposition, nous avons fait passer les tests de dépistage au porte à porte. Cette méthode est fastidieuse, et il fait froid en plein hiver dans le nord. Nous ne pouvions pas porter de mitaines, de tuques ou de vêtements d’hiver chauds en dessous de l’équipement de protection individuel approprié. Nos lunettes de protection s’embuaient et gelaient. Mais nous avons persévéré, effectué des tests, surveillé les cas positifs, livré de la nourriture et soutenu la communauté.
Ce que nous n’avions pas prévu, c’est le raz de marée qui allait nous submerger et continuer à s’abattre sur nous alors que nous nous efforcions de nous en sortir.
Il était impossible de suivre le nombre de cas. Nous avons dessiné une carte où indiquer chaque cas, les mesures qui avaient été prises, les personnes qui avaient reçu de la nourriture et où elles étaient. Nous avions l’impression d’être dans un film ou une série policière à la télé, où les personnages reconstituent une scène de crime.
L’hôpital le plus près de la communauté se trouve à 60 km. C’est loin pour une personne qui a de la difficulté à respirer, qui a besoin de soins médicaux immédiats et qui se bat contre la mort. L’hôpital était constamment débordé et obligé d’envoyer des patients ailleurs en hélicoptère. Regarder l’hélicoptère survoler la communauté était surréaliste. Il était difficile de croire que c’était là notre réalité et que le destin nous frappait aussi durement.
Au fil des semaines, nous avons renseigné les membres de la communauté et les avons suppliés de s’isoler, de pratiquer la distanciation sociale, de se laver les mains et de contribuer à ralentir la propagation du virus. Mais la distanciation est impossible dans des foyers surpeuplés. On ne peut pas s’isoler lorsque le résultat du test est positif, mais qu’il n’y a qu’une salle de bain dans une maison multifamiliale. On ne peut pas suivre les consignes lorsqu’il n’y a pas d’épicerie dans la communauté et qu’on n’a pas les moyens de se procurer une réserve alimentaire en vue d’un isolement de 14 jours. On ne peut pas s’isoler quand on consomme des substances toxicomanogènes.
On pourrait alors se demander pourquoi cette communauté a été touchée aussi durement. Pourquoi ces gens n’étaient-ils pas préparés? Pourquoi n’ont ils pas vu ce qui se passait dans le reste du monde? Oui, nous étions au courant de ce qui se passait. Ce que nous n’avions pas prévu, c’est le raz de marée qui allait nous submerger et continuer à s’abattre sur nous alors que nous nous efforcions de nous en sortir.
Le nord de la Colombie Britannique ne dispose pas des ressources nécessaires pour gérer adéquatement une crise sanitaire. La région est d’une taille stupéfiante et pourtant, elle ne dispose que de quelques hôpitaux aptes à traiter les cas très graves. Les professionnels de la santé ne veulent pas vivre dans le Nord. La plupart des gens n’aspirent pas à ce mode de vie. Ces deux facteurs rendent le travail dans le Nord difficile.
Je n’ai pas eu un seul jour de congé pendant cette période. Aucune autre infirmière n’a pris ma place pour me donner un répit. Loin de moi l’idée de vouloir faire acte d’héroïsme. C’était simplement parce qu’il n’y avait aucune autre infirmière pour prendre la relève. Et quand on est au cœur d’une pandémie, on ne peut pas vraiment abandonner. Mes collègues se sont attelés à la tâche, et nous avons traversé cette expérience ensemble. Nous nous sommes serré les coudes, nous avons pleuré, nous sommes restés sans voix et nous nous sommes battus ensemble pour cette communauté. La situation n’est pas réglée. Et nous le savons.
J’ai eu la même réflexion que presque tout le monde sur la planète : « Nous avons traversé une année sans précédent ». Dans ma communauté, nous pouvons encore percevoir la tempête qui fait rage autour de nous, mais nous sommes reconnaissants de ne plus être dans l’œil du cyclone. Nous prions aussi pour ne pas être à nouveau jetés dans le tourbillon.
Alors que nous nous démenons encore pour garder le dessus, nous continuons à administrer des vaccins, à sensibiliser la population et à fournir des ressources pour atténuer le traumatisme qui a foudroyé notre communauté.
Emma Leon, inf. aut., B. Sc. inf., est infirmière en santé communautaire dans une région rurale du Nord de la Colombie-Britannique. Elle a eu le privilège d’occuper ce poste au cours des trois dernières années. Avant d’occuper son poste actuel, Mme Leon a travaillé comme infirmière en soins actifs pendant cinq ans dans un petit hôpital qui compte six lits en soins actifs, six lits de soins de longue durée et une urgence de trois places. Emma Leon a passé toute sa carrière infirmière dans un contexte rural et autochtone. Elle a fait ses études à l’Université de Northern British Columbia. Elle adore la diversité qu’apporte le travail en milieu rural, le défi de sortir des sentiers battus pour répondre aux besoins de chaque patient et la joie d’apporter des changements significatifs et durables dans la vie des gens.
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