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Les gouvernements doivent agir sans tarder pour enrayer la pénurie mondiale de personnel infirmier
Dec 6, 2021, By: Laura Eggertson
La consultante en élaboration des politiques en matière de santé Lisa Little sait quelque chose que beaucoup de gouvernements ne reconnaissent pas.
« Sans personnel infirmier, le système de santé ne tient pas la route », tranche-t elle.
Lisa Little, infirmière autorisée, a passé les 30 dernières années de sa carrière à exhorter les gouvernements du Canada et du monde à avoir recours au personnel infirmier de façon créative comme pilier de leurs systèmes de soins de santé.
La pandémie de COVID 19 a mis en lumière le rôle essentiel du personnel infirmier comme nulle autre crise ne l’avait fait depuis la grippe espagnole, il y a plus d’un siècle.
Mais, malgré tous les hommages sur les médias sociaux et les manifestations dans les rues, partout dans le monde, le personnel infirmier continue de se battre pour obtenir une vaccination prioritaire, de l’équipement de protection individuelle (ÉPI) efficace et une rémunération adéquate, souligne Lisa Little.
Elle se fait du mauvais sang en pensant à ses collègues qui portaient des sacs de poubelle plutôt qu’un ÉPI adéquat pour se protéger et éviter de rapporter la COVID 19 du travail.
Elle cite l’exemple de l’Alberta, où le personnel infirmier est récemment descendu dans la rue pour protester contre les réductions salariales annoncées.
« Les gouvernements perçoivent encore le personnel infirmier comme un coût. Ils doivent changer de perspective et nous voir comme un investissement. Il est prouvé depuis longtemps que les services infirmiers sont efficaces pour réduire les dépenses de soins de santé », fait elle remarquer.
Pénuries imminentes
Selon le Conseil international des infirmières (CII), même avant la pandémie, le monde pouvait s’attendre à une pénurie de 10,6 millions d’infirmières et infirmiers d’ici 2030. Lisa Little fait partie du conseil d’administration de la fédération mondiale, où elle représente les Amériques depuis 2017. Son mandat a récemment été renouvelé pour quatre autres années.
Dans un rapport qu’elle a co rédigé en 2009 – soit plus d’une décennie avant la pandémie – pour l’Association des infirmières et infirmiers du Canada (AIIC), on estimait que 60 000 infirmières et infirmiers autorisés manqueraient à l’appel au Canada avant 2022.
La COVID 19 a précipité la crise des ressources humaines. Selon l’Organisation mondiale de la Santé, on déplore plus de 115 000 décès liés à la COVID 19 parmi les travailleurs de la santé, dont bon nombre parmi le personnel infirmier. Le CII estime que ce chiffre est probablement beaucoup plus élevé, ajoute Lisa Little.
Ces décès et la pression que la pandémie fait peser sur les membres du personnel infirmier ont forcé beaucoup d’entre eux à prendre une retraite anticipée ou à quitter la profession, ce qui a fait passer la pénurie imminente à 13 millions d’infirmières et infirmiers dans le monde.
La pénurie de personnel infirmier est la plus grande inquiétude de Lisa Little. Infirmière en soins intensifs avant d’entrer à l’AIIC puis de lancer sa propre entreprise en tant que consultante, elle comprend la pression qu’exerce la pandémie sur les infirmières et infirmiers.
Lisa Little défend depuis longtemps les intérêts des infirmières et infirmiers praticiens.
Traumatisme de masse
Elle et ses collègues du monde entier parlent de « traumatisme de masse ».
Après avoir travaillé pendant plus de 18 mois avec des ressources limitées et des charges de travail énormes, souvent sans vacances ni pauses, de nombreux infirmiers et infirmières partent en congé ou démissionnent carrément.
En réaction, les provinces se font concurrence pour recruter au sein d’une main d’œuvre infirmière restreinte. Certains hôpitaux de l’Ontario offrent des primes allant jusqu’à 75 000 $ aux infirmières et infirmiers prêts à déménager dans la province et à travailler dans leurs services de soins intensifs.
Selon Lisa Little, cette concurrence ne fera qu’aggraver les inégalités en matière de santé, les régions et les hôpitaux les mieux nantis ayant plus de moyens que les autres pour attirer et maintenir en poste le personnel infirmier.
La solution consiste à financer davantage de places dans les facultés de sciences infirmières et les volets de formation en ligne, croit Lisa Little, plutôt que d’embaucher des infirmières et infirmiers d’autres pays dans le cadre « d’une migration contraire à l’éthique ».
Elle a passé la majorité de sa carrière à creuser les questions de ressources humaines en soins infirmiers. Des cadres nationaux, des initiatives politiques et le plaidoyer peuvent apporter des changements importants, tant pour le personnel infirmier que pour les patients.
« Il est très valorisant de rester ancré dans le domaine des soins infirmiers tout en apportant sa contribution sur la scène politique », confie t elle.
Réseau virtuel
Les compétences de Lisa Little ont été immédiatement sollicitées au début de la pandémie, alors que les gouvernements s’efforçaient de concilier une main d’œuvre infirmière restreinte avec la hausse de la demande. Pour gérer la flambée de COVID 19 en contexte de pénurie chronique de personnel infirmier, le territoire du Nunavut l’a embauchée pour qu’elle contribue à la mise en œuvre d’un programme virtuel de soins infirmiers en santé publique.
Elle a mis sur pied un réseau virtuel de 40 membres du personnel infirmier de la santé publique de partout au Canada, qui recherchaient les contacts des personnes qui présentaient des symptômes de COVID 19 ou dont le test était positif dans le territoire et leur assuraient un suivi.
« Certains de ces infirmiers et infirmières avaient d’autres emplois, mais ils nous ont aidés les fins de semaine, tout simplement parce qu’ils étaient déterminés à donner aux Nunavummiuts aux prises avec la COVID 19 un accès adéquat aux soins de santé publique », affirme-t elle.
Elle aide aussi le gouvernement à élaborer des stratégies telles que le recours à des infirmières et infirmiers praticiens pour offrir des soins primaires sur le territoire.
La défense des intérêts des infirmières et infirmiers praticiens est depuis longtemps un des chevaux de bataille de Lisa Little. Pendant ses 10 années à l’AIIC, elle a supervisé le volet des ressources humaines en santé de l’Initiative canadienne sur les infirmières et infirmiers praticiens. En 2006, l’Initiative a publié Les infirmières et infirmiers praticiens : Le temps est arrivé, qui formulait 13 recommandations sur la façon d’intégrer les infirmières et infirmiers praticiens au système de soins de santé canadien.
Pendant les trois années qui ont précédé la publication du rapport, Lisa Little a parcouru le Canada pour s’entretenir avec des infirmières et infirmiers praticiens et élaborer des modèles de pratique, des stratégies de formation, de recrutement et de maintien en poste, ainsi que des plans de déploiement.
« Il s’agissait d’une pièce maîtresse qui a permis de faire évoluer la pratique des infirmières et infirmiers praticiens », précise t elle.
Les infirmières et infirmiers praticiens : une ressource sous-exploitée
Aujourd’hui, Lisa Little est fière que le nombre d’infirmières et infirmiers praticiens œuvrant dans une diversité de contextes soit plus élevé que dans le temps où elle travaillait pour l’AIIC.
Maintenant que les interventions liées à la COVID 19 ont démontré la valeur des soins virtuels, elle espère que les plateformes d’offre améliorées accentueront le recours aux infirmières et infirmiers praticiens lorsque les employeurs en soins de santé réuniront les deux ressources.
Mais le potentiel des infirmières et infirmiers praticiens demeure sous-exploité, et ceux ci pourraient être plus amplement déployés en gestion des maladies chroniques et, pour des cas peu aigus, dans les services d’urgence, croit elle.
À son avis, le savoir faire infirmier a également été sous utilisé dans le déploiement des vaccins au Canada. Habituellement, le personnel infirmier de la santé publique met sur pied et supervise des centres de vaccination contre la grippe dans chaque province et territoire. Mais durant la pandémie, le personnel infirmier était souvent absent à la table de décision ou d’élaboration des politiques lors du déploiement du vaccin.
Par exemple, aucun infirmier ou infirmière n’était présent à la table de concertation scientifique sur la COVID 19 en Ontario, illustre Lisa Little. Dans certaines provinces, les membres du personnel infirmier ne figuraient même pas sur la liste de vaccination prioritaire.
« Le personnel infirmier et les médecins devraient prendre part au processus de façon équilibrée, affirme Lisa Little. Malheureusement, le système de soins donne encore les leviers de commande aux médecins. […] Au Canada, nous n’avons pas maximisé le savoir-faire du personnel infirmier en santé publique dans le déploiement du vaccin ou dans la prise en charge générale de la pandémie de COVID 19. »
Le travail politique et travail de plaidoyer sont nécessaires pour apporter ces changements.
Nous avons besoin de dirigeants « prêts à prendre des risques »
« C’est de leadership dont nous avons besoin, de gens prêts à prendre des risques. Le statu quo ne nous mènera nulle part », martèle Lisa Little.
Elle continue à assumer ce rôle au CII.
Une de ses grandes réalisations est d’avoir transformé le Congrès biennal du CII en événement virtuel.
La participation virtuelle a permis une plus grande accessibilité à l’événement, surtout pour le personnel infirmier de pays à faibles revenus, qui n’ont désormais plus à assumer les frais de déplacement et qui bénéficient de tarifs d’inscription réduits.
« Ce fut l’un de nos congrès les plus riches; il proposait plus d’ateliers, de colloques, de séances simultanées et de conférenciers principaux que jamais auparavant, ajoute t elle. Les leçons tirées de la COVID 19 ont occupé l’avant scène. »
Avec son travail de consultation auprès du gouvernement du Nunavut et d’autres clients et son bénévolat auprès du CII, Lisa Little affirme que les 18 derniers mois ont été les plus affairés de sa carrière.
Elle occupe ses rares temps libres à faire du kayak, de la natation et de la randonnée avec son partenaire Jacques Desjardins, au nord de Winchester, en Ontario, où ils habitent. Un jour, elle espère qu’ils pourront recommencer à voyager, au Portugal ou en Irlande, qui figurent sur sa liste de souhaits.
Entre-temps, elle continue de redonner à sa communauté, en présidant le conseil d’administration d’une résidence de soins infirmiers à Winchester.
« J’ai travaillé avec beaucoup de gens formidables, dit-elle de ses expériences jusqu’à présent. J’ai ainsi pu apprendre en cours de route et mettre à profit la force du travail clinique, de l’enseignement, de la gestion et des politiques de l’AIIC. »
Laura Eggertson est journaliste indépendante à Wolfville, en Nouvelle Écosse.
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