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La nouvelle série télévisée The Porter se penche sur l’histoire mouvementée des infirmières noires
Feb 18, 2022, By: Laura Eggertson
Thelma Moore n’avait que 21 ans à l’été 1940, lorsque l’école de « gardes-malades » de l’Hôpital général de Toronto a anéanti son rêve de rallier les rangs de ses pairs blancs.
Thelma Moore avait écrit à l’école pour demander un formulaire de candidature, expliquant qu’elle était « de couleur », selon une lettre de son père, où il raconte son rejet ultérieur.
« En réponse, elle a reçu une lettre lui annonçant qu’il n’y avait pas de place vacante, mais n’a jamais reçu le formulaire. Elle a réécrit à l’école sous un autre nom (son nom en espagnol) et une autre adresse », explique Arthur C. Moore, le père de Thelma, dans sa lettre adressée au président de la Toronto Coloured Liberal Association.
« Ils ont répondu en disant : « Contactez l’hôpital pour une entrevue. Dans le premier cas, ils ne voulaient pas l’accepter parce qu’elle était de couleur, ensuite, elle aurait été embarrassée si elle s’était présentée à une entrevue. »
La Seconde Guerre mondiale avait commencé un an plus tôt. Les forces alliées réclamaient à grands cris des infirmières, et 227 diplômées de l’école de soins infirmiers de Toronto feraient leur service.
Parmi elles, aucune Canadienne noire..
Bien après que les écoles américaines aient commencé à accepter des étudiantes afro américaines dans les cours de formation en soins infirmiers, soit dans les années 1870, les institutions canadiennes ont continué à refuser les candidates noires, y compris Thelma Moore.
Fondation de l’organisation Black Cross Nurses
Pour de nombreuses Canadiennes noires destinées à une vocation d’infirmière, la seule option, outre celle de se rendre aux États Unis pour y étudier et y exercer, était de se joindre à l’organisation Black Cross Nurses.
Cette organisation a été fondée par des femmes noires en 1920, à Philadelphie, comme aile de la Universal Negro Improvement Association (UNIA), une organisation politique et culturelle créée par Marcus Garvey, Jamaïcain de naissance, pour autonomiser et unir les membres de la diaspora africaine.
Des sections de l’UNIA et de la Black Cross Nurses ont vu le jour au Canada, où les membres militaient pour améliorer la vie des Canadiens noirs.
Les infirmières de la Black Cross n’avaient pas de formation officielle, car les écoles de soins infirmiers ne les acceptaient pas.
Malgré ces obstacles, les infirmières possédaient un vaste bassin de connaissances. Bon nombre d’entre elles prenaient soin de mères et de bébés à titre de sages-femmes. Elles s’occupaient des anciens combattants noirs, visitaient les malades, pansaient les blessures et offraient des conseils en matière de nutrition, d’hygiène et de santé publique et génésique, comme l’avaient fait les guérisseuses de leur communauté pendant des siècles.
Maintenir les Canadiens noirs en vie
Dans l’entre-deux-guerres, « les femmes noires sont devenues la source principale de soins de santé pour les Canadiens noirs », explique Sarah Jane (Saje) Mathieu, professeure agrégée d’histoire à l’Université du Minnesota, à Minneapolis.
Seule une poignée de médecins noirs pratiquaient au Canada, et les médecins blancs étaient à la fois intimidants et inabordables. Au Canada, les infirmières de la Black Cross, qui étaient pour la plupart des immigrantes des Caraïbes, avaient la confiance de leur communauté et pouvaient administrer des remèdes maison connus depuis des générations.
Après le service religieux, les dimanches, les infirmières de la Black Cross enseignaient notamment aux autres femmes l’importance de l’allaitement, la façon de protéger le lait des impuretés et le lien présumé entre la toux et la tuberculose, raconte Sarah Jane Mathieu.
« Ces infirmières sont devenues absolument vitales pour garder les Canadiens noirs en vie et à flot », renchérit Sarah Jane Mathieu, qui est aussi l’auteure de North of the Color Line: Migration and Black Resistance in Canada, 1870-1955.
« Les femmes noires sont devenues la source principale de soins de santé pour les Canadiens noirs. »
Une grande partie de cet ouvrage porte sur la vie et le rôle des Noirs porteurs de voitures-lits, qui travaillaient sur les chemins de fer canadiens et américains, récit qui a inspiré The Porter, une nouvelle série télévisée de la CBC et du service BET+.
La série en huit épisodes, en anglais seulement, dont la diffusion commencera en soirée le lundi 21 février 2022, met aussi en scène, parmi les personnages principaux, deux infirmières de la Black Cross mariées à des porteurs. Leurs rôles mettent en lumière la contribution importante et peu reconnue des infirmières dans l’histoire canadienne.
Annmarie Morais, productrice déléguée a découvert le mouvement infirmier en faisant des recherches pour cette série, qu’elle a co créée et co-écrite.
Le « cœur » de la communauté
« J’ai vraiment voulu montrer la fierté, le professionnalisme et les soins qu’incarnaient vraiment les infirmières de la Black Cross à travers les pays et les États », souligne-t elle.
L’organisation était une force puissante qui comblait les lacunes du système de soins de santé et se mettait au service des gens de couleur, comme les infirmières noires, autochtones et de couleur continuent de le faire, selon Annmarie Morais.
« Certaines ont suivi la formation d’Ambulance Saint Jean, afin d’apporter plus de compétences à leur communauté. Elles étaient au cœur des services de santé offerts à la communauté. Je veux simplement rendre hommage à ceux dont personne en soins infirmiers et en soins de santé n’a chanté les louanges pendant longtemps, qui font leur travail au quotidien et qui font le pont entre leurs communautés et les soins. »
La ségrégation des soins de santé et des écoles de soins infirmiers qui a donné naissance à l’organisation Black Cross Nurses ne représente pas un segment louable de l’histoire du Canada, souligne Karen Flynn, qui a aussi parlé de l’organisation, entre autres par écrit.
C’est pourquoi les infirmières de la Black Cross ne sont pas mieux connues, à son avis, même au sein de la communauté infirmière canadienne.
Les Noires rejetées par les écoles de soins infirmiers
« Penser aux infirmières de la Black Cross, c’est penser aux politiques d’exclusion des écoles de soins infirmiers canadiennes », avance Karen Flynn, professeure agrégée et directrice associée du département des études sur le genre et les femmes et des études afro-américaines à l’Université de l’Illinois, Urbana-Champaign.
Ce n’est que vers la fin des années 1940 que les écoles de soins infirmiers du Canada ont commencé à admettre les femmes noires, souligne Karen Flynn. Auparavant, ces femmes devaient se rendre aux États Unis pour suivre une formation en soins infirmiers, une solution qu’Arthur C. Moore a rejetée pour sa fille Thelma.
« Encore une fois, si on lui refusait l’admission en raison de sa couleur, cela m’obligerait à dépenser aux États Unis de l’argent canadien durement gagné, alors que ce serait injuste pour elle et créerait un terrible précédent de discrimination à l’égard des jeunes filles de couleur… que faire avec nos filles qui désirent suivre cette formation? », demande Arthur C. Moore dans sa lettre.
Le rejet de Thelma Moore et celui de Marisse Scott, une autre candidate noire qui s’est vu refuser l’accès à l’école de soins infirmiers de sa ville natale d’Owen Sound, en Ontario, a fini par susciter suffisamment d’attention de la part des médias et de pressions des Églises et des organisations telles que la Toronto Coloured Liberal Association pour que les écoles de soins infirmiers mettent fin à la ségrégation.
L’école de soins infirmiers de l’hôpital St. Joseph’s à Guelph, en Ontario, a admis Marisse Scott en 1947, à la suite de l’intervention d’un prêtre. Puis, en 1948, Ruth Bailey et Gwennyth Barton sont devenues les premières infirmières noires à obtenir leur diplôme d’une école canadienne, soit la Grace Maternity School of Nursing, à Halifax.
Cependant, même après avoir été admises, peu d’étudiantes noires étaient en mesure d’exercer leur profession, souligne Sarah Jane Mathieu.
« En réalité, jusque dans les années 1960, les universités canadiennes autorisaient parfois à contrecœur les femmes noires à étudier les soins infirmiers, mais elles ne leur accordaient pas la possibilité de faire des stages en milieu hospitalier. Ces femmes ne pouvaient pas se faire embaucher par des médecins. »
La douleur des rêves refusée
Les Canadiens aiment que l’histoire les célèbre; ils aiment par exemple souligner les réalisations de Ruth Bailey et de Gwennyth Barton, ajoute Karen Flynn, auteure de Moving Beyond Borders: A History of Black Canadian and Caribbean Women in the Diaspora.
Pourtant, malgré la fierté qu’inspire au Canada le fait d’avoir ouvert ses frontières aux anciens esclaves et aux gens de couleur libres, « on y renforçait des inégalités semblables à celles qui persistaient aux États Unis », fait elle remarquer.
Karen Flynn est heureuse que la série The Porter ouvre une fenêtre sur l’expérience de certaines de ces femmes noires, même si elle pense que leur reconnaissance est tardive dans le processus d’autodécouverte du Canada.
« Nous ne voulons pas nous lancer sur la signification du refus pour ces infirmières, qui fait aussi partie de l’histoire. À quel point elles ont dû être blessées! Je pense à leur douleur. », déplore Karen Flynn.
Le racisme systémique dans la formation des infirmières au Canada a provoqué un exode des cerveaux, souligne Sarah Jane Mathieu : des femmes noires qui s’étaient vu refuser l’accès aux écoles canadiennes se tournaient vers d’autres écoles, à New York, Nashville, Chicago ou Washington.
Thelma Moore s’est rendue à New York, où elle a travaillé dans l’industrie alimentaire et a exploité son entreprise de restauration. Elle s’est éteinte en 2010, à l’âge de 91 ans.
Après avoir obtenu son diplôme, Marisse Scott a elle aussi quitté le Canada, afin d’œuvrer pour le ministère de la Santé de Sainte Lucie.
« Comme Canadiens et, je pense, comme Canadiens blancs en particulier, nous devons réfléchir à ce que signifie ce pan de notre histoire », estime Karen Flynn.
Annmarie Morais espère que la série The Porter incitera les téléspectateurs à élargir leurs connaissances.
« Nous espérons que les gens chercheront à s’informer sur les infirmières de la Black Cross – ainsi que sur les porteurs et les événements que nous mettons en lumière tout au long de la série – et qu’ils découvriront ces chapitres méconnus de l’histoire du Canada, de notre histoire de progrès et de changement. »
Laura Eggertson est journaliste indépendante à Wolfville, en Nouvelle Écosse.
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