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Une conteuse de talent aide les patients à raconter leur récit sur une plateforme numérique
Mar 7, 2022, By: Laura Eggertson
Chantalle Clarkin s’entretenait avec des adolescentes enceintes ou mères lorsque la genèse de sa carrière actuelle en tant qu’infirmière chercheuse en soins de santé fondés sur l’art a pris forme.
C’était en 2015, et les émissions de téléréalité sur les mères adolescentes étaient en vogue.
Chantalle Clarkin travaillait alors en recherche qualitative au Centre hospitalier pour enfants de l’est de l’Ontario (CHEO). Elle menait aussi un projet de recherche doctoral sur l’expérience de ces jeunes femmes, qui vivaient dans un refuge de maternité temporaire, en matière d’information sur la santé périnatale.
Elle a appris que les représentations culturelles défavorables des adolescentes enceintes à la télévision nuisaient aux soins de santé que recevaient les jeunes femmes d’Ottawa.
« Elles étaient réticentes à accéder aux services de santé, car elles se sentaient jugées », explique Chantalle Clarkin.
Mais la vidéographie était aussi une source d’information influente pour ces jeunes femmes, en particulier les vidéos créées pour les jeunes et avec leur collaboration. Pour établir un lien significatif avec ces jeunes femmes, Chantalle Clarkin s’est rendu compte qu’elle devait apprendre à réaliser des films.
Six ans plus tard, Chantalle Clarkin, qui a terminé son doctorat, est cinéaste et chargée de projet scientifique au Centre de toxicomanie et de santé mentale (CAMH) à Toronto. Conteuse de talent sur plates-formes virtuelles, elle aide les jeunes à raconter leurs propres histoires, tout en documentant les répercussions de la vidéo et d’autres formes d’arts sur la santé.
L’application Your Storyline
Chantalle Clarkin et son équipe sont en voie de créer une application nommée Your Storyline (Ton scénario) pour aider les patients à consigner leurs expériences de santé et à y réfléchir. Elle espère que l’application leur donnera un moyen d’humaniser leur dossier médical en enregistrant de courts métrages leur permettant de communiquer aux fournisseurs de soins de santé ce qui est important pour eux.
Les patients pourraient aussi créer des vidéos pour consigner leur parcours en santé ou pour décrire leurs antécédents à des moments où ils ne sont pas en état de crise.
Bien que Chantalle Clarkin affirme qu’une grande partie de sa carrière s’est déroulée par « accident », ses réalisations dans ce nouveau domaine des soins de santé lui ont valu d’être reconnue.
En 2020, son heureuse combinaison de trois domaines – soins infirmiers, réalisation de films et recherche – lui a valu un prix d’infirmière innovatrice de la fondation des infirmières et infirmiers autorisés de l’Ontario, ainsi qu’une bourse de 30 000 $.
« Je n’ai jamais eu l’intention de devenir cinéaste, lance-t elle en riant. Je n’ai jamais prétendu devenir le prochain (Martin) Scorsese. C’était simplement un moyen de faire un travail qui me semblait intellectuellement honnête ».
Chantalle Clarkin est profondément attachée au rôle que la narration peut jouer en soins de santé.
Elle a appris le pouvoir de la narration en tant qu’infirmière en chirurgie pédiatrique au CHEO, où elle a travaillé pendant six ans après avoir obtenu son diplôme en soins infirmiers du Cégep Heritage College à Gatineau, au Québec.
Comme l’environnement chirurgical était « très rapide et incroyablement hiérarchisé », Chantalle Clarkin explique être retournée aux études à temps partiel pour obtenir son baccalauréat en sciences infirmières de l’Université d’Ottawa. La combinaison des études avec un travail à temps plein l’a menée à l’épuisement professionnel.
De meilleures questions
Elle a alors rencontré une enseignante, qui effectuait elle aussi des recherches qualitatives et qui lui a recommandé de cultiver sa curiosité dans sa pratique au chevet des patients, afin d’établir des liens plus étroits avec eux et avec leur famille.
Ce changement de perspective l’a amenée à recadrer ses questions. Plutôt que de demander aux patients de mesurer la douleur uniquement sur une échelle de 1 à 10, par exemple, elle les a invités à raconter leur récit et à décrire leurs expériences plus en profondeur.
Les patients lui ont donné des réponses du genre : « j’ai l’impression de me faire piquer incessamment par des guêpes en colère », qui lui ont permis d’éprouver une plus grande empathie et de mieux les comprendre.
« J’ai réalisé que je pouvais aller beaucoup plus loin en tant qu’infirmière, et que mes patients pouvaient être beaucoup plus satisfaits, lorsque j’ai commencé à… prêter davantage l’oreille à leur récit », explique Chantelle Clarkin.
Cette connexion humaine avec les patients lui a aussi permis d’atténuer son état d’épuisement professionnel.
« Ça m’a ramenée aux raisons pour lesquelles je voulais devenir infirmière au départ », confie-t-elle.
« C’était simplement un moyen de faire un travail qui me semblait intellectuellement honnête. »
Chantelle Clarkin a aussi eu le coup de foudre pour la recherche lorsqu’elle étudiait au baccalauréat. Elle a réalisé que comprendre la littérature universitaire n’était qu’un début : son point de vue pouvait aussi apporter une contribution.
L’obtention d’une maîtrise après son baccalauréat a aussi remis en question ses idées préconçues quant à la valeur des soins infirmiers universitaires et de la recherche en sciences infirmières.
Avant que Chantelle Clarkin devienne chercheuse, elle et certains de ses collègues cliniciens qualifiaient le personnel infirmier universitaire et les administrateurs de « gratte papiers », déconnectés des soins infirmiers cliniques.
Puis, elle a découvert qu’il était non seulement passionnant mais aussi enrichissant de se pencher sur des problèmes et de recueillir des données, en plus de contribuer au changement. Elle a fait la transition vers une carrière en recherche au CHEO, tout en travaillant à son doctorat.
Le projet de recherche auprès d’adolescentes sans abri a ramené Chantelle Clarkin à l’importance de la narration et à l’effet de la cinématographie. Ainsi, en 2017, elle a pris une pause de son doctorat pour étudier les médias et la réalisation de films documentaires au Documentary Filmmaking Institute du Collège Seneca à Toronto.
L’art burlesque
Dans une autre tournure inattendue de sa propre histoire, son premier court métrage documentaire portait sur son expérience de l’apprentissage et de la pratique de la danse burlesque. Son documentaire, Hips Straight, Eyes Open, porte sur l’image et la représentation du corps.
Grâce à cette expérience, Chantalle Clarkin a réalisé à quel point il est rare de voir des films montrant le mouvement et la danse de silhouettes corpulentes, et encore plus de rendre hommage à ces corps sur scène et devant un public.
Renouer avec son corps grâce à l’art burlesque a été pour elle une « expérience transformatrice ». « Je ne crois pas m’être jamais sentie aussi confiante et pleine de vie ».
La réalisation du documentaire a renforcé le désir de Chantalle Clarkin de mettre à profit la cinématographie dans le domaine de la santé. Elle est retournée à Ottawa et a travaillé avec de jeunes mères dans le cadre d’un projet de narration numérique axé sur les débuts de leur vie, leurs traumatismes et leurs troubles de santé mentale.
Ce projet ainsi que d’autres fonctions de consultante en narration numérique l’ont conduite en 2019 à une bourse postdoctorale au CAMH sur les traumatismes liés au développement et la résilience. Elle s’est aussi retrouvée dans un poste de directrice associée au HeArt Lab, un laboratoire spécialisé dans l’équité en matière de santé, l’art, la recherche et la technologie, fondé par la Dre Allison Crawford.
Ces deux postes ont permis à Chantalle Clarkin d’utiliser la vidéographie et d’autres formes de médias dans le domaine de la santé mentale. Elle s’intéresse particulièrement aux problèmes d’adversité dans la petite enfance et à leur incidence sur la santé, ainsi qu’à des façons d’assurer que les soins de santé ouvrent la porte à ces jeunes et à leurs récits, façons qui tiennent compte de leurs traumatismes.
Une blessure dévastatrice
Aujourd’hui, en tant que chargée de projet scientifique, elle collabore avec le Service canadien de prévention du suicide et se passionne pour les récits numériques par l’intermédiaire de HeArt Lab. En collaboration avec la Dre Crawford, Chantalle Clarkin vient de mettre la touche finale à For Those Who Come Next, un documentaire sur les expériences de jeunes issus du système de protection de la jeunesse et qui se portent à la défense des enfants.
Malgré les épreuves découlant de la COVID et les enjeux difficiles sur lesquels elle travaille, Chantalle Clarkin trouve du réconfort en s’adonnant à la peinture, en écoutant des films, en cuisinant avec son conjoint, Jorge, et en se promenant avec ses chihuahuas, Pippa et Willis.
Sa volonté d’élaborer l’application Your Storyline s’est intensifiée durant la pandémie, lorsque sa sœur aînée, Christianne, a subi une lésion médullaire dévastatrice.
« Elle s’est retrouvée dans un centre de réadaptation sans avoir l’impression que quiconque comprenait vraiment ses objectifs personnels et les réalités de sa vie, raconte Chantalle Clarkin. Il y avait tellement d’obstacles à la communication (avec les fournisseurs de soins de santé), surtout durant la pandémie. »
Si Christianne avait eu accès à l’application Your Storyline pour se présenter à son équipe soignante, elle aurait pu l’inclure dans son dossier électronique, afin de « redonner sa place à la personne qu’est aussi le patient ». Christianne aurait pu aussi utiliser l’application pour documenter son parcours de guérison et y réfléchir.
Chantalle Clarkin espère qu’un prototype de l’application Your Storyline sera prêt aux fins d’essai pour le personnel infirmier, les autres fournisseurs de soins de santé et les patients d’ici le printemps 2022.
Le fait d’aider sa sœur à s’orienter dans le système de soins de santé a cristallisé la résolution de Chantalle Clarkin à faire tout ce qui est en son pouvoir pour mettre en priorité la perspective des patients, notamment en utilisant l’art et la technologie pour raconter leur histoire.
Dans le monde médical, certains considèrent encore la recherche en santé fondée sur les arts comme une activité marginale, fait remarquer Chantalle Clarkin. Mais en tant qu’artiste visuelle et chercheuse en sciences infirmières, elle est une fervente partisane du pouvoir réparateur de l’art.
Elle a constaté que l’art peut améliorer des vies, lorsque des personnes habilitées à raconter leur propre histoire s’en servent pour aider les autres.
L’objectif professionnel de Chantalle Clarkin est de continuer à utiliser la technologie fondée sur les arts afin de créer un espace pour les récits et la narration en soins de santé.
« Je ne m’étais pas sentie aussi proche de la profession infirmière depuis de nombreuses années », s’exclame t elle.
Laura Eggertson est journaliste indépendante à Wolfville, en Nouvelle Écosse. Elle a facilité des projets de narration numériques avec Chantalle Clarkin.
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