https://www.canadian-nurse.com/blogs/cn-content/2022/07/18/prison-inmates-deserve-access-to-high-quality-pall
Un appel à l’action afin de répondre à la détresse des personnes incarcérées en phase terminale
Par Mar’yana Fisher
18 juillet 2022
Récemment, on m’a dit que l’enjeu de la qualité et de l’accessibilité des soins palliatifs pour les détenus des prisons canadiennes ne relève pas de la pratique infirmière. Bien que cette affirmation soit troublante, elle ne m’a pas découragée.
La profession infirmière n’est elle plus responsable de fournir des soins palliatifs? L’éthique de notre pratique ne préconise t elle pas la défense des besoins de tous les patients, sans discrimination? Ou bien notre fibre morale s’est elle effilochée pendant la pandémie de COVID 19, et avec elle, la bienveillance de notre profession?
En me débattant avec ces questions, je réfléchis à la remarque de l’entrepreneur américain Aaron Levie selon qui « l’innovation est difficile parce qu’au départ, résoudre des problèmes dont les gens ignoraient l’existence et construire quelque chose dont personne n’a besoin semblent identiques » [TRADUCTION LIBRE].
Soins palliatifs, mort et dignité
Les démarches palliatives durables en matière de soins aux détenus et la préservation de la dignité dans la mort et le mourir dans les limites de l’incarcération sont deux enjeux qui n’obtiennent pas une attention suffisante au Canada, à tous les niveaux du discours public et des soins de santé. Néanmoins, la résolution de ces problèmes a d’importantes incidences éthiques et financières, notamment pour les systèmes de soins de santé.
À l’heure actuelle, les soins palliatifs offerts aux détenus canadiens relèvent en grande partie de Service correctionnel du Canada, qui n’a jamais été conçu ni équipé pour fournir de tels soins. En prison, la fin de vie des détenus est lourde de craintes pour la sécurité personnelle, d’une grande souffrance en raison de la douleur non traitée et d’un sentiment d’isolement.
Le droit de mourir dans la dignité doit être défendu à titre de privilège universel.
Le nombre de personnes vieillissantes et mourantes en milieu correctionnel augmente pour des raisons qui dépassent la portée du présent article, et la nécessité d’aborder leurs préoccupations en matière de santé et de protéger le caractère sacré d’une mort digne suit le même mouvement. Actuellement, 25 % de la population carcérale fédérale canadienne est âgée de 50 ans ou plus, et cette proportion devrait augmenter (Bureau de l’enquêteur correctionnel, 2020). En parallèle, le manque de personnel qualifié et formé pour fournir des soins spécialisés en milieu correctionnel constitue un obstacle de plus à l’offre de services palliatifs et à la reconnaissance des besoins holistiques des détenus en phase terminale (Burles, Holtslander et Peternelj Taylor, 2021).
Le droit de mourir dans la dignité doit être défendu à titre de privilège universel, indépendamment de l’âge, du sexe, de la nationalité et du contexte social. Par ailleurs, en raison de la surreprésentation des personnes socialement désavantagées en prison, leurs besoins de santé sont complexes et coûteux (Ontario Expert Advisory Committee on Health Care, 2019). Au delà de l’impératif moral sociétal de préserver le droit de mourir dans la dignité pour tous, une démarche palliative durable en matière de soins dans les prisons ainsi qu’à l’extérieur peut améliorer la qualité des soins, atténuer la souffrance et réduire les coûts faramineux des soins de santé associés aux pratiques actuelles.
Plaidoyer
Les infirmières et infirmiers canadiens, quel que soit leur domaine de pratique, sont bien placés sur le plan professionnel pour plaider activement en faveur de la qualité et de l’accessibilité des soins palliatifs pour les détenus, tant en milieu carcéral que dans la communauté, le cas échéant. Les micro, méso et macroactions du personnel infirmier sont essentielles à la progression des bourses d’études, de la recherche, de l’enseignement, de l’élaboration des politiques, et, ce qui compte encore plus, de la formulation de directives cliniques et procédures pratiques qui favoriseront l’offre de soins palliatifs holistiques aux personnes en phase terminale détenues par les autorités.
Par exemple, sur le plan des microactions, la discrimination, la stigmatisation liée à l’incarcération et la méfiance à l’égard du système de soins de santé font obstacle à l’établissement de liens et de relations thérapeutiques entre le personnel infirmier et les détenus. Pour surmonter ces obstacles, le personnel infirmier peut recourir à la coopération relationnelle pour favoriser un respect mutuel dans ses rapports avec les patients incarcérés et leur famille et fournir des soins tenant compte des traumatismes, car la piètre santé des détenus est souvent ancrée dans les expériences antérieures liées au colonialisme, au racisme, aux agressions, à la pauvreté et à la violence. En outre, les infirmières et infirmiers enseignants peuvent inciter la relève infirmière à réfléchir à ses croyances et à ses préjugés personnels afin de favoriser l’offre de soins compatissants à divers groupes.
Sur le plan des mésoactions, l’absence de lignes directrices en matière de qualité et d’outils d’évaluation des soins palliatifs conçus pour les détenus empêche l’identification rapide de ces patients et l’exécution d’interventions cruciales qui soulageraient leurs souffrances et douleurs inutiles. Par exemple, l’échelle de performance pour patients en soins palliatifs, qui évalue la mobilité des patients, l’absorption orale et le niveau d’activité des patients (entre autres indicateurs) est largement utilisée dans les hôpitaux et dans la communauté, mais n’a pas d’équivalent pour la population carcérale. Pourtant, le contexte de vie des détenus, celui des soins aux patients et les conditions environnementales de l’évaluation sont radicalement différents. En comblant ce fossé, le personnel infirmier peut élaborer des lignes directrices et des cadres de travail fondés sur les meilleures données probantes, qui peuvent orienter les interventions appropriées pour les détenus en phase terminale et contribuer à la promotion d’une démarche palliative en matière de soins, qui soient offerts en temps opportun.
Sur le plan de la justice sociale, le plaidoyer des infirmières et infirmiers comprend la participation active à la réforme des politiques, la création de partenariats communautaires uniques, l’orientation des changements organisationnels et la promotion d’un changement de paradigme pour assurer un accès équitable des détenus aux soins palliatifs. Il faut examiner de près les hégémonies qui sous tendent les politiques sociales et économiques actuelles dans les domaines des droits de la personne, de la justice pénale et des systèmes de soins de santé. Plus précisément, le personnel infirmier peut aider à repenser les politiques qui favorisent la libération rapide et compatissante des détenus en phase terminale et qui accordent la priorité aux dépenses gouvernementales pour le développement d’infrastructures essentielles, comme les soins de fin de vie en milieu carcéral et les placements communautaires.
Le « géant endormi »
En 1998, au Royaume-Uni, le Royal College of Nursing avait qualifié la main d’œuvre infirmière de « géant endormi ». Je crois que cette perception est tout aussi vraie de nos jours. Peut-être à son insu, le personnel infirmier représente une autorité considérable en tant qu’agent de changement dans la promotion du mieux être, l’avancement des innovations dans le milieu de la santé et la conception de systèmes de soins de santé viables. Alors qu’il en va de même pour tous les domaines de la pratique, les populations vulnérables du Canada, comme la population carcérale, tireraient de grands bienfaits des efforts déployés par le personnel infirmier pour répondre à cet appel et utiliser une optique sociale essentielle pour la prestation des soins palliatifs.
Les groupes vulnérables de nos communautés se butent à des obstacles fondamentaux en ce qui concerne les stratégies palliatives, tant sur le plan de l’accès que de la disponibilité. Parmi ces services, l’offre de soins palliatifs aux détenus souffre d’une lacune qui ne cesse de se creuser. Indépendamment de la remarquable dissonance éthique qui prévaut entre les principes de la bioéthique et la rigidité du contexte correctionnel, la défense des intérêts des détenus qui ont besoin de soins palliatifs constitue un impératif moral infirmier de premier ordre, et ce, dans toutes les sphères d’influence des soins infirmiers.
Références
Burles, M., Holtslander, L. et Peternelj Taylor, C. « Palliative and hospice care in correctional facilities: Integrating a family nursing approach to address relational barriers », Cancer Nursing 44(1), 2021, p. 29 36.
Bureau de l’enquêteur correctionnel. Rapport annuel, 2019-2020. Toronto : Auteur, 2020.
Ontario Expert Advisory Committee on Health Care. Transformation in corrections. Transforming health care in our provincial prisons. Toronto : Auteur, 2019.
Royal College of Nursing. Imagining the Future: Nursing in the New Millennium. Londres : UKRCN, 1998.
Mar’yana Fisher, LLB, B.A. (psychologie), B. Sc. inf., est infirmière autorisée spécialisée en soins palliatifs à l’hôpital général de Vancouver et est sur le point d’obtenir sa maîtrise en sciences infirmières.
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