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Les soins virtuels sont l’un des meilleurs moyens de rattraper le retard accumulé depuis plusieurs années
Par Andrew Ward
2 août 2022
Messages à retenir
- Les effets secondaires liés aux restrictions de la COVID 19 sur les cohortes de patients en réadaptation aggravent le retard en cours pour les services chirurgicaux et exacerberont la demande de services communautaires pour les années à venir.
- Les retards pour les services chirurgicaux et les demandes de services communautaires exerceront une pression croissante sur les ressources limitées en soins infirmiers en Ontario.
- Les soins virtuels constituent une option viable pour atténuer le retard de services et offrir des programmes de coordination et de réadaptation pour la prise en charge de maladies chroniques chez les patients.
La pandémie de COVID 19 a entraîné une perturbation sans précédent des services chirurgicaux dans tout le Canada en raison des risques d’interventions médicales susceptibles de libérer des aérosols et de la pression exercée sur les ressources en soins infirmiers (Søreide et coll., 2022). Le 11 mars 2020, l’Organisation mondiale de la Santé a reconnu la COVID 19 comme une pandémie. À la suite de cette annonce, le gouvernement de l’Ontario a commencé à ordonner aux hôpitaux de commencer à réduire les services ambulatoires et les chirurgies non essentielles le 15 mars 2020.
Aux fins d’orientation de l’allocation des ressources, un modèle de stratification des risques — qui est un processus formel d’attribution des risques aux patients et de leur fournir le niveau de soins approprié pour améliorer les résultats de santé — a été élaboré pour les hôpitaux nord américains afin de mieux mettre en priorité les services chirurgicaux et ambulatoires (Stahel, 2020). Dans le cadre de ce modèle, toutes les chirurgies de remplacement des articulations non urgentes seraient examinées et prises en compte pour être minimisées, annulées ou reportées à un moment où la COVID 19 ne représenterait plus une pression sur les ressources en santé. Ce cadre de stratification des risques a aidé les chefs des services de chirurgie à classer les arthroplasties et l’arthroscopie totale du genou dans la catégorie des interventions non urgentes ou discrétionnaires et à les reporter pour une période minimale de trois mois ou jusqu’à ce que les directives de santé publique respectives soient modifiées.
L’Ontario compte plus de 14,7 millions d’habitants et est divisé en cinq régions sanitaires distinctes : Nord, Est, Toronto, Centre et Ouest. Plus de 640 000 interventions chirurgicales ont été réalisées dans plus de 90 salles d’opération en Ontario en 2019 2020. Comme la plupart des hôpitaux nord américains, ceux de l’Ontario ont classé leurs interventions chirurgicales respectives en quatre niveaux de priorité en fonction de l’état clinique du patient, afin de gérer les temps d’attente et la stratification du risque.
La littérature indique qu’une telle stratégie d’atténuation mènera à une incidence sans précédent sur la population de patients en attente d’une arthroscopie totale du genou en Ontario et un délai pour les chirurgies pendant plusieurs années, selon la durée pendant laquelle la COVID 19 crée une perturbation de services secondaire. Wang et coll. (2020), dans une étude de modélisation, ont estimé que le retard accumulé créé par le report des chirurgies non essentielles en Ontario du 15 mars au 13 juin 2020, était de 148 364 chirurgies et une augmentation moyenne mobile de 11 413 chirurgies supplémentaires pour chaque semaine où l’orientation de la politique provinciale est demeurée en place.
La meilleure option pour l’Ontario est de prendre des mesures immédiates en s’attaquant au retard croissant des chirurgies non essentielles.
Plus un patient attend longtemps pour une intervention chirurgicale, plus la probabilité que son état s’aggrave augmente. S’il n’est pas traité, l’état du patient continuera à se détériorer et à se déconditionner jusqu’à ce que ses symptômes s’exacerbent et que la priorité du patient devienne un besoin urgent ou immédiat d’une intervention chirurgicale. Sans intervention comme prévu, la cohorte de patients en attente d’une chirurgie pourrait devenir de moins en moins apte à prendre en charge avec succès sa réadaptation post chirurgicale, augmentant ainsi la demande de services de soins de santé à moyen et à long terme (Søreide et coll., 2020).
Les besoins accrus en matière de soins aux patients en attente d’une arthroscopie totale du genou et l’augmentation du nombre de chirurgies accusant un délai attribuable à la COVID 19 continueront de créer des tensions sur les ressources limitées en personnel infirmier et d’affecter négativement la qualité de vie des patients en Ontario pour les années à venir. À compter du 3 juin 2021, le gouvernement provincial de l’Ontario a transmis un avis aux hôpitaux selon lequel ils seraient autorisés à reprendre les chirurgies non essentielles s’ils respectent certains critères et règlements. Cependant, le 3 janvier 2022, le gouvernement a de nouveau mis en veilleuse certaines chirurgies non essentielles, compte tenu de l’incidence croissante du variant Omicron de la COVID 19 sur le système de santé (Tait, 2022).
L’objectif du présent article est de mettre en évidence l’effet secondaire lié aux restrictions de la COVID 19 sur la population de patients en attente d’une arthroscopie totale du genou et des répercussions pour les services infirmiers, et de promouvoir un appel à l’action pour le système de santé de l’Ontario.
L’enjeu professionnel
Stahel (2020) reconnaît que la directive du gouvernement de l’Ontario de reporter les chirurgies non urgentes a été transmise étant donné que les interventions discrétionnaires contribueraient à la propagation de la COVID-19 dans les établissements de soins de courte durée et immobiliseraient inutilement les ressources médicales qui seraient nécessaires pour faire face aux vagues d’apparition soudaine de la COVID 19. On suppose généralement qu’en tant que stratégie d’atténuation, l’interruption des chirurgies non urgentes et des programmes ambulatoires réduira la transmission potentielle de la COVID 19, sauvera des vies et libérera des capacités de soins de courte durée pour les services essentiels (Gomez et coll., 2021). Cependant, l’interruption des chirurgies non urgentes et des programmes ambulatoires pourrait entraîner une augmentation de la gravité des symptômes chez les patients, aggravant ainsi le délai des services et la demande accrue de services de soins de courte durée à l’avenir (Søreide et coll., 2020).
Stahel (2020) estime que plus de 50 % de tous les cas chirurgicaux jugés non essentiels ont le potentiel d’imposer un préjudice considérable aux patients en cas de report ou d’annulation. En outre, le report ou l’annulation d’une intervention chirurgicale peut entraîner un déclin de la santé du patient, une morbidité permanente et potentiellement créer un état de vulnérabilité accrue en raison des effets d’une infection par la COVID 19 (Waters et coll., 2021). Les décideurs doivent envisager de soupeser ces facteurs avec la nécessité de réduire la charge des soins de courte durée durant la pandémie de COVID 19. Il est important pour eux de se rappeler qu’une chirurgie non urgente ne signifie pas qu’elle est inutile.
Envisager les options
Lorsqu’on considère la question sous de multiples angles, deux options principales se présentent. La première option consiste à rattraper le retard en matière de chirurgie et de services une fois la pandémie terminée (Wang et coll., 2020). L’avantage de s’attaquer au retard après la fin de la pandémie permettrait au système de santé d’accorder toute son attention à la pandémie, qui est la priorité actuelle.
Alors que les perturbations causées par la COVID 19 dans le système de soins de santé ont commencé à s’estomper, l’hôpital de Humber River avait prévu que sa capacité chirurgicale serait de plus de 120 % en août et en septembre 2021 (Lee, 2021). Cependant, on ne sait pas combien de temps la pandémie limitera le système de santé, et comme il n’y a pas de date de fin certaine pour les perturbations liées à la COVID 19, l’arriéré des services chirurgicaux et des programmes ambulatoires continuera de s’accroître tant qu’un moratoire sur les services non essentiels sera en vigueur.
Une autre possibilité qui pourrait être envisagée par les chefs des services chirurgicaux et l’administration provinciale des soins de santé est de commencer à rattraper le retard avant la fin de la pandémie. Cette option nécessiterait la mise en œuvre de modèles de soins virtuels et de campagnes de sensibilisation du public pour une mobilisation immédiate et accrue des patients (Moynihan et coll., 2021). Une telle action immédiate ralentirait le rythme de l’augmentation du retard et pourrait éviter aux patients des difficultés et une morbidité excessives. Bien que la COVID 19 nécessite une attention particulière en tant que priorité pour notre système de santé, la meilleure option pour l’Ontario est de prendre des mesures immédiates en s’attaquant au retard croissant des chirurgies non essentielles.
Exploration de la meilleure option
La coopération systématique des patients auprès des professionnels de la santé a été entravée en raison de la nature incertaine et du risque de propagation de la COVID 19 et de la crainte d’être infecté en raison d’un contact indirect ou direct avec des patients atteints ou soupçonnés d’être atteints de la COVID 19. Malheureusement, les échanges limités contribuent à réduire l’accès des patients vulnérables aux programmes de soins de santé (Moynihan et coll., 2021). Souvent, les patients vulnérables en réadaptation présentent de multiples comorbidités, des capacités fonctionnelles réduites, des systèmes de soutien limités ou des difficultés avec certains aspects des déterminants sociaux de la santé.
En général, ces patients ont besoin d’une prise en charge des maladies chroniques et d’un suivi fréquent de la part de fournisseurs de soins de santé chevronnés, en raison des exigences accrues en matière de suivi des soins et d’évaluation systématique des patients en fonction de leur état. Les gestionnaires de cas ou les coordonnateurs de soins participent à la coordination des services dont les patients vulnérables ont besoin dans le cadre des pratiques de prise en charge des maladies chroniques. En Ontario, plus de 4 500 coordonnateurs de soins sont des membres du personnel infirmier autorisé qui appuient la navigation des services aux patients (Gouvernement de l’Ontario, 2019).
La COVID 19 a entravé l’accès normal aux soins et la prise en charge régulière des maladies chroniques pour les patients, ce qui a créé le besoin d’une sensibilisation proactive de la part des coordonnateurs de soins. Reconnaissant que la participation en présentiel avec les patients n’est pas toujours possible durant la pandémie, la participation virtuelle est l’option la plus appropriée.
Les chefs des services chirurgicaux et des soins de santé sont confrontés à la difficulté de savoir comment maintenir la prestation des soins durant la pandémie de COVID 19, en particulier aux patients les plus vulnérables. Gleicher et coll. (2021) ont mené une évaluation des besoins pancanadienne qui a permis de reconnaître la nécessité d’établir des cheminements ambulatoires fondés sur des données probantes pour la population vulnérable de patients en attente d’une arthroscopie totale du genou, qui comprendraient du matériel pédagogique sur les soins ambulatoires et des soins virtuels de réadaptation améliorés. Pour limiter le recours aux ressources en matière de soins de courte durée, le système de santé provincial doit incessamment mettre en œuvre des cheminements en matière de soins ambulatoires, qui comprennent des soins de réadaptation virtuels autres que chirurgicaux et des partenariats concertés entre les coordonnateurs des soins, les fournisseurs de soins primaires et les unités d’hospitalisation chirurgicales.
Appel à l’action
Avec l’augmentation des taux de vaccination dans tout le Canada, les restrictions commenceront à s’assouplir et les services non essentiels reprendront à la lumière de l’orientation de la santé publique. Cependant, on prévoit un délai important des demandes de chirurgie et de programmes. Afin de répondre à cette demande, des options de soins virtuels et le redéploiement des coordonnateurs de soins devraient être envisagés pour répondre à la nouvelle demande pour les années à venir.
À l’instar de l’hôpital de Humber River, de nombreux hôpitaux envisageront d’accroître leur capacité de chirurgie non urgente en fonction de leur possibilité respective de gérer l’augmentation opérationnelle. Toutefois, de nombreuses limitations telles que les ressources infirmières, la disponibilité des lits et l’accès aux ressources externes (p. ex. laboratoire et imagerie) seront des variables clés dans le plan de préparation de chaque établissement. En ce qui concerne la possibilité immédiate de reprendre les chirurgies non essentielles, les systèmes de soins de santé devront s’attendre à des coûts exceptionnels, car les équipes chirurgicales travailleront en dehors des heures normales d’opérations, c’est à dire les fins de semaine et après les heures de travail, ce qui entraînera des heures supplémentaires et une plus grande demande de personnel.
Les ressources infirmières provinciales sont déjà exposées à un risque d’épuisement professionnel sans précédent en raison de la charge de travail exigeante et de la pression psychologique créées par la COVID 19 (Wang et coll., 2020). Malheureusement, très peu de sursis ou de possibilités de retour à une situation stable pour le personnel infirmier ne seront possibles que si les décideurs politiques et les responsables de soins de courte durée se tournent vers une campagne dynamique pour la reprise des chirurgies non essentielles. En redéployant les ressources des coordonnateurs de soins infirmiers vers la réadaptation virtuelle et les partenariats de concert avec les intervenants en soins primaires et les organisations de soins de courte durée, les interventions chirurgicales complexes peuvent être évitées grâce à l’offre précoce de services de soins à domicile et en milieu communautaire.
En s’attaquant immédiatement aux délais, les dirigeants provinciaux devront tenir compte du risque d’épuisement professionnel du personnel infirmier et mettre la priorité sur leur mieux être. La qualité de vie du personnel infirmier devrait faire partie du plan de reprise des chirurgies non essentielles. L’apport du personnel infirmier tout au long de la planification, de la mise en œuvre et de l’évaluation de la reprise des services chirurgicaux sera essentiel pour assurer la réussite de l’opération dans tout l’Ontario et pour atténuer la pression potentielle sur les ressources infirmières existantes.
Conclusion
Les effets secondaires liés aux restrictions de la COVID 19 sur les cohortes de patients en réadaptation aggravent les listes d’attente chirurgicale existantes découlant des restrictions liées à la COVID 19. Cette situation a également multiplié la demande de services de réadaptation communautaire. De plus, les délais pour exécuter les chirurgies ont exercé une pression croissante sur les ressources infirmières limitées que les dirigeants provinciaux devront équilibrer lorsqu’ils planifieront la reprise des services chirurgicaux. Enfin, pour éviter que les délais de services ne s’aggravent, il faut immédiatement s’orienter vers une coordination virtuelle des soins et des programmes de réadaptation, tout en mettant l’accent sur les campagnes de sensibilisation du public et la prise en charge des maladies chroniques chez les patients.
Références
Gleicher, Y., Peacock, S., Peer, M. et Wolfstadt, J. « Transitioning to outpatient arthroplasty during COVID-19: Time to pivot », CMAJ, 193(13), 2021, p. E455–E455. https://doi.org/10.1503/cmaj.78145
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Lee, Chantelle. « Ontario hospitals brace for a wave of non-COVID-19 patients as pandemic caseloads ease », The Globe and Mail, 4 juin 2021. Consulté le 20 juin 2021 à https://www.theglobeandmail.com/canada/article-ontario-hospitals-brace-for-a-wave-of-non-covid-19-patients-as/
Moynihan, R., Sanders, S., Michaleff, Z.A., Scott, A.M., Clark, J., To, E.J., … et Albarqouni, L. « Impact of COVID-19 pandemic on utilisation of healthcare services: A systematic review », BMJ Open, 11(3), 2021, p. e045343. https://doi.org/10.1136/bmjopen-2020-045343
Søreide, K., Hallet, J., Matthews, J.B., Schnitzbauer, A.A., Line, P.D., Lai, P.B.S., … et Lorenzon, L. « Immediate and long‐term impact of the COVID‐19 pandemic on delivery of surgical services », British Journal of Surgery, 107(10), 2020, p. 1250–1261. https://doi.org/10.1002/bjs.11670
Stahel, P.F. « How to risk-stratify elective surgery during the COVID-19 pandemic? » Patient Safety in Surgery, 14(1), 2020, p. 8. https://doi.org/10.1186/s13037-020-00235-9
Tait, C. « Ontario moves schools online, closes indoor dining and gyms, pauses non-urgent surgeries amid COVID-19 surge », 3 janvier 2022, The Globe and Mail. https://www.theglobeandmail.com/canada/article-ontario-moves-schools-online-closes-indoor-dining-and-gyms-pauses-non/
Wang, J., Vahid, S., Eberg, M., Milroy, S., Milkovich, J., Wright, F.C., … et Irish, J. « Clearing the surgical backlog caused by COVID-19 in Ontario: A time series modelling study », CMAJ: Canadian Medical Association Journal, 192(44), 2020, p. 192, E1347–E1347. https://www.cmaj.ca/content/192/44/E1347
Waters, R., Dey, R., Laubscher, M., Dunn, R., Maqungo, S., McCollum, G., … et Held, M. « Drastic reduction of orthopaedic services at an urban tertiary hospital in South Africa during COVID-19: Lessons for the future response to the pandemic », SAMJ South African Medical Journal, 111(3), 2021, p. 240 244. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33944745/
Andrew Ward, inf. aut., B. Sc. inf., M. Nurs., est assistant d’enseignement à l’Université de Windsor, où il fait aussi son Ph. D.
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