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Un médicament non opioïde qui est une option viable pour améliorer l’expérience du patient
Par Heather Ead
6 septembre 2022
Messages à retenir
- Les stratégies visant à réduire l’usage des opioïdes sont opportunes compte tenu de la crise nationale des opioïdes actuelles.
- Les adjuvants non opioïdes comme la kétamine à faible dose peuvent jouer un rôle important dans l’optimisation de la prise en charge de la douleur et la prévention de complications, comme l’instabilité hémodynamique, la douleur chronique et l’insatisfaction des patients.
- La sensibilisation peut contribuer à réduire les stigmates et les perceptions négatives de la kétamine à faible dose et favoriser une démarche proactive et multimodale de la prise en charge de la douleur.
Offrir une prise en charge adéquate de la douleur postopératoire aux patients souffrant d’états chroniques sous‑jacents tout en évitant une sédation excessive peut constituer un défi. Après une chirurgie, la douleur aiguë qui en résulte pouvant s’ajouter à un état douloureux chronique (p. ex. une compression de la moelle épinière) doit être traitée de manière adéquate pour faciliter le rétablissement (Pendi, Field, Farhan, Eichler et Bederman, 2019). Cependant, les longs délais d’attente pour une intervention chirurgicale non urgente et les retards et annulations de chirurgie liés à la COVID‑19 peuvent entraîner des cas chirurgicaux plus complexes, notamment des patients déconditionnés et tolérants aux opioïdes. Le personnel infirmier peut avoir des inquiétudes quant à l’administration de doses plus élevées d’opioïdes lorsque nécessaire et que la tolérance aux opioïdes s’est développée pendant les retards dans le traitement chirurgical.
À l’échelle internationale, des efforts concertés sont déployés pour diminuer la quantité d’opioïdes prescrits en raison de la crise actuelle des opioïdes (George et Johns, 2020). Dans notre hôpital, pour aider à réduire les ordonnances d’opioïdes et les complications liées aux opioïdes, la kétamine à faible dose est un adjuvant utilisé conjointement avec d’autres stratégies pharmacologiques et non pharmacologiques multimodales. Cette démarche est conforme aux pratiques optimales, comme les lignes directrices sur les pratiques cliniques exemplaires intitulées Évaluation et prise en charge de la douleur de l’Association des infirmières et infirmiers autorisés de l’Ontario (AIIAO, 2013). Ces lignes directrices soutiennent l’utilisation de l’analgésie multimodale, comme les anti‑inflammatoires non stéroïdiens, l’acétaminophène et d’autres adjuvants non opioïdes, pour réduire de manière sûre et efficace la douleur aiguë et prévenir le développement de la douleur chronique. L’analgésie multimodale est la pratique par laquelle deux ou plusieurs médicaments de différentes classifications sont utilisés, ce qui permet d’utiliser des doses plus faibles de chaque agent, avec moins d’effets indésirables (Velasco, Simonovich, Krawczyk et Roche, 2019).
Kétamine à faible dose
La kétamine a été introduite comme un agent d’induction pour l’anesthésie générale en 1970. Au cours des 20 dernières années, les indications de la kétamine se sont largement répandues en raison de ses effets pharmacologiques uniques (Moon et Smith, 2021). Elle est de plus en plus utilisée dans le traitement de la douleur aiguë, chronique et palliative. La kétamine peut atténuer la douleur avec efficacité en agissant au niveau central et en bloquant les récepteurs N-méthyl-d-aspartate (NMDA). Ce processus inhibe le glutamate, qui est un neurotransmetteur excitateur impliqué dans la transmission du signal de la douleur. La kétamine bloque d’autres voies qui sont importantes pour le traitement de la douleur chronique, de la tolérance aux opiacés, de l’hyperalgésie et de la douleur neuropathique (Moon et Smith, 2021). La kétamine procure une analgésie par plusieurs voies, mais la majorité de ses effets pour la douleur aiguë passent par le récepteur NMDA (Caruso, Tyler et Lyden, 2021). La formulation actuelle de la kétamine utilisée aujourd’hui permet un dosage plus faible avec des effets semblables par rapport aux recherches antérieures sur les isomères. Cela permet d’obtenir des effets analgésiques tout en évitant les effets psychoactifs, tels que les hallucinations (Gales et Maxwell, 2020).
Il est important de noter que la kétamine ne se lie pas aux récepteurs opioïdes ni ne provoque d’effets indésirables liés aux opioïdes, tels que la dépression respiratoire, la constipation et la rétention urinaire (Caruso et coll., 2021). En fait, la kétamine réduit l’hypotension associée à l’anesthésie et aux opioïdes et a des effets bronchodilatateurs. Ce dernier effet en fait un choix souhaitable pour les patients souffrant d’asthme (Gales et Maxwell, 2020).
Bien que la kétamine ait de nombreuses indications autres que l’anesthésie et la sédation, elle est encore classée comme un anesthésique. Avec cette classification, il n’est pas rare que le personnel infirmier ait quelques hésitations quant à son utilisation. Bien que la kétamine soit un médicament polyvalent doté d’un excellent profil d’innocuité, elle n’est pas utilisée aussi fréquemment que les adjuvants opioïdes en raison de son association avec le délire d’émergence, qui peut survenir en cas de dosage élevé pour l’anesthésie générale (Gales et Maxwell, 2020). De plus, les préoccupations concernant l’utilisation de la kétamine comme drogue récréative peuvent ajouter aux stigmates négatifs (Moon et Smith, 2021). Le personnel peut s’attendre à ce qu’un médicament utilisé illégalement provoque une réaction profonde et négative chez le patient. Cependant, grâce à la formation et à une utilisation sûre continue, il est possible de recourir à la kétamine à faible dose de manière appropriée pour garantir de nombreux avantages dans les soins aux patients (Velasco et coll., 2019).
Sondage auprès du personnel
La recherche qualitative a révélé l’existence d’obstacles chez certains fournisseurs de soins de santé concernant l’administration des solutions de rechange aux opioïdes. Certains de ces obstacles sont fondés sur la compréhension que les opioïdes sont en général les meilleurs analgésiques et que le personnel est plus à l’aise de les administrer; un autre obstacle majeur est le manque de connaissances sur les agents non opioïdes, en grande partie parce que les sources d’information ont tendance à être empiriques (Velasco et coll., 2019). Pour aider à identifier les obstacles à l’application des ordonnances de kétamine, nous avons transmis au personnel infirmier un sondage anonyme, qui est composé de trois questions pour l’encourager à faire part de ses connaissances et de son niveau d’aisance, ainsi que de toute préoccupation qu’il pourrait avoir concernant la kétamine à faible dose. Dans l’ensemble, les résultats ont démontré qu’un manque d’expérience avec cet agent non opioïde engendrait une certaine hésitation à l’administrer. Le personnel a déclaré qu’il se sentirait plus à l’aise si un enseignant, un professionnel du service de gestion de la douleur aiguë ou un autre membre du personnel était disponible pour l’assister avec l’administration du médicament ou son suivi. Voir l’annexe.
La kétamine est une bonne option pour les patients âgés, n’ayant jamais reçu de traitements aux opioïdes, dépendants de l’alcool ou présentant des antécédents de troubles liés à l’utilisation d’opioïdes.
Avantages
Les avantages de l’administration de la kétamine sont les suivants :
- Diminution des besoins en opioïdes (diminution moyenne de 14,38 mg d’équivalents en morphine par intraveineuse [IV] en 24 heures) (Brinck et coll., 2018)
- Amélioration des pointages de douleur après une chirurgie abdominale, de la colonne vertébrale et d’autres chirurgies orthopédiques (Brinck et coll., 2018)
- Réduction des effets secondaires liés aux opioïdes, tels que la sédation respiratoire et les nausées et vomissements postopératoires (Brinck et coll., 2018).
- Participation accrue à la physiothérapie postopératoire et aux autres activités essentielles au rétablissement (Pendi et coll., 2018)
Indications de la kétamine à faible dose pour la prise en charge de la douleur
Des directives cliniques sur l’usage de la kétamine pour le traitement de la douleur aiguë ont été publiées. L’American Society of Anesthesiologists soutient le recours à la kétamine comme adjuvant de la prise en charge de la douleur à la suite des chirurgies qui sont associées aux niveaux élevés de douleur (Schwenk et coll., 2018). À ce titre, notons la chirurgie de la colonne vertébrale, thoracique et orthopédique; les patients qui ont une dépendance aux opioïdes, qui les tolèrent ou qui ont de troubles de douleur chronique (p. ex. la dépranocytose); ou en présence de facteurs de risque et qu’il vaut mieux éviter les opioïdes. Ces facteurs de risque peuvent inclure le syndrome d’apnée obstructive du sommeil et la maladie pulmonaire obstructive chronique (Wang, Yang, Shan, Cao et Wang, 2020). Par ailleurs, la kétamine est une bonne option pour les patients âgés, n’ayant jamais reçu de traitement aux opioïdes, dépendants de l’alcool ou présentant des antécédents de troubles liés à l’utilisation d’opioïdes (Moon et Smith, 2021).
Administration
Les effets analgésiques de la kétamine se produisent à des doses beaucoup plus faibles que celles utilisées pour l’anesthésie générale ou la sédation procédurale. Ce dosage est qualifié de « sous-anesthésique » ou « sous‑dissociatif » (Schwenk et coll., 2018). Dans notre établissement, la kétamine est prescrite sous forme de dose intermittente, selon les besoins, de 10 mg IV (dans 100 cc de solution saline normale) et est administrée pendant 30 minutes. Par rapport aux doses d’anesthésie de 2 mg/kg, il s’agit d’une dose nettement plus faible, qui permet d’éviter les effets indésirables observés à la dose d’anesthésie tout en permettant une meilleure prise en charge de la douleur et une meilleure stabilité hémodynamique (Caruso et coll., 2021). Il est démontré que la kétamine désensibilise les voies centrales de la douleur et module les récepteurs opioïdes, ce qui lui confère un puissant effet analgésique (Gales et Maxwell, 2020). De brèves élévations de la tension artérielle peuvent être observées, qui sont essentiellement insignifiantes sur le plan clinique tout en aidant à soutenir la stabilité hémodynamique en présence d’une hypotension postopératoire (Schwenk et coll., 2018). Les autres effets indésirables à surveiller après l’utilisation de faibles doses sont la tachycardie transitoire, les nausées, la salivation accrue, les étourdissements et une vision brouillée (Schwenk et coll., 2018).
Contre‑indications
Comme pour tout médicament, il faut tenir compte de la présence de contre‑indications avant l’administration. Pour la kétamine à faible dose, les contre‑indications sont liées au faible risque d’hallucinations visuelles et d’augmentation de la tension artérielle. Ainsi, l’utilisation de la kétamine n’est pas recommandée chez les patients présentant une hypertension mal contrôlée ou une pression intracrânienne ou intraoculaire élevée, chez les patientes enceintes ou en présence de délire ou de psychose (Schwenk et coll., 2018).
Prochaines étapes
Face aux difficultés de dotation en personnel, nombre d’organisations présentent des ratios plus élevés de personnel infirmier novice par rapport aux infirmiers et infirmières chevronnés. À une époque où la réduction de l’administration d’opioïdes est devenue de plus en plus importante, les adjuvants pour le traitement de la douleur sont des outils opportuns et avantageux à utiliser. Grâce à une sensibilisation et à une formation accrues, nous pouvons aider le personnel à se sentir à l’aise dans l’utilisation de solutions de rechange aux opioïdes qui contribuent à prévenir les effets indésirables et les douleurs inutiles. L’optimisation de la prise en charge de la douleur peut aider à éviter les issues négatives d’une douleur insuffisamment traitée, telles que l’instabilité hémodynamique, le syndrome de douleur chronique et l’insatisfaction des patients (Pendi et coll., 2018). Soutenir une prise en charge efficace de la douleur est l’une des nombreuses façons dont nous défendons nos patients et rendons une intervention chirurgicale stressante aussi confortable et sans complication que possible.
Sommaire
Dans l’ensemble, la kétamine est un médicament polyvalent qui peut être utilisé en toute sécurité comme adjuvant de l’analgésie. À faible dose, elle procure une analgésie puissante et évite les effets psychoactifs indésirables observés avec les doses d’anesthésie (Gales et Maxwell, 2020). En continuant à transmettre l’information aux fournisseurs de soins de santé, nous pouvons soutenir l’utilisation appropriée de la kétamine à faible dose dans le cadre d’un plan de traitement de la douleur multimodal. En faisant progresser nos connaissances sur les adjuvants non opioïdes, nous favorisons les pratiques exemplaires, plaidons pour nos patients et réduisons le risque de douleur chronique et l’utilisation à long terme d’opioïdes (Velasco et coll., 2019).
Annexe : Sondage sur l’administration de la kétamine postopératoire auprès du personnel infirmier
Question 1 : Sur une échelle de 1 à 5, dans quelle mesure estimez‑vous être bien informé sur les avantages de la kétamine à faible dose après une chirurgie de la colonne vertébrale pour la prise en charge de la douleur?
Réponses
23,08 % (n=6) : J’ai des connaissances limitées, sinon aucune, sur la kétamine à faible dose pour l’analgésie.
53,85 % (n=14) : J’ai quelques connaissances, mais je n’ai pas encore administré cet agent adjuvant.
23,08 % (n=6) : J’ai une bonne compréhension de la façon dont cet adjuvant peut réduire la douleur; il a moins d’effets indésirables que la morphine à cette dose.
Question 2 : Décrivez vos préoccupations (le cas échéant) concernant la kétamine à faible dose pour l’analgésie
Réponses
0 % (n=0) : Je suis extrêmement préoccupé(e) par le fait que ce médicament puisse déclencher des complications postopératoires.
23,08 % (n=6) : Je crains un peu que ce médicament soit trop fort pour certains patients.
42,31 % (n=11) : Je préférerais, la première fois que je l’administre, disposer du soutien d’un membre de l’équipe du service de gestion de la douleur aiguë, d’un enseignant ou d’un autre membre du personnel.
34,6 % (n=9) : Je n’ai pas d’inquiétudes pour l’instant, mais je contacterai le service de gestion de la douleur aiguë/le service d’anesthésie ou l’enseignant si j’ai des questions.
Question 3 : Quelles sont les complications qui, selon vous, surviendront le plus souvent à la suite de l’administration d’une faible dose de kétamine?
Réponses
16 % (n=4) : Brève élévation de la tension artérielle
16 % (n=4) : Plaintes de troubles visuels/hallucinations
48 % (n=12) : Plaintes de symptômes légers : nausée, maux de tête, sensation de rêverie
0 % (n=0) : Inquiétudes concernant la dépendance
20 % (n=5) : Inquiétudes concernant la persistance de la douleur (nous utilisons une dose plus faible que les autres organisations)
Références
Brinck, E., Tiippana, E., Heesen, M., Bell, R., Straube, S., Moore, R. et Kontinen, V. « Perioperative intravenous ketamine for acute postoperative pain in adults », Cochrane Database of Systematic Reviews, 12(12), 2018, CD012033. doi:10.1002/14651858.CD012033.pub4
Caruso, K., Tyler, D. et Lyden, A. « Ketamine for pain management. A review of literature and clinical application », Orthopaedic Nursing, 40(3), 2021, p. 189-193. doi:10.1097/NOR.0000000000000759
Gales, A. et Maxwell, S. « Ketamine: Recent evidence and current uses », Update in Anaesthesia, 35, 2020, p. 43-48.
George, S. et Johns, M. « Review of nonopioid multimodal analgesia for surgical and trauma patients », American Journal of Health System Pharmacy, 77(24), 2020, p. 2052-2063. doi:10.1093/ajhp/zxaa301
Moon, T. et Smith, K. « Ketamine use in the surgical patient: A literature review », Current Pain and Headache Reports, 25(3), 2021, p. 17. doi:10.1007/s11916-020-00930-3
Pendi, A., Field, R., Farhan, S.-D., Eichler, M. et Bederman, S.S. «Perioperative ketamine for analgesia in spine surgery: A meta-analysis of randomized controlled trials », Spine, 43(5), 2018, E299-E307.
Association des infirmières et infirmiers autorisés de l’Ontario. Évaluation et prise en charge de la douleur (3e éd.). Toronto : Auteur, 2013.
Schwenk, E., Viscusi, E., Buvanendran, A., Hurley, R., Wasan, A., Narouze, S., Bhatia, A., Cohen, S. « Consensus guidelines on the use of intravenous ketamine infusions for acute pain management from the American Society of Regional Anesthesia and Pain Medicine, the American Academy of Pain Medicine, and the American Society of Anesthesiologists », Regional Anesthesia & Pain Medicine, 43(5), 2018, p. 456-466. doi:10.1097/AAP.000000000000080.
Velasco, D., Simonovich, S. D., Krawczyk, S. et Roche, B. « Barriers and facilitators to intraoperative alternatives to opioids: Examining CRNA perspectives and practices », AANA Journal, 87(6), 2019, p. 459‑467.
Wang , P., Yang, Z., Shan, S., Cao, Z. et Wang, Z. « Analgesic effect of perioperative ketamine for total hip arthroplasties and total knee arthroplasties », Medicine, 99(42), 2020, e22809. doi:10.1097/MD.0000000000022809
Heather Ead, inf. aut., M. Sc. S., est formatrice clinique à Trillium Health Partners, à Mississauga (Ont.). On peut la joindre par courriel à Heather.Ead@thp.ca
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