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Comment remédier aux stéréotypes auxquels font face les infirmières et infirmiers formés à l’étranger?
Par Carlo Mikhail L. Magno
24 octobre 2022
Note de la rédaction : Dans son article du 11 octobre et l’article de suivi de questions et réponses de la semaine dernière, Carlo Mikhail L. Magno décrit ce qu’est la vie d’un infirmier formé à l’étranger (IFÉ) travaillant au Canada depuis les dix dernières années. La revue Infirmière canadienne s’est entretenue avec lui pour savoir comment les IFÉ pourraient faire partie de la solution à la pénurie de personnel infirmier au Canada, un problème qui persiste depuis des décennies et qui a été aggravé par la pandémie.
Selon vous, que réserve l’avenir aux IFÉ qui viennent au Canada après la pandémie?
J’aimerais croire que le Canada sera plus accueillant pour les IFÉ à l’avenir. Toutefois, cela dépend en grande partie de ce que le Canada fait maintenant pour utiliser son bassin d’IFÉ. La pandémie a amplifié les lacunes de notre système de soins de santé et nous devrions nous en servir comme d’un catalyseur pour améliorer la situation. Nous devrions jeter les bases d’une meilleure intégration des IFÉ dans notre main-d’œuvre active dès maintenant. Sinon, les ratios patients/infirmière-infirmier demeureront malsains. Si nous ne parvenons pas à résoudre ce problème, il en résultera davantage de frustration et d’épuisement professionnel parmi les infirmières et infirmiers, qui sont déjà nombreux à quitter la profession. Nous avons le choix d’alléger le fardeau maintenant au lieu d’attendre que la situation s’aggrave.
Lorsque la pandémie prendra fin, le personnel infirmier disposera de nombreux éléments de réflexion. La littérature changera. La pratique fondée sur des données probantes fera état des leçons que nous tirons de la COVID-19. Nous nous pencherons sur ce que nous avons fait et sur ce qui a fonctionné, et nous repenserons aux actions qui nous ont freinées. Les possibilités de recherche foisonneront pour les infirmières et infirmiers, y compris pour les IFÉ, espérons-le. Les dirigeants en soins infirmiers et les défenseurs de la santé publique devront réévaluer les politiques existantes. De nombreuses questions nous forceront à réexaminer la solidité ou la faiblesse du système de soins de santé dont nous disposons. J’ai bon espoir que notre profession en sortira plus forte. J’espère que davantage d’IFÉ feront partie de la future main-d’œuvre infirmière.
L’une des difficultés auxquelles est confrontée la main-d’œuvre infirmière au Canada est de garantir sa capacité à fournir des soins de haute qualité à une population culturellement diversifiée. Quel rôle les IFÉ peuvent-ils jouer dans la prestation de soins culturellement compétents?
Les IFÉ peuvent offrir différentes perspectives et des modalités de rechange, et faire part de leur expérience unique, afin d’aider les équipes interdisciplinaires à formuler des plans de soins adaptés aux besoins de chaque client. Pour la même raison que le personnel infirmier considère les patients de manière holistique et envisage toutes les données possibles, les infirmières et infirmiers devraient aussi s’appuyer sur les différentes expériences de leur équipe, façonnée par l’âge, le genre, la culture, l’ethnicité ou la religion. Une main-d’œuvre infirmière diversifiée est plus apte à soigner une population diversifiée.
Les IFÉ sont venus au Canada en sachant qu’ils devraient s’adapter à de nouveaux environnements naturels, sociaux et pratiques. L’expérience d’adaptation à une nouvelle culture est innée pour les IFÉ. Ces expériences contribuent à aiguiser le sens de l’empathie.
J’ai travaillé avec des infirmières et infirmiers de différentes origines, soit des IFÉ d’origine chinoise, indienne, coréenne, philippine, ghanéenne, nigériane, italienne et russe, ainsi que des Canadiens blancs dont les familles vivent ici depuis des générations. Tout le monde a un peu de savoir à transmettre. Tout le monde a une pépite de sagesse sur la façon de nouer des liens avec les patients.
Je donnerais comme exemple concret notre équipe infirmière qui apprend des phrases italiennes courantes pour aider à réorienter nos patients atteints de démence ayant perdu la capacité de communiquer en anglais. Notre établissement de soins de longue durée comptait une importante population d’origine italienne. Un grand nombre de nos infirmières et infirmiers et de nos aides-soignants ont pris l’habitude de demander aux clients : Come stai? Bene o male? lorsque les salutations en anglais ne suscitaient pas de réponse. Si vous vous promenez dans nos couloirs, attendez-vous à les entendre dire aux résidents mangiare ou dormire pour les activités de la vie quotidienne, et nos infirmières et infirmiers dire apri la bocca pour administrer les médicaments par voie orale, ou même notre physiothérapeute dire alzati ou siediti pour commencer ou terminer les exercices de marche, respectivement. Ces aptitudes linguistiques facilitent l’offre de soins. Chaque fois qu’une nouvelle personne se joint à notre équipe, nous nous faisons un devoir de lui transmettre ces connaissances.
Le même processus s’applique aux clients d’autres origines ethniques. Par exemple, notre équipe modifie les recommandations diététiques pour tenir compte des patients musulmans qui pratiquent le ramadan et des clients juifs qui mangent casher. Le fait d’avoir des collègues qui connaissent bien ces besoins culturels nous a facilité la tâche et nous a permis d’améliorer de façon significative nos interventions pour mieux répondre aux besoins du client.
Dans votre article original, vous avez laissé entendre que des stéréotypes négatifs pouvaient être associés à la main-d’œuvre des IFÉ. S’agit-il d’un facteur dissuasif pour le recrutement? Quels sont les trois éléments que vous proposeriez pour changer les attitudes négatives?
Je ne dirais pas que c’est un facteur dissuasif uniquement pour le recrutement. La réalité est que certains stéréotypes négatifs se produisent à différents échelons et dans divers contextes. Ils peuvent provenir des patients, des collègues et des supérieurs.
Si les IFÉ font visiblement partie de la main-d’œuvre compétente, le point de vue du public changera progressivement.
En apprenant qu’une infirmière ou un infirmier a obtenu son diplôme à l’étranger, certaines personnes déclarent innocemment : « J’espère que vous savez ce que vous faites », ce qui peut sembler inoffensif pour certains, mais pour les IFÉ, cet énoncé est chargé de préjugés.
J’ai eu la malencontreuse expérience d’entendre ma directrice dire qu’elle a reçu un appel de la famille d’une cliente disant explicitement qu’elle ne voulait parler à aucune des infirmières au « teint foncé ». La cliente a exigé de parler à une infirmière blanche à la place.
Peut-être que ce problème tire sa source d’un contexte plus large. Malheureusement, il existe encore des gens qui croient que l’origine ethnique ou religieuse d’un professionnel équivaut immédiatement à un service de moindre qualité ou à des compétences médiocres. Ce genre de croyances n’est pas facile à corriger.
Ce qui rend les choses difficiles pour nous, c’est que notre profession est axée sur le service à la clientèle. Une infirmière ou un infirmier doit garder son sang-froid au travail. Dénoncer le racisme ou d’autres stéréotypes négatifs peut s’ajouter au stress du travail que vit déjà une infirmière ou un infirmier. Parfois, on ne prendrait pas le risque de dénoncer la discrimination si on pense que cette intervention entraînerait une réaction physiologique susceptible de mettre en péril le patient en amplifiant sa tension ou son agitation.
Il n’est jamais aisé de parler de ces situations. Il n’existe pas de réponse unique et le problème ne peut être résolu du jour au lendemain. Je crois cependant que si les IFÉ font visiblement partie de la main-d’œuvre compétente, le point de vue du public changera progressivement.
La première chose que je recommande est donc d’augmenter le nombre d’IFÉ qui exerce au Canada. À cette fin, nous devrions accélérer l’intégration des IFÉ au sein de la main-d’œuvre infirmière, un sujet que j’ai abordé dans l’article Questions et réponses de la semaine dernière.
Deuxièmement, faire connaître les stéréotypes offensants aiderait les gens à devenir plus sensibles à la culture. Les décideurs politiques, les dirigeants en soins infirmiers et les employeurs devraient promouvoir une meilleure protection de la main-d’œuvre. Le personnel infirmier devrait disposer d’un moyen leur permettant d’exprimer en toute sécurité la façon dont les stéréotypes négatifs les affectent sur le plan personnel et professionnel.
Enfin, je pense que les IFÉ eux-mêmes, qui ont obtenu l’autorisation d’exercer, devraient prendre les devants et faire preuve de leadership et défendre leurs droits. Ils devraient offrir de l’aide et du mentorat aux autres IFÉ, prendre part aux discussions et aider à trouver des solutions, ainsi que participer activement aux associations, conseils, syndicats ou organismes de réglementation.
Je crois que si les IFÉ maximisent leur croissance et leur potentiel, ainsi que la croissance et le potentiel de leurs collègues, le Canada sera en mesure de retenir des infirmières et infirmiers compétents et brillants, peu importe d’où ils viennent.
Lisez la première partie de cet article Questions et réponses de Carlo Mikhail L. Magno et son article original Être à la hauteur : le parcours et la perspective d’un infirmier formé à l’étranger durant la pandémie de COVID-19.
Carlo Mikhail L. Magno, IAA, est un infirmier formé à l’étranger, né aux Philippines, qui a travaillé en soins primaires et en soins de longue durée à Toronto de 2014 à 2022.
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