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Lianne Mantla-Look, infirmière de langue Tłı̨chǫ, répond à nos questions
Par Lianne Mantla-Look
21 novembre 2022
Note de la rédaction : Lianne Mantla-Look a fait l’objet d’un profil dans Infirmière canadienne le 14 novembre. Dans cette série en quatre articles de questions et réponses, elle fournit un aperçu franc et direct de son expérience d’infirmière autochtone travaillant dans le Nord.
Lorsque le sujet du racisme dans les soins de santé est abordé dans une conversation avec ma famille et mes amis, c’est toujours du point de vue du patient. Lorsqu’on entend parler de racisme dans les soins de santé dans les médias, il s’agit presque toujours de l’expérience du patient et toujours d’un mauvais résultat. On ne m’a jamais demandé, en près de 20 ans dans la profession, si j’ai été victime de racisme en tant qu’infirmière autochtone.
De nombreux patients m’ont demandé d’où je venais et si j’étais d’origine asiatique ou inuite, alors que je travaillais dans le Nord dans une ville multiculturelle. On supposait souvent qu’un de mes parents était blanc et que j’étais à moitié Philippine ou Inuite. Les patients qui m’interrogeaient sur mes origines étaient généralement eux-mêmes Philippins ou Inuits. Un jour, un Italien m’a demandé si j’étais à moitié Italienne parce que mes cheveux étaient si noirs et « seuls les Italiens ont des cheveux aussi noirs », nous en avons bien ri. Je n’ai jamais ressenti de malice dans ces situations, juste une curiosité sincère.
Hypothèses sur l’identité
La seule fois où j’ai ressenti de l’hostilité quant à ces questions sur mes origines, c’est lorsqu’une personne blanche m’a posé une question ou fait une supposition sur mon identité. Il y a quelques années, j’ai vécu dans une province de l’est du Canada pendant une courte période. Dire que je n’avais aucune idée du manque de représentation autochtone dans cette ville serait un euphémisme.
Lors de ma première semaine de travail à l’hôpital, une collègue m’a traité d’Esquimau. J’ai été choquée et offensée par l’ignorance flagrante de l’infirmière qui était censée m’orienter. Et aucun autre membre du personnel infirmier présent dans la salle n’a pris ma défense ou n’a tenté de sensibiliser cette personne. J’étais tellement bouleversée que j’ai prévenu les ressources humaines. La semaine suivante, certains de mes collègues m’ont traité avec des gants blancs, et la collègue fautive s’est tenue loin de moi.
Avec le recul et après avoir relaté cette histoire pendant de nombreuses années, je regrette de ne pas m’être exprimée après cet incident et de ne pas avoir demandé à l’infirmière qui a commis cette offense ce qu’elle voulait dire en me traitant de façon aussi horrible. Je n’étais pas offensée par le fait qu’on me prenne pour une Inuite, mais plutôt par le fait qu’on m’ait traité d’un mot aussi ignorant pour décrire un autre groupe autochtone. Bref, j’aurais aimé que l’infirmière s’excuse auprès de moi ou qu’elle tente de discuter avec moi de ce qui s’était passé. Mais après mon séjour dans cette province, je me suis rendu compte que les commentaires ignorants de ce genre étaient monnaie courante.
« Dans ce même hôpital, un patient blanc plus âgé m’a demandé d’où je venais. J’ai eu le sentiment que je n’arriverais à rien en lui expliquant que je venais des Territoires du Nord-Ouest ou du Nord canadien. J’ai simplement répondu que je n’étais pas originaire de l’est du Canada et que je venais de déménager de l’Ouest. Il a insisté pour savoir d’où je venais exactement, et ma réponse ne l’a pas satisfait. Finalement, il m’a demandé : “Quel est votre pays d’origine?” et “Êtes-vous orientale?” J’ai répondu que je venais du Nord du Canada, que j’étais Autochtone et que mon peuple venait du Canada. J’ai ajouté que mes ancêtres étaient probablement ici depuis plus longtemps que les siens. »
La semaine prochaine — Questions et réponses (partie 2) : Quel est le rôle d’un guérisseur dans votre culture et votre pratique infirmière autochtones?
Occasion manquée
Je n’ai jamais eu une rencontre aussi frustrante avec quelqu’un. L’ignorance et le manque total de sensibilité m’ont stupéfiée. Rétrospectivement, j’aurais pu profiter de cette occasion pour faire de la sensibilisation culturelle, mais je commençais à réaliser que je ne représentais qu’une infime minorité dans cette petite ville de l’est du Canada.
De telles expériences ne m’ont pas fait hésiter ou douter de moi-même dans mon rôle de soignante : j’ai continué à fournir des soins exemplaires dans le cadre de ma pratique. Je n’ai pas non plus subi de conséquences négatives dans la mesure où ces patients n’ont pas demandé à changer d’infirmière en réalisant que je n’étais pas comme eux ou que je n’étais pas une des leurs.
Mais que se serait-il passé si les patients avaient demandé qu’une infirmière allochtone leur soit affectée pour ce quart de travail? C’est une possibilité que je n’ai pas envisagée et je ne sais pas quelle aurait été ma réaction le cas échéant. J’aurais probablement été profondément bouleversée, et je me serais sentie encore plus mal si le manque de personnel ne m’avait pas permis de changer d’affectation.
La récente couverture médiatique sur les mauvaises issues de santé de nombreux Autochtones lorsqu’ils ont accès aux soins de santé m’a amenée à me demander ce qu’il en était du racisme envers les soignants au sein du système de santé. J’espère que mes expériences ouvriront la porte à des discussions sur le racisme systémique.
Tous les Canadiens ont une responsabilité de se renseigner sur les peuples autochtones, et tous les gens ont la responsabilité de se traiter avec dignité et respect, quelles que soient leurs origines. Je pense que nous pouvons nous interroger avec curiosité sur les origines des autres, mais dans le respect et la sensibilité.
Intentions et préjugés
Si vous vous interrogez sur les origines de votre fournisseur de soins de santé, demandez-vous pourquoi? Vous demandez-vous si vous avez en commun une origine ethnique et des liens? Êtes-vous surpris de voir quelqu’une d’une origine particulière dans une certaine profession? Remettons d’abord en question nos propres intentions et préjugés, avant de les projeter dans le monde.
Outre les patients, les administrateurs du système de santé ont la responsabilité particulière de veiller à ce que tous les membres du personnel se sentent soutenus et en sécurité dans leur milieu de travail, surtout en période de pénurie de personnel de santé. Fournir des possibilités d’apprentissage, une formation sur l’offre de soins adaptés sur le plan culturel parmi le personnel et avec les patients, et faciliter les bonnes pratiques de travail en équipe sont un bon début.
Lianne Mantla-Look est infirmière autorisée qui vit et travaille à Yellowknife, dans les Territoires du Nord-Ouest. Elle utilise la langue avec laquelle elle a grandi pour combler les lacunes dans l’accès aux soins de santé pour les personnes qui parlent Tłı̨chǫ (prononcé tli-cho ou tlee-cho) et pour défendre les intérêts des patients autochtones dont la langue maternelle n’est pas l’anglais. Lisez son profil pour en apprendre davantage.
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