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La nécessité de réformes pour démanteler les structures coloniales oppressives qui ont conduit à l’inégalité et à la piètre santé
Par Gabriel Barrington-Moss
23 janvier 2023
Il est bien documenté que les disparités en matière de santé ont des conséquences primordiales non seulement sur la santé des peuples autochtones, mais aussi sur leur sentiment d’holisme (Owais et coll., 2022). De façon évidente, nous pouvons constater la nécessité d’une réforme politique, sanitaire et sociale qui démantelera précisément et directement les structures sociales coloniales qui sont au cœur de la vie sous l’oppression de l’inégalité. À cette fin, il est nécessaire d’offrir des soins et des traitements en santé mentale et en toxicomanie adaptés à la culture des peuples autochtones du Canada. Cette réforme de la santé doit tenir compte des besoins actuels et particuliers des peuples autochtones vivant en milieu rural et urbain.
Comprendre les racines de la maladie mentale chez les Autochtones
Les Autochtones du Canada ont en moyenne une espérance de vie inférieure de 12 ans à celle des allochtones. Parmi les nombreuses causes de cette mortalité précoce, on trouve des maladies chroniques traitables comme la maladie mentale et la toxicomanie, ainsi que la suicidalité, qui en découlent (Walker, Harris, Thomas, Phillips, Stones, 2018). La déclaration séminale suivante, articulée par de Leeuw, Greenwood et Cameron (2010), fait la lumière sur la gravité de la réalité vécue historique et contemporaine des Autochtones : « La perte de la langue et de la maîtrise de la culture, résultat des politiques d’assimilation qui se traduisent par des pratiques comme les pensionnats, s’exprime par un traumatisme culturel à grande échelle et un manque de cohésion sociale qui se traduisent par une diminution de la résilience, une moindre force d’âme pour surmonter les dépendances et des taux plus élevés de violence familiale » [traduction libre] (p. 285). Cette affirmation ne peut pas passer inaperçue. Attribuer les pratiques et les comportements sanitaires « personnels » aux mauvais résultats de santé des peuples autochtones n’est plus un récit acceptable et ne permettra pas une réconciliation constructive et réparatrice.
La littérature soutient fortement l’impératif moral d’explorer, de comprendre et de mettre en œuvre une politique sanitaire axée sur l’équité pour lutter contre la maladie mentale chez les Autochtones. Le développement ultérieur de troubles liés à la consommation de substances au sein de cette population trouve presque toujours son origine dans une histoire d’oppression coloniale, d’érosion des connaissances culturelles et des méthodes de guérison et, notamment, de traumatismes infantiles. (Gould, MacQuarrie, O’Connell et Bourassa, 2021; Noronha et coll., 2022).
Les liens entre le colonialisme et la maladie mentale sont difficiles à comprendre, car ils sont souvent généralisés comme étant des sous-produits homogènes de traumatismes intergénérationnels et historiques (Nelson et Wilson, 2017). Grâce au processus d’homogénéisation, la maladie mentale et la toxicomanie sont déconnectées des nuances subtiles de l’expérience individuelle, des zones de force, des concepts liés à la résilience, etc. Elles sont souvent réduites à une perspective épistémologique de « différence » culturelle plutôt que d’être considérées comme liées aux processus sociaux, politiques et d’exclusion plus larges qui orientent le bien-être et la guérison mentale.
Mettre en lumière les disparités et les inégalités en matière de santé
Plutôt que de se concentrer sur l’argument des différences culturelles, les efforts de recherche contemporains mettent en lumière un autre récit qui est beaucoup plus difficile à digérer parce que sa réalité nécessiterait des interventions à grande échelle, sur le plan des macrodonnées, liées aux inégalités en matière de santé et à leurs antécédents. Étant donné les liens entre une piètre santé mentale et l’expérience des disparités et des inégalités en matière de santé, il n’est peut-être pas surprenant que les peuples autochtones du Canada et d’autres pays connaissent des taux disproportionnés de maladies liées à la santé mentale.
Dans les communautés autochtones, les états chroniques comme la suicidalité, l’alcoolisme, la violence sous toutes ses formes, le racisme intériorisé, le trouble de stress post-traumatique et le trouble dépressif majeur découlent souvent de la maladie mentale (de Leeuw et coll., 2010). Selon l’Organisation mondiale de la Santé, la maladie mentale chez les Autochtones est une endémie de longue date qui est liée aux inégalités économiques, aux faibles niveaux d’avancement scolaire, à un fort sentiment de conflit identitaire interne et à la dépendance fédérale en matière d’aide sociale et de bien-être (Cianconi, Lesmana, Ventriglio et Janiri, 2019). L’érosion culturelle et ethnique a également été fortement liée au risque accru de suicide chez les jeunes autochtones, car ils ont migré loin des terres et des pratiques traditionnelles vers des habitations forcées et des structures sociales artificielles (Cianconi et coll., 2019).
Il est important de reconnaître que la maladie mentale est un baromètre ou une épreuve décisive qui démontre directement le résultat du stress et de la détresse sur le niveau actuel d’adaptation et de résilience d’une personne ou d’une communauté. Les taux alarmants de maladie mentale dans les communautés autochtones du Canada font ressortir une culture dont les stratégies et les systèmes d’adaptation ont été mis à rude épreuve, à tel point qu’il est quasi impossible de trouver une voie claire et non obstruée vers la santé holistique.
Honorer le contexte historique
Lorsqu’on envisage les stratégies et les mesures qu’une initiative de promotion de la santé supervisée par la communauté pourrait concevoir et, au bout du compte, proposer, on ne peut déterminer la véritable mesure de la réussite que si l’initiative, dans son ensemble, est considérée dans un cadre autochtone de santé et de mieux-être. Selon Marsh, Coholic, Cote-Meek et Najavits (2015), le concept « d’hommage au contexte historique » est un ingrédient essentiel à la création d’une stratégie de promotion de la santé qui serait efficace pour répondre aux besoins identifiés de la communauté. Ce concept nous aide à comprendre d’où vient la communauté, qui est une étape essentielle pour comprendre où elle tentera d’aller.
Bien qu’il existe un bassin substantiel d’études en promotion de la santé et de programmes d’intervention que l’on peut consulter et sur lesquels on peut s’appuyer, ces recherches et l’élaboration des programmes ont généralement été conçues dans une optique allochtone, menant à des résultats sous-optimaux (Walter et coll., 2020). Le savoir autochtone, la science, les méthodes traditionnelles de guérison et d’illumination et l’identité territoriale seront des éléments essentiels à la création d’un cadre collaboratif et représentatif pour la conception de la promotion de la santé (Gould, MacQuarrie et Bourassa, 2021).
Au sein des communautés autochtones, un fort sentiment d’identité agit comme un facteur de protection.
La promotion de la santé holistique autochtone et du mieux-être mental, qui mise notamment sur la santé mentale et la toxicomanie, doit se faire par l’entremise d’une initiative de base ou en amont. Cette démarche s’explique par le fait que les peuples autochtones ont vu leur mode de vie culturel érodé et démantelé par leur expérience vécue au cours de générations d’assimilation coloniale (Walter et coll., 2020).
L'absence d’un sens clair de l’identité, de la culture et de la position dans le monde peut laisser une personne sans attache et vulnérable à une crise d’identité qui, à son tour, peut marginaliser de façon importante sa capacité à être résiliente face au stress et à la détresse. L’identité personnelle est ancrée et s’acquiert dans l’environnement familial. Les enfants sont vulnérables aux expériences de vie négatives qui peuvent se présenter lorsqu’ils grandissent dans un foyer qui n’a pas la stabilité et la nature ancrée des membres de la famille qui ont une forte estime de soi, valeur et place dans le monde (de Leeuw, Greenwood et Cameron, 2010). Au sein des communautés autochtones, un fort sentiment d’identité agit comme un facteur de protection contre la maladie mentale et la toxicomanie et soutient la personne et la communauté en période de stress (Greenfield et Venner, 2012).
Centrer le savoir autochtone
La reconnexion à la vision autochtone, ainsi que le fait de centrer culturellement les communautés autochtones dans leur riche connexion avec la terre, l’histoire et l’univers spirituel, seront essentiels comme point de départ pour une promotion de la santé mentale adaptée. L’atteinte de résultats positifs centrés sur la personne peut être renforcée en encadrant la promotion de la santé à travers une lentille du savoir autochtone et de moyens de soutien (Walters et coll., 2020). Aborder la promotion de la santé, et plus particulièrement la promotion de la santé mentale, en partant du principe que la personne et la communauté sont les mieux placées pour transmettre leur récit sur les difficultés et les possibilités, rehausse la probabilité que l’intervention conçue réponde aux besoins particuliers du groupe cible (Stanley et coll., 2020). La création d’une initiative de promotion de la santé axée sur la culture et le savoir autochtone permettrait de « révéler » les contextes historiques, de se concentrer sur « l’état » contemporain et d’envisager avec discernement « le potentiel » dans un avenir ouvert à la guérison et à la prospérité.
Illumination et élévation
En mettant l’accent sur le savoir autochtone comme fondement de l’initiative de promotion de la santé (c’est-à-dire une stratégie centrée sur la santé mentale nommée « Illumination et élévation »), qui mise sur le renforcement de l’identité personnelle des Autochtones et qui vise à démanteler les obstacles historiques et contemporains au développement de l’identité et, par procuration, à favoriser la santé mentale et le mieux-être autochtones. Le fait de travailler directement avec la communauté autochtone identifiée permettrait un effort concerté dans le cadre duquel les aînés autochtones et les experts du savoir autochtone feraient partie intégrante de l’évaluation de la communauté, de la formulation de l’intervention et de la mesure du succès (Stanley et coll., 2020). En célébrant le savoir autochtone détenu par les aînés et les experts tribaux, on peut réduire les obstacles à « l’adhésion communautaire ». C’est le cas lorsque les membres de la communauté autochtone se connectent à un message transmis par une source fiable et respectée. Il est essentiel, lors de la formulation d’interventions de promotion de la santé, d’établir un lien avec le message et de percevoir le détenteur du savoir comme un expert de son histoire et de son vécu. Les aînés autochtones sont des détenteurs des connaissances qui comptent l’expérience vécue des disparités en matière de santé, en particulier des disparités en matière de santé mentale.
L'illumination et l’élévation sont des initiatives de promotion de la santé conçues pour remédier aux inégalités en matière de santé des Autochtones (Greenfield et Venner, 2012; Stanley et coll., 2020). Au sein d’une communauté autochtone identifiée, ces stratégies de promotion de la santé miseraient sur deux composantes importantes pour promouvoir le mieux-être mental et la capacité individuelle et collective et pour empêcher qu’une crise situationnelle ne se transforme en maladie mentale chronique.
Illumination
Dans le cadre de l’initiative, l’aspect « illumination » serait axé sur le collectif communautaire mené par les aînés tribaux et coanimé par des experts en santé mentale. Le processus comprendrait un cheminement d’apprentissage par la création et la découverte de récits historiques. L’objectif du programme Illumination comprendrait deux volets : premièrement, mettre au jour les blessures historiques, tant personnelles que communautaires, qui contribuent au stress et à la détresse actuels et, en fin de compte, aux disparités en matière de santé mentale, à partir d’une perspective de compréhension et d’autocompassion; et deuxièmement, dégager les zones de force et les occasions de tirer parti de ces forces.
Comme Stanley et coll. (2020) l’ont exploré, il sera essentiel que les séances individuelles ou collectives d’illumination soient supervisées par des aînés de la communauté dignes de confiance, en raison de la « méfiance de nombreux peuples autochtones à l’égard de la recherche et des chercheurs, méfiance qui trouve son origine dans les abus éthiques du passé » [traduction libre] (p. 2155). L’affirmation de la légitimité du chercheur dans la représentation authentique d’un désir de promouvoir le mieux-être mental devra être développée par l’inclusion graduelle du concept « etic » (interculturel) auprès des membres de la communauté, sous l’aval du ou des aînés tribaux. Le savoir autochtone et la possibilité d’exprimer les pensées et les émotions liées à l’expérience autochtone vécue dans ce contexte permettraient à la personne et à la communauté de commencer à comprendre le « pourquoi » sous-tendant les répercussions du traumatisme intergénérationnel et de l’acquisition désorganisée de l’identité (Stanley et coll., 2020). En faisant la lumière sur le pourquoi, la personne peut commencer à reconnaître que son expérience vécue et sa capacité personnelle diminuée en vue de maintenir son mieux-être mental sont des sous-produits du traumatisme colonial et de la dépendance fédérale forcée plutôt que le résultat d’une faiblesse personnelle ou d’un manque de courage.
Élévation
L’élévation dans le cadre de cette initiative de promotion de la santé serait axée sur la mobilisation des forces personnelles et collectives inhérentes, identifiées dans le cadre de l’illumination, et sur la capitalisation de ces forces pour élever et renforcer la résilience, des facteurs clés pour atténuer l’évolution ou l’exacerbation de la maladie mentale (Greenfield et Venner, 2012). Plus précisément, le principe d’élévation serait à nouveau supervisé par les aînés et des experts en santé mentale, dans le but de recadrer les pensées négatives sur le soi personnel et collectif en un récit lié aux domaines de force identifiés dans le concept d’illumination. Essentiellement, le groupe serait guidé à travers des récits et des activités de renforcement des capacités qui rehausseraient les domaines de force, comme les forces personnelles liées aux ensembles de compétences, aux intérêts et aux forces communautaires telles que la situation foncière, les connaissances tribales, la sagesse et l’accès aux pratiques de guérison et d’autosuffisance.
Renforcement des capacités
Conformément aux principes de durabilité et à une perspective de « collaboration plutôt que de travail pour le compte de quelqu’un », le renforcement des capacités au sein de la communauté afin d’améliorer la santé holistique améliorera la santé mentale des Autochtones en faisant la lumière sur la vérité et en s’appuyant sur cette vérité pour rehausser la conscience, l’identité et la force personnelles.
Références
Cianconi, P., Lesmana, C. B. J., Ventriglio, A. et Janiri, L. « Mental health issues among Indigenous communities and the role of traditional medicine », International Journal of Social Psychiatry, 65(4), 2019, p. 289–299. doi:10.1177/0020764019840060
de Leeuw, S., Greenwood, M. et Cameron, E. « Deviant constructions: How governments preserve colonial narratives of addictions and poor mental health to intervene into the lives of Indigenous children and families in Canada », International Journal of Mental Health & Addiction, 8(2), 2010, p. 282–295. doi:10.1007/s11469-009-9225-1
Gould, B., MacQuarrie, C., O’Connell, M. E. et Bourassa, C. « Mental wellness needs of two Indigenous communities: Bases for culturally competent clinical services », Canadian Psychology, 62(3), 2021, p. 213–236. doi:10.1037/cap0000247
Greenfield, B. L. et Venner, K. L. « Review of substance use disorder treatment research in Indian country: Future directions to strive toward health equity », American Journal of Drug and Alcohol Abuse, 38(5), 2012, p. 483–492. doi:10.3109/00952990.2012.702170
Marsh, T. N., Coholic, D., Cote-Meek, S. et Najavits, L. M. « Blending Aboriginal and Western healing methods to treat intergenerational trauma with substance use disorder in Aboriginal peoples who live in Northeastern Ontario, Canada », Harm Reduction Journal, 12(1), 2015, p. 14. doi:10.1186/s12954-015-0046-1
Nelson, S. E. et Wilson, K. « The mental health of Indigenous peoples in Canada: A critical review of research », Soc Sci Med, 176, 2017, p. 93–112. doi:10.1016/j.socscimed.2017.01.021
Noronha, N., Avarino, A., Balakumar, S., Toy, K., Smith, S., Wekerle, C., … Lokker, C. « Mental health mobile applications developed for Indigenous communities in Canada: A scoping review », Canadian Journal of Community Mental Health, 41(1), 2022, p. 102–106. doi:10.7870/cjcmh-2022-004
Owais, S., Tsai, Z., Hill, T., Ospina, M. B., Wright, A. L. et Van Lieshout, R. J. « Systematic review and meta-analysis: First Nations, Inuit, and Métis youth mental health », Journal of the American Academy of Child & Adolescent Psychiatry, 16(10), 2022, p. 1227–1250. doi:10.1016/j.jaac.2022.03.029
Stanley, L. R., Swaim, R. C., Kaholokula, J. K., Kelly, K. J., Belcourt, A. et Allen, J. « The imperative for research to promote health equity in Indigenous communities », Prevention Science, 21, 2020, p. 13–21. doi:10.1007/s11121-017-0850-9
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Pamela F. Cipriano, PhD, RN, NEA-BC, FAAN, infirmière leader de renommée mondiale, est la 29ème Présidente du Conseil International des Infirmières (CII) et professeur à l’École de soins infirmiers et à la Batten School of Leadership and Public Policy de l’Université de Virginie à Charlottesville (Virginie).
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