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Shela Hirani, infirmière et chercheuse primée, s’efforce d’éliminer les obstacles
Par Laura Eggertson
25 septembre 2023
Les initiatives de Shela Hirani pour soutenir et promouvoir l’allaitement l’ont menée au sommet d’une montagne au Pakistan jusqu’aux campus universitaires canadiens. Ce voyage au sommet d’une montagne a failli mettre fin à sa vie.
En 2018, Shela Hirani, infirmière autorisée et consultante en lactation, s’était rendue dans un camp d’aide aux sinistrés à Chitral, dans le nord du Pakistan.
Dans le cadre de ses recherches pour son doctorat en sciences infirmières, Shela Hirani interrogeait des femmes qui luttaient pour allaiter leur bébé dans un contexte de privation et de danger.
Malgré les avertissements concernant l’instabilité politique et géologique de la région, Shela Hirani était déterminée à entendre directement les femmes parler de ce dont elles avaient besoin pour donner à leurs bébés le meilleur départ possible dans la vie, même dans des circonstances désastreuses.
« Je me trouvais au sommet d’une montagne, assise sur le sol d’une tente avec une mère, pour une entrevue, lorsqu’un séisme actif s’est produit », se souvient Shela Hirani, aujourd’hui professeure agrégée à l’Université de Regina.
À l’intérieur de la tente, remplie de femmes, d’enfants et de moutons, certaines personnes ont commencé à réciter des versets religieux pour les mourants. D’autres se sont mis à courir.
« J’ai eu le sentiment que j’en étais aux derniers instants de ma vie, raconte-t-elle. J’ai fermé les yeux et j’ai prié en me disant que si ma vie s’arrêtait, je faisais [au moins] du bon travail. »
Reformulation de la politique d’aide en cas de catastrophe
Shela Hirani et la femme avec qui elle faisait l’entrevue ont survécu au séisme. Ses recherches sur les conditions rencontrées par les femmes allaitantes lors de catastrophes ont contribué à l’élaboration de programmes d’aide aux mères déplacées dans cette région, explique-t-elle.
Partout dans le monde, lorsque des catastrophes surviennent, les gouvernements, les organismes d’aide et les particuliers s’empressent de fournir de grandes quantités de lait maternisé parmi leurs dons, explique Shela Hirani.
Cependant, sans accès à de l’eau potable ou à des biberons, ou sans pouvoir s’offrir du lait maternisé une fois les dons épuisés, les femmes qui reçoivent du lait maternisé sont encore plus mal en point, dit-elle.
« En fait, les mères devraient bénéficier d’un soutien à l’allaitement et d’une bonne nutrition, plutôt que de recevoir du lait maternisé », explique Shela Hirani.
À la suite de ses recherches, Shela Hirani a aidé les organismes de secours à comprendre qu’ils devraient fournir aux mères des aliments nutritifs, des produits d’hygiène et un soutien à l’allaitement en ligne, plutôt que du lait maternisé.
Elle a également plaidé auprès des organismes de secours humanitaire pour que des tours de télécommunications soient installées dans les zones sinistrées, afin que les femmes puissent bénéficier d’un soutien par l’entremise de téléphones cellulaires.
« Mon travail a permis de modifier de nombreuses pratiques », déclare Shela Hirani.
Conception d’un outil d’évaluation
Pour illustrer l’influence de Shela Hirani, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a publié et cité l’article qu’elle a rédigé sur la base de son travail sur le terrain avec des mères déplacées à l’intérieur du pays à Chitral. En 2020, l’OMS l’a aussi reconnue comme l’une des 100 infirmières et sages-femmes exceptionnelles du monde entier.
Avant même de mener ses recherches doctorales, Shela Hirani a mis au point un outil d’évaluation du soutien perçu à l’allaitement . Les professionnels de la santé, les cliniciens et les chercheurs peuvent utiliser l’outil pour mesurer la perception qu’ont les mères sur le marché du travail de la disponibilité d’un soutien à l’allaitement de la part de leur réseau social et de leur lieu de travail.
Shela Hirani a grandi et passé le début de sa carrière à Karachi, au Pakistan, et a travaillé à l’Université Aga Khan en tant que professeure adjointe. Il est donc gratifiant pour elle de savoir que le Pakistan figure parmi les pays qui utilisent son outil pour évaluer le soutien à l’allaitement et étendre les services aux mères allaitantes.
Lorsque Shela Hirani s’est installée au Canada, elle a été surprise de constater que les difficultés et les obstacles auxquels sont confrontées les mères allaitantes ont des composantes universelles. En tant qu’étudiante au doctorat à l’Université de l’Alberta, elle a découvert que d’autres étudiantes et membres du personnel avaient du mal à maintenir leurs pratiques d’allaitement sur le campus.
« S’il n’y a pas de politique d’allaitement sur le campus, pas de flexibilité, pas de salles privées, ce sont là quelques-uns des premiers obstacles auxquels sont confrontés les mères avec de jeunes bébés », explique-t-elle.
En collaboration avec d’autres étudiantes et membres du personnel, Shela Hirani a contribué à créer un mouvement en faveur de l’allaitement en public, toujours actif aujourd’hui à l’Université de l’Alberta.
L’Université de Toronto s’est également tournée vers elle pour obtenir des conseils lorsqu’elle a voulu mettre en place des politiques favorables à l’allaitement pour les étudiantes et le personnel sur le campus. Son travail a donné lieu à la création de salles d’allaitement sur ce campus, ainsi qu’à une politique favorable aux nouvelles mères et aux nourrissons dans de nombreux établissements d’enseignement supérieur, dit-elle.
L’allaitement en public
Shela Hirani ne limite toutefois pas ses activités de plaidoyer aux campus. Ses recherches actuelles et son enseignement portent sur les préoccupations des immigrantes et des réfugiées, ainsi que d’autres populations vulnérables. Elle veut s’assurer qu’elles disposent d’information, de soutien et d’endroits sûrs pour allaiter leur nourrisson.
« Je milite pour l’allaitement dans des lieux publics, comme les parcs, les restaurants, les centres commerciaux, les aéroports et tous les autres lieux où les mères sont avec leur bébé »,explique Shela Hirani.
Elle tient à ce que les politiques d’allaitement n’obligent pas les femmes à extraire leur lait en privé ou à allaiter leur nourrisson dans les toilettes.
« Il n’est pas normal qu’un adulte mange dans les toilettes, souligne-t-elle. Alors, pourquoi discriminer les bébés? Allaiter dans les toilettes n’est pas l’idéal. »
Shela Hirani a aussi identifié le manque de compétences culturelles dans les établissements de soins de santé comme un obstacle à l’allaitement et à une bonne santé maternelle et infantile.
Qu’il s’agisse de veiller à ce que les femmes musulmanes aient de la nourriture halal à l’hôpital, d’accéder à leur demande d’avoir des femmes médecins ou de mettre à leur disposition de la documentation sur l’allaitement dans de nombreuses langues, Shela Hirani travaille avec l’autorité sanitaire de la Saskatchewan, des établissements de soins de santé individuels et des organismes d’aide à l’établissement des immigrants de la Saskatchewan pour améliorer les pratiques adaptées aux mères et aux bébés.
Par exemple, les nouvelles résidentes au Canada se voient souvent offrir des échantillons de lait maternisé dans les cliniques médicales ou dans des milieux communautaires, au lieu de bénéficier d’un suivi, de soins communautaires et de se voir encourager à allaiter, explique-t-elle.
Dans le cadre de son travail visant à améliorer les soins aux femmes et aux enfants, Shela Hirani a créé des vidéos d’animation et d’autres modules d’enseignement destinés au personnel infirmier et aux autres professionnels de la santé qui s’occupent des immigrantes et des réfugiées.
Elle a également créé une vidéo au début de la pandémie pour expliquer comment poursuivre l’allaitement en toute sécurité, notamment en utilisant un masque pendant l’allaitement si une femme a été déclarée positive à la COVID-19.
Offre de soins adaptés à la culture
L’objectif de Shela Hirani est de faire en sorte que les « futures générations d’infirmières sachent à l’avance qui sont leurs clientes et comment faire preuve d’esprit critique, ne pas porter de jugement et offrir des soins en tenant compte des différences culturelles ».
En tant que consultante en lactation, Shela Hirani offre aussi un soutien individuel gratuit aux mères allaitantes, soit en personne, soit via Zoom. Les demandes d’aide auxquelles elle répond chaque mois sont de l’ordre de 5 à 10.
Shela Hirani a reçu de nombreux prix pour son sens du leadership, notamment le Saskatchewan Multicultural Leadership Award en 2022, le YWCA Nutrien Women of Distinction Award en 2022 et la Médaille du jubilé de platine de la Reine Elizabeth II au début de l’année.
Cependant, ce qui est le plus valorisant pour elle, ce sont les sourires et la rétroaction des nouvelles mères qui disent que le fait d’avoir été encadrées par elle les a aidées à reprendre ou à poursuivre l’allaitement.
« C’est ainsi que je reste motivée, en aidant la communauté pour ma propre satisfaction interne », ajoute-t-elle.
Chaque fois qu’elle travaille avec une mère allaitante, Shela Hirani se souvient de ses propres difficultés à poursuivre l’allaitement.
Bien qu’elle ait allaité sa fille pendant huit mois, elle a dû interrompre cette pratique, car son lieu de travail de l’époque, un hôpital, n’avait pas de politique de soutien ou de salle privée où elle pouvait extraire et conserver son lait.
« La quantité de lait maternel que je produisais était de plus en plus faible et ne permettait pas de bien nourrir ma fille, si bien que je n’ai pas pu maintenir l’allaitement, explique-t-elle. C’est le plus grand regret de ma vie. »
Aujourd’hui, sa fille a 18 ans et envisage de devenir elle-même infirmière, inspirée par l’exemple de sa mère.
Passer du temps avec sa fille et son mari lors d’escapades routières et à des festivals culturels, ou à écouter et jouer de la musique sont autant de moyens pour Shela Hirani de se ressourcer et de renouveler l’énergie nécessaire pour encadrer d’autres membres du personnel infirmier et des professionnels de la santé, ainsi que les mères qu’elle aide et encourage.
Tout au long de son travail, son principe directeur est de contribuer à faire du monde un endroit différent, un endroit qui « offre plus de possibilités de changements positifs dans la vie des femmes et des enfants marginalisés. »
Laura Eggertson est journaliste indépendante à Wolfville, en Nouvelle-Écosse.
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