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La chercheuse Bernie Pauly a consacré sa carrière à la réduction des méfaits
Par Laura Eggertson
27 novembre 2023
Lorsque le Canada a publié, en juillet dernier, les premières lignes directrices mondiales pour les programmes de prise en charge de l’alcoolisme, ce document novateur était attribuable en grande partie à l’infirmière et chercheuse Bernadette (Bernie) Pauly et à l’étude Canadian Managed Alcohol Program.
Depuis plus de dix ans, Bernie Pauly, professeure à l’Université de Victoria et scientifique au Canadian Institute for Substance Use Research, codirige cette initiative. Ce projet de recherche participative communautaire évalue la mise en œuvre et les répercussions de la réduction des méfaits de l’alcool, connus sous le nom de programmes de prise en charge de l’alcoolisme.
Dans le cadre de ces programmes, les personnes ayant de graves problèmes de consommation d’alcool reçoivent des doses régulières d’une quantité d’alcool sûre, adaptée à leurs besoins individuels. Ces programmes ont été mis au point pour réduire les méfaits d’une consommation excessive d’alcool à long terme et chronique.
Plutôt que de se livrer à l’hyperalcoolisation rapide, de boire du rince-bouche ou de l’alcool à friction parce qu’ils n’ont pas les moyens de s’offrir autre chose, et de se voir refuser un hébergement ou d’autres services parce qu’ils consomment, les participants reçoivent de l’alcool administré comme un médicament, dans une atmosphère de dignité et de respect.
Ils bénéficient aussi de repas, d’un abri ou d’un logement, et ont accès à d’autres services tels que les soins primaires et du soutien social et culturel.
« La prise en charge de l’alcoolisme est une démarche de réduction des méfaits, car il n’est pas nécessaire de cesser de consommer de l’alcool pour bénéficier du soutien et de services, explique Bernie Pauly. L’objectif est de réduire les méfaits de l’alcool et de l’itinérance. Tout le monde devrait avoir un toit et connaître la sécurité et la dignité. C’est une voie vers la guérison. »
Les programmes de prise en charge de l’alcoolisme gagnent du terrain au Canada et dans le monde entier. Ils comblent une lacune importante dans les services destinés aux personnes qui subissent les méfaits de la consommation excessive d’alcool et de l’itinérance. Les programmes peuvent également déboucher sur d’autres services, y compris la thérapie.
Les lignes directrices canadiennes sont conçues pour aider les décideurs politiques, les responsables des soins de santé et les communautés et organisations concernées à mettre en place d’autres programmes de prise en charge de l’alcoolisme.
Les programmes doublent
Lorsque Bernie Pauly a commencé à évaluer les programmes, en 2011, il y en avait moins d’une douzaine dans tout le pays. En 2019, le Canada comptait 20 programmes de prise en charge de l’alcoolisme. Aujourd’hui, on en compte plus de 40.
« Le Canada est considéré comme un chef de file mondial dans ce domaine », affirme Bernie Pauly.
La COVID est en partie à l’origine de la croissance des programmes de prise en charge de l’alcoolisme. Les responsables de la santé publique ont reconnu la nécessité de ces programmes pour éviter que les personnes ne souffrent de graves symptômes de sevrage et pour leur permettre de s’isoler et de pratiquer la distanciation sociale.
L’équipe de Bernie Pauly, dont les recherches démontrent l’efficacité des programmes, est un autre moteur important de l’expansion des programmes de prise en charge de l’alcoolisme.
Elle et ses collègues ont démontré que les personnes participant à des programmes de prise en charge de l’alcoolisme subissent moins les conséquences du sevrage qui mettent leur vie en danger, telles que les crises d’épilepsie et les tremblements délirants. Leurs problèmes juridiques diminuent parce qu’ils ont moins de contacts avec la police.
Sans avoir à se demander quotidiennement comment obtenir suffisamment d’argent pour satisfaire leur besoin en alcool, soit la consommation de survie, les participants peuvent renouer avec leur famille et leurs amis.
Plus important encore, les programmes améliorent la qualité de vie des participants, stabilisent leur état de santé, réduisent le nombre de visites aux urgences et leur redonnent de l’espoir en l’avenir, explique Bernie Pauly.
Ces programmes répondent à un besoin essentiel pour les personnes chez qui l’abstinence n’a pas fonctionné ou pour celles qui subissent des préjudices et sont incapables de cesser de consommer de l’alcool, ajoute-t-elle.
L’expérience vécue est essentielle
Bernie Pauly reconnaît que la défense des intérêts des personnes ayant une expérience vécue et qui travaillent avec l’équipe de recherche a permis de faire évoluer les systèmes afin de mieux répondre à leurs besoins en matière de santé et de réduction des méfaits.
La recherche participative signifie que les communautés de consommateurs d’alcool et d’autres drogues définissent les questions de recherche et orientent la recherche. Elles identifient les obstacles à l’accès au logement et à d’autres services et soulignent la nécessité de changements.
« Ces communautés ont reconnu qu’elles s’exposaient à des risques parce qu’elles vivaient à l’extérieur, qu’elles consommaient de l’alcool et qu’elles se faisaient voler et souvent agresser, explique Bernie Pauly. Elles se sont rendues compte qu’elles consommaient de l’alcool depuis longtemps, qu’elles avaient des antécédents traumatiques et, dans certains cas, qu’elles avaient fréquenté des pensionnats et qu’elles subissaient les conséquences du colonialisme. »
« Un programme s’avérait nécessaire pour combler cette lacune. »
Bernie Pauly s’est engagée à utiliser la méthode de recherche participative, en travaillant avec des communautés de personnes touchées par la consommation de substances, la pauvreté et l’itinérance, pour générer de nouvelles questions de recherche et de nouvelles connaissances, en plus de son évaluation des programmes de prise en charge de l’alcoolisme.
Son travail a eu des répercussions importantes sur les politiques. Elle a dirigé l’élaboration du premier document de travail de l’Association des infirmières et infirmiers du Canada (AIIC) sur la réduction des méfaits, qui a servi de base à l’énoncé de position de l’AIIC sur le sujet. L’AIIC s’est appuyée sur les recherches de Bernie Pauly lors de son témoignage devant la Cour suprême en faveur d’Insite, le centre de consommation supervisée de Vancouver.
Elle a choisi de travailler sur ces enjeux parce qu’elle estime que chacun et chacune a droit à la dignité et au respect, ainsi qu’à un logement et à des services de santé.
Des patients privés de dignité
Au début de sa carrière, elle a vu des personnes consommant des substances être privées de dignité et de respect. Jeune infirmière aux urgences, Bernie Pauly a été profondément marquée par l’attitude et le traitement des personnes qui avaient besoin de soins à la suite d’une surdose ou d’une intoxication à l’alcool.
« On nous disait de ne pas perdre notre temps avec ces personnes, de nous en occuper rapidement et de passer à autre chose, se souvient Bernie Pauly. On n’éprouvait pas beaucoup de sympathie ou d’empathie pour les personnes qui présentaient des problèmes ou des troubles ou blessures liés à la consommation de substances. »
L’attitude était systémique, dit-elle. Elle ne cadrait pas avec le Code de déontologie des infirmières et infirmiers autorisés de l’AIIC, qui fait la promotion de la dignité, de la santé et de la justice qui sont des principes fondamentaux que l’ensemble du personnel infirmier est censé respecter.
« Nous avons des sentiments culturels compliqués à l’égard de la toxicomanie, comme de penser que les gens s’infligent cet état, plutôt que de comprendre que la toxicomanie est le résultat d’une déconnexion ou d’une réaction à un traumatisme, à la colonisation et à d’autres problèmes systémiques », explique Bernie Pauly.
Le manque d’empathie à l’égard des consommateurs de substances ne correspond pas non plus aux valeurs avec lesquelles Bernie Pauly a grandi. À Major, en Saskatchewan, où elle a grandi, il y avait moins de 100 habitants, mais tout le monde s’occupait des autres et il y a avait un fort sentiment d’appartenance à la communauté.
« C’était inscrit dans mon ADN », dit-elle.
Bernie Pauly craignait que si elle continuait à travailler dans les hôpitaux, elle adopte des comportements et des attitudes qui, elle le savait, ne correspondaient pas à ses valeurs ni à celles de la profession infirmière. Elle a donc décidé de reprendre des études supérieures, où elle a obtenu un doctorat. Elle est devenue professeure et s’est engagée à nouer des relations avec des organisations et des groupes de personnes qui consomment des drogues, au niveau local et au-delà.
À Victoria, elle travaille depuis plus de 15 ans avec SOLID Outreach, une organisation de réduction des méfaits menée par des pairs, dans le cadre de programmes et d’initiatives de recherche. Elle travaille en étroite collaboration avec East Side Illicit Drinkers for Education, un groupe qui s’est engagé à améliorer la vie des personnes qui consomment de l’alcool. Elle travaille également en partenariat avec des groupes de toute la province sur d’autres recherches relatives à la réduction des méfaits, notamment l’évaluation d’initiatives provinciales visant à introduire un approvisionnement plus sûr sur ordonnance afin de réduire les méfaits d’un marché des drogues toxiques et non réglementé.
L’influence de l’East Side Illicit Drinkers for Education prend forme dans les nouvelles lignes directrices relatives aux programmes de prise en charge de l’alcoolisme, notamment dans l’inclusion d’une charte des droits de la clientèle (British Columbia Center on Substance Use, p. 120).
La recherche est synonyme de changement
Les membres de ces communautés sont des « des personnes extraordinaires qui ont des connaissances incroyables, dit Bernie Pauly. « Ils sont capables d’analyser les systèmes de manière critique et peuvent rapidement vous dire quels sont les problèmes. Cette sagesse oriente les recherches que nous menons et éclaire les pratiques et les orientations politiques. »
« Nous travaillons en partenariat depuis plus de dix ans. »
Entendre leurs histoires est un privilège, dit Bernie Pauly, mais peut aussi être éprouvant. Pour se maintenir en bonne santé physique et mentale, elle marche, elle fait de la randonnée et du vélo, elle lit des romans policiers, et écoute de la musique alternative, folk et du rock classique. Elle aime passer du temps avec son mari, James, et leurs enfants Brenna et Ethan, ainsi qu’avec ses nombreux amis « extraordinaires ».
Bernie Pauly puise également sa force dans ses partenariats de recherche. C’est pourquoi elle a été très touchée lorsqu’une femme de la communauté participant à l’un des programmes qu’elle évaluait l’a récemment remerciée pour son travail.
« La recherche est synonyme de changement », lui a dit cette femme.
Le fait que cette femme reconnaisse que les données probantes sont la voie du changement est devenu un moment d’affirmation précieux pour Bernie Pauly.
« La rencontre de cette femme à l’extérieur de l’un des programmes de réduction des méfaits m’a motivée à poursuivre mon travail, dit-elle. Je ne me contente pas de produire un article publié qui se retrouve sur des tablettes, je produis quelque chose qui peut être utilisé par et pour les gens, pour apporter des changements qui peuvent sauver des vies. »
Laura Eggertson est journaliste indépendante à Wolfville, en Nouvelle-Écosse.
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