https://www.canadian-nurse.com/blogs/cn-content/2024/03/11/african-diabetes
Forme de diabète atypique prévalente dans les populations africaines, mais sans cause connue
Par Nathalie Côté, Kassandra Dignard et Elena Hunt
11 mars 2024
Messages à retenir
- L’importance de la compréhension du diabète « africain » et comment celui-ci diffère des autres types de diabète.
- Le rôle de l’infirmière ou de l’infirmier consiste à mettre l’accent sur la reconnaissance de la clientèle africaine à risque dans le but d’intervenir de manière préventive et sur la surveillance étroite lors du traitement, car l’amélioration rapide sous insuline peut provoquer de nombreuses hypoglycémies.
- Le traitement comprend un processus d’abord agressif, suivi par l’application de normes de prise en charge du diabète de type 2 vers une rémission possible.
Habituellement, lorsqu’un article porte sur la clientèle africaine canadienne, on pense surtout à la culture, aux croyances et aux habitudes de vie, mais pas cette fois. Cet article mettra en lumière une physiopathologie méconnue chez cette clientèle. Nous parlons ici d’un diabète atypique.
En 2021, environ 10 % des Canadiens ont reçu un diagnostic de diabète de type 1 ou 2 (Diabète Canada, 2021). La prévalence de la maladie est en hausse constante depuis plusieurs années et on prévoit que 12 % des Canadiens en seront touchés d’ici 2031(Diabète Canada, 2021).
Si la personne diabétique ne reçoit pas de diagnostic précoce et le bon traitement, les risques de complications reliés au diabète entraînent des répercussions importantes sur les personnes atteintes, mais représentent aussi un fardeau important sur le système de santé, qui est estimé à près de 4 milliards de dollars en 2021 au Canada (Diabète Canada, 2021).
Les immigrants africains sont caractérisés par la prévalence la plus élevée au Canada (Diabète Canada, 2021). Certaines études, dont celles de Belhadiet coll., 2007 ; Bavuma et coll., 2019, ont montré que les Africains ne répondaient pas tous aux traitements typiques du diabète de type 1, ce qui remet en question les mesures à prendre pour un traitement adéquat et une sensibilisation de cette clientèle.
Commençons par passer en revue les connaissances et les différents types de diabète.
Les types de diabètes
Le diabète est une maladie chronique qui se caractérise par la présence d’un taux de sucre anormalement élevé dans le sang, attribuable à une réduction de la sécrétion d’insuline ou de son action. L’insuline est une hormone qui permet aux cellules du corps d’utiliser le glucose comme énergie, processus indispensable au bon fonctionnement de l’organisme. L’insuline elle-même ainsi que le glucose doivent se retrouver en équilibre, sur une plage de valeurs physiologiques acceptables, faute de quoi la maladie s’installe insidieusement.
Il est important de pouvoir distinguer le type de diabète, une fois qu’il est détecté, afin de pouvoir choisir le traitement qui s’avérera le plus efficace. À long terme, une glycémie non maîtrisée liée au diabète est associée à plusieurs complications microvasculaires particulières, touchant les yeux, les reins et les nerfs, ainsi qu’à un risque accru de maladies cardiovasculaires (Diabète Canada, 2018).
Diabète de type 1
Le diabète de type 1 se manifeste lorsque le pancréas est incapable de produire de l’insuline et les personnes qui en sont atteintes sont dites insulinodépendantes. Ce diabète est associé à un processus immunitaire de destruction des cellules bêta du pancréas, de raison inconnue, provoquant une hyperglycémie pouvant conduire à une acidocétose.
L’acidocétose se caractérise par l’accumulation de corps cétoniques dans le sang, attribuable à la destruction des graisses, car le corps puise dans ses réserves de tissus gras pour obtenir l’énergie dont il a besoin. Ce processus est le résultat d’un manque de glucose cellulaire, c’est-à-dire que le glucose sanguin ne peut pas être transféré du sang vers les cellules en raison de l’absence d’insuline.
Le phénomène acido-cétonique peut provoquer des symptômes graves tels que des nausées, des vomissements, des douleurs abdominales, la confusion et une perte de conscience (Diabète Canada, 2018).
Diabète de type 2
Le diabète connu sous le nom de type 2 touche 90 % de toute la population atteinte de diabète (Diabète Canada, 2021). Il survient lorsque le pancréas ne parvient pas à sécréter suffisamment d’insuline ou lorsque le corps n’utilise pas efficacement l’insuline sécrétée.
Ce type de diabète ne se caractérise pas, comme le type 1, par la présence d’anticorps anti-îlots de Langerhans. Il peut apparaître à tout âge, mais plus fréquemment après 30 ans. Il se traite généralement par une modification du mode de vie, l’ajout d’hypoglycémiants oraux et nécessite parfois de recourir à l’insulinothérapie afin de prévenir l’hyperglycémie (Diabète Canada, 2018).
Diabète gestationnel
Le diabète gestationnel est un diabète qui survient pendant la grossesse et est attribuable à une intolérance au glucose qui se résorbe souvent après l’accouchement (Diabète Canada, 2018).
Diabète atypique
Les types plus rares sont identifiés par le terme « atypique ». Ils sont attribuables à d’autres maladies, à l’usage de médicaments ou bien à l’origine génétique (Diabète Canada, 2018).
L’incidence du diabète chez les populations africaines et canadiennes
Selon l’Organisation mondiale de la Santé [OMS] (2016), 10 % de la population est atteinte de diabète en Afrique du Sud.
Les problèmes de santé de la population africaine ont été longtemps associés aux maladies transmissibles, mais depuis les dernières années, on note une augmentation des maladies non transmissibles telles que les maladies cardiovasculaires et le diabète, qui sont à l’origine de 44 % des décès en Afrique du Sud, en 2016 (OMS, 2016).
Au Canada, malgré les efforts de prévention du diabète, un taux élevé d’individus sont atteints de cette maladie. De nombreux immigrants canadiens font partie de ce groupe, plus particulièrement les populations asiatiques du Sud, chinoises et de race noire qui présentent un risque élevé de développer le diabète (Diabète Canada, 2021).
Le taux de mortalité est deux fois plus élevé chez les Canadiens atteints de diabète que chez les personnes non diabétiques (Diabète Canada, 2021).
L’envergure du phénomène, de l’incidence et de la prévalence du diabète au sein de la population canadienne d’origine africaine nécessite une prise de connaissance et de conscience de la part de tous les professionnels de la santé.
Quelle est l’origine du diabète « africain »?
Ce type de diabète a été observé au début des années 1980, en Afrique, et est maintenant connu sous divers noms tels que le diabète « africain », type 1B, idiopathique ou diabète avec tendance à la cétose (Belhadi etcoll., 2007). Il affecte majoritairement les adolescents et les adultes africains. Certains d’entre eux se retrouvent en Amérique du Nord et en Europe (Belhadi et coll., 2007; Bavuma et coll., 2019).
Malgré son nom particulier, des cas avec une présentation symptomatique semblable ont aussi été signalés chez les populations asiatiques et blanches (Belhadi et coll., 2007). Il demeure toujours inconnu et plus significatif chez les populations de race noire d’origine africaine immigrante, bien que la prévalence de ce type de diabète ait été remarquée chez 30 % des Africains du Cameroun (Bavuma et coll., 2019).
L’étude de Njuieyon et coll. (2010) a démontré que ce type de diabète existe aussi dans la population africaine pédiatrique, ce qui exige une attention particulière, puisqu’il peut être confondu avec le diabète de type 1 dont l’évolution et le traitement diffèrent.
Comment le diabète « africain » diffère-t-il des autres types de diabètes?
Ce type de diabète se présente avec une hyperglycémie cétonique grave qui requiert un traitement d’urgence, tel qu’un traitement d’hydratation et d’insuline par voie intraveineuse. Le tableau clinique semble plutôt particulier au diabète de type 1, mais son évolution et les manifestations subséquentes se rapprochent plutôt du diabète de type 2.
Les résultats des analyses sanguines ne démontrent pas d’anticorps antiacides glutamiques décarboxylases (GAD) qui identifierait un diabète de type 1. Après plusieurs semaines et la stabilisation de la glycémie, le traitement à l’insuline provoque des hypoglycémies répétées, ce qui remet en question le traitement à l’insuline typique du diabète de type 1.
L’évolution du diabète de type 1 permet l’utilisation d’insuline sous-cutanée, mais aussi le traitement à l’aide d’hypoglycémiants par voie orale ou, à la longue, un simple contrôle de la diète. La durée approximative de la période aiguë de ce diabète varie de 6 à 72 mois (Choukem et coll., 2013). Il est alors décrit comme un diabète dont les symptômes débutent rapidement, qui requiert des traitements à haut calibre comme un diabète de type 1, mais qui se traite par la suite comme un diabète de type 2 (Belhadi et coll., 2007).
L’étude de Lontchi-Yimagou et coll. (2018) compare le rapport inflammatoire chez les clients atteints du diabète « africain » en phase cétonique avec celui des patients atteints du diabète « africain » après la phase cétonique et de ceux qui ont le diabète de type 2, n=72. Le résultat a démontré qu’il y a une réaction pro-inflammatoire plus importante en phase cétonique chez les patients atteints du diabète « africain » par rapport aux deux autres groupes dont le rapport pro-inflammatoire était moins élevé et comparable.
La réaction pro-inflammatoire pourrait induire une diminution de la sécrétion de l’insuline par les cellules bêta du pancréas, ce qui contribue à la production de cétones dans le corps. Cependant, les auteurs recommandent de pousser davantage les recherches pour mieux comprendre les réactions inflammatoires pendant les diverses phases de la maladie.
L’étude transversale de Balti et coll. (2015), s’est attardée sur différents facteurs métaboliques, génétiques et viraux qui pourraient être associés à la présence du diabète à tendance cétonique, sur un échantillon de 172 participants. L’étude n’a montré aucune association entre le profil génétique et la sensibilité à une réaction avec acidocétose chez les personnes touchées par le diabète de type 2 avec anticorps négatifs.
Les recherches doivent se poursuivre afin de mieux comprendre le diabète « africain » et d’envisager sa prévention et son traitement adéquat.
Prévention et interventions infirmières
La prestation de soins adaptés à la culture revêt une grande importance et la méthodologie de traitement du diabète des populations ethnoculturelles du Canada passe par la compréhension de leur culture et de leur physiologie.
Les mythes qui entourent le diabète renforcent la stigmatisation et le mysticisme à perpétuité. C’est pourquoi il est important de mieux comprendre le diabète chez les populations africaines immigrantes au Canada, et subséquemment d’orienter les stratégies de prévention visant à diminuer le fardeau de la maladie.
Malgré l’intérêt de plus en plus marqué que le diabète et la population africaine suscitent chez les scientifiques, peu de recherches sont axées sur la signification du diabète qui touche ce regroupement de la population (Bakombo et Laperrière, 2017). La mobilisation du personnel infirmier dans la prise en charge de cette maladie et la transmission des connaissances prennent toute leur ampleur.
La prévention est la première étape pour déceler les facteurs de risque des patients. L’infirmière ou l’infirmier en soins primaires qui prend en charge une clientèle africaine dont la glycémie est anormale devra adapter son intervention en reconnaissant les symptômes du diabète « africain ».
Les cas cliniques répertoriés se présentent avec un syndrome polyurique-polydipsique ainsi qu’une perte de poids, et dont le début d’action est rapide et nécessite un traitement insulinique urgent (Belhadi et coll., 2007).
L’infirmière ou l’infirmier qui reçoit des sujets africains à l’unité d’urgence en état cétonique devra s’assurer, une fois la glycémie maîtrisée par l’insuline et la correction des troubles ioniques, qu’ils sont orientés vers une équipe médicale pour un suivi longitudinal.
Le suivi infirmier étroit est requis afin de surveiller et maîtriser la glycémie pour éviter les hypoglycémies qui sont par ailleurs fréquentes et qui sont suivies d’une évolution vers la rémission une fois la glycémie stabilisée (Bavuma et coll., 2019). À la résolution de la crise, le traitement est identique à celui du diabète de type 2. L’infirmière ou l’infirmier verra son rôle de sensibilisation et d’accompagnement dans la prise en charge autonome du diabète prendre une place importante pour que la glycémie des personnes atteintes du diabète « africain » soit maîtrisée.
L’intégration d’anti-hyperglycémiants oraux, la sensibilisation en ce qui concerne la prise en charge autonome du mode de vie (alimentation saine, programme d’exercices physiques et autosurveillance de la glycémie) font partie du processus thérapeutique (Diabète Canada, 2021; Bavuma et coll., 2019).
Conclusion
Le diabète de type 2 est un problème de santé majeur au Canada et est plus prononcé dans la population canadienne d’origine africaine. Le diabète « africain » gagne à être connu par les professionnels de la santé puisque son traitement de rétablissement diffère du diabète de type 1 alors que sa présentation initiale est semblable. Le diabète « africain » exige une attention particulière de la glycémie afin de prévenir des hypoglycémies graves et éviter de lourdes conséquences.
Pour mieux comprendre les types de diabète et la prise en charge du traitement chez cette population, il est impératif d’orienter la recherche sur la population africaine qui a immigré au Canada. Le développement de la recherche pourra contribuer à réduire les risques de complications et de mortalité reliée au diabète chez cette clientèle.
Références
Bakombo et Laperrière, H. « Cultural Sensitivity in Diabetic Interventions Among African and Caribbean Immigrants in Canada : A Systematic Review », Université d’Ottawa, 2017. Tiré de : https://ruor.uottawa.ca/handle/10393/36627
Balti, E. V., Ngo-Nemb, M. C., Lontchi-Yimagou, E., Atogho-Tiedeu, B., Effoe, V. S., Akwo, E. A., Dehayem, M. Y., Mbanya, J.-C., Gautier, J.-F. et Sobngwi, E. « Association of HLA class II markers with autoantibody-negative ketosis-prone atypical diabetes compared to type 2 diabetes in a population of sub-Saharan African patients », Diabetes Research and Clinical Practice, 107(1), 2015, p. 31–36. https://doi.org/10.1016/j.diabres.2014.10.002
Bavuma, C., Sahabandu, D., Musafiri, S., Danquah, I., McQuillan, R. et Wild, S. « Atypical forms of diabetes mellitus in Africans and other non-European ethnic populations in low- and middle-income countries: asystematic literature review », Journal of Global Health, 9(2), 2019. https://doi.org/10.7189/jogh.09.020401
Belhadi, L., Chadli, A., Bennis, L., Ghomari, H. et Farouqi, A. « Diabète atypique avec tendance à la cétose ou diabète « africain » : à propos de deux cas », Annales d’endocrinologie, 68(6), 2007, p. 470–474. https://doi.org/10.1016/j.ando.2007.05.005
Choukem, S., Sobngwi, E., Boudou, P., Fetita, L., Porcher, R., Ibrahim, F., Blondeau, B., Vexiau, P., Mauvais-Jarvis, F., Calvo, F. et Gautier, J.-F. « [beta]- and [alpha]-cell dysfunctions in Africans with ketosis-prone atypical diabetes during near-normoglycemic Rémission », Diabetes Care, 36(1), 2013, p. 118-123.https://doi.org/10.2337/dc12-0798
Diabète Canada. « Définition, classification et diagnostic du diabète, du prédiabète et du syndrome métabolique »,2018.Tiré de : https://guidelines.diabetes.ca/CDACPG/media/documents/French%202018%20CPG/03-Definition,-Classification-and-Diagnosis-FR.pdf
Diabète Canada. « Le diabète au Canada : Document d’information », Ottawa, 2021. Tiré de : https://www.diabetes.ca/DiabetesCanadaWebsite/media/Advocacy-and-Policy/Backgrounder/2021_Backgrounder_Canada_French_FINAL.pdf
Lontchi-Yimagou, E., Boudou, P., Nguewa, J. L., Noubiap, J. J., Kamwa, V., Djahmeni, E. N., Atogho-Tiedeu, B., Azabji-Kenfack, M., Etoa, M., Lemdjo, G., Dehayem, M. Y., Mbanya, J. C., Gautier, J.-F. et Sobngwi, E. « Acute phase ketosis-prone atypical diabetes is associated with a pro-inflammatory profile: a case-control study in a sub-Saharan African population ». Journal of Diabetes and Metabolic Disorders », 17(1), 2018, p. 37–43. https://doi.org/10.1007/s40200-018-0336-8
Njuieyon, F., Guilmin Crepon, S., Bismuth, E., Carel, J. C. et Tubiana Rufi, N. P17 « Le diabète de type 2 cétonurique africain existe aussi chez l’enfant », Diabetes and Metabolism, 36, 2010, A43–A44. https://doi.org/10.1016/S1262-3636(10)70165-8
Organisation mondiale de la santé (2016). Profils des pays pour le diabète, 2016 : Afrique du Sud. Tiré de : https://cdn.who.int/media/docs/default-source/country-profiles/diabetes/zaf-fr.pdf?sfvrsn=f529a483_36&download=true
Nathalie Côté, B. Sc. inf., CDE., M. Sc. inf. PIA, est infirmière spécialiste en diabète et infirmière-chef clinique au Centre francophone du Grand Toronto.
Kassandra Dignard, inf. aut., B. Sc. inf., M. Sc, inf., est coordonnatrice de l’enseignement à l’Hôpital Montfort d’Ottawa.
Elena Hunt, B, Sc, inf.., M. Sc. inf., Ph. D., détient un diplôme en économie et est professeure émérite de l’Université Laurentienne.
#pratique
#modèlesdesoins
#maladiechronique
#santécommunautaire
#relationpersonnelinfirmier-patients
#racisme
#déterminantssociauxdelasanté