https://www.canadian-nurse.com/blogs/cn-content/2024/04/22/is-this-the-welcome-grads-were-expecting
Une étude met en lumière la nécessité de lutter contre les incivilités subies par les étudiantes et étudiants et les nouveaux membres du personnel infirmier
Par Kathryn Chachula & Nadine Smith
22 avril 2024
Selon la théorie du choc de transition (Boychuk-Duchscher, 2012), les nouvelles recrues en pratique infirmière vivent une première année de pratique tumultueuse. Durant la COVID-19, l’Association canadienne des écoles de sciences infirmières (2020) a averti que « les diplômées en soins infirmiers entrent dans un système de soins de santé volatile et débordé » (p. 2). Cette situation a contribué au racisme, aux microagressions et au sexisme injustifiés qui continuent d’être problématiques dans le système de santé canadien (Chachula, Dusome et Smith, 2023), entraînant des coûts cachés incommensurables sur le plan de l’éthique, de l’économie et de la main-d’œuvre (Elias et Paradies, 2021).
Dans une étude récente réalisée par Chachula et coll. (2023), les nouvelles recrues en pratique infirmière du Manitoba, qui comprenaient des infirmières et infirmiers autorisés (IA) et des infirmières et infirmiers psychiatriques autorisés (IPA), titulaires d’un baccalauréat, ont été confrontés au racisme et à la violence en étant témoins ou la cible directe de ces incidents, perpétrés par d’autres professionnels de la santé. Ces actes d’incivilité ont été commis à leur égard en tant que nouvelles recrues en pratique infirmière, à l’égard des patients, ou de la part des patients envers les nouveaux membres du personnel infirmier au cours de leur première année d’exercice.
Les récits des participants à l’étude, présentés ci-dessous, illustrent les conséquences de ces incidents sur les nouvelles recrues lors de leur première année d’exercice.
Quel est l’effet du racisme et de la violence sur les nouvelles recrues IA et IPA?
Les chercheurs ont constaté que ces formes de violence sont subtilement destructrices et peuvent nuire à la capacité des nouvelles recrues en pratique infirmière à former leur identité professionnelle. Ces incidents ont une influence négative sur le travail d’équipe et les soins aux patients au sein des unités dans lesquelles ils se sont produits. Comme l’a déclaré l’une des participantes à l’étude, « elle ne savait pas quoi faire et avait le sentiment de ne pas être à sa place et d’être exclue de l’équipe en raison de sa race … [et] devait deviner pourquoi elle était traitée différemment des autres [ou] entendait des commentaires ouvertement racistes et microagressifs » de la part de ses collègues. Ces actes influencent la santé et le bien-être des nouvelles recrues qui tentent de s’adapter et de se forger une identité professionnelle en pratique infirmière.
Non seulement les membres de l’équipe soignante, mais aussi les patients, ont été les auteurs de remarques racistes. Comme l’a déclaré une IPA issue d’une minorité visible : « Les patients me traitent de tous les noms, même si ce n’est pas toléré.[…] À un moment donné, un patient a été très agressif verbalement et a menacé de grimper sur le bureau pour m’attaquer. » Dans ce cas, les collègues de l’IPA novice sont intervenus et ont averti le patient qu’un tel comportement était inacceptable.
Ces incidents soulignent la nécessité d’une protection supplémentaire et du soutien des collègues en milieu de travail en ce qui concerne les patients, alors que l’équipe soignante tente de fournir les meilleurs soins possibles dans des environnements qui peuvent manquer de ressources. Les établissements d’enseignement, les employeurs, les syndicats et les associations infirmières doivent défendre cette cause, mener des campagnes et enseigner au personnel infirmier comment intervenir en cas de violence et de menaces en milieu de travail.
Une participante à l’étude a évoqué une situation dans laquelle des infirmières s’étaient retrouvées en code blanc (urgence avec patient agressif ou violent) et n’avaient pas été incluses dans la séance de récapitulation sur le stress à un incident critique qui avait eu lieu par la suite. La personne avait été exclue de la séance alors qu’elle était la membre de l’équipe la plus touchée par l’incident, ayant dû être soignée aux urgences pour une lacération infligée par le patient.
Au cours de l’année qu’a duré l’étude, cette participante nous a informés qu’elle quitterait l’environnement de travail en raison d’un manque de soutien. L’inclusion dans cette séance de récapitulation et un contexte plus favorable aurait pu empêcher la nouvelle recrue de quitter son emploi, ainsi que la perturbation qui en a résulté dans le développement de son identité professionnelle dans la pratique infirmière.
Les nouvelles diplômées ont également évoqué le sexisme et le harcèlement sexuel perpétrés par leurs homologues masculins au sein de l’équipe soignante. L’une d’entre elles s’est souvenue d’avoir subi des attouchements physiques non désirés qui l’ont ébranlée : « C’est tout simplement un effleurement délicat de la main vers le haut des fesses. Parfois, il peut palper cette partie un peu, puis faire glisser [sa main] tout de suite. C’est un sentiment de dégoût absolu qui envahit tout le corps. »
Les nouvelles diplômées ont évoqué leur crainte de dénoncer des comportements de harcèlement sexuel. L’une d’elles a déclaré : « Je pense qu’il y a des personnes qui ont revendiqué leurs droits dans ces situations, et ce sont celles qui ont perdu leur emploi plutôt que l’auteur du harcèlement. Je ne voudrais pas me retrouver dans cette situation. »
S’il est important de prendre soin de soi lorsqu’on est confronté à de tels comportements, il est primordial pour les nouvelles recrues et tous les membres du personnel infirmier, quel que soit leur sexe, qui ont intégré l’effectif d’un secteur où l’on est censé s’occuper de la santé des autres, de se défendre sans craindre de perdre son emploi ou de devoir changer de lieu de travail.
Nécessité d’une plus grande sensibilisation et d’un meilleur soutien pour les nouvelles recrues dans la pratique infirmière
Ces incidents soulignent la nécessité d’une réforme en milieu de travail qui soutient les protections et les pratiques en matière de justice, d’équité, de diversité et d’inclusion, où la violence, le racisme et les microagressions ne sont pas tolérés. Toute situation de ce genre doit être corrigée en temps opportun.
Il est essentiel pour les nouvelles recrues en pratique infirmière de prendre soin d’elles et d’adopter des mécanismes d’adaptation sains tout en continuant d’apprendre et d’évoluer au cours de leur première année d’exercice. Toutefois, sans soutien adéquat, les nouvelles recrues changeront d’unité ou envisageront de quitter la profession si le racisme, les microagressions et le sexisme persistent dans le système de soins de santé.
Les organisations infirmières, y compris l’Association des infirmières et infirmiers du Canada, jouent un rôle essentiel de défense et de soutien du travail du personnel infirmier et des environnements de travail sûrs et sains. En œuvrant au sein d’un groupe professionnel, les infirmières et infirmiers ont la capacité de dénoncer la violence afin de réparer et d’éliminer les préjudices subis au sein du système de santé canadien.
Le rôle des établissements d’enseignement et des milieux de travail
Les établissements d’enseignement et les lieux de travail ont besoin de politiques et de stratégies axées sur le bien-être et la sécurité des étudiants et du personnel infirmier. Les politiques sont importantes pour prévenir et atténuer les répercussions de l’incivilité au moment où les étudiants et les nouveaux soignants s’intègrent à la profession infirmière.
La transparence et l’accessibilité des politiques sont essentielles pour garantir que les étudiants et les nouvelles recrues en pratique infirmière se sentent habilités à signaler tout incident d’incivilité en milieu de travail sans craindre que l’incivilité ne se répète ou ne s’aggrave. Les étudiants racialisés et les nouvelles recrues en pratique infirmière doivent prendre part à l’élaboration des politiques qui intègrent une perspective antiraciste et décolonisée.
Les établissements d’enseignement et les milieux de travail peuvent inclure des stratégies telles que des jeux de rôle et des exercices de simulation qui donnent aux apprenants, quel que soit leur niveau d’expérience, l’occasion de mettre en pratique des compétences de communication professionnelles et efficaces lorsqu’ils sont confrontés à la discrimination et à l’incivilité, que ce soit de la part de patients ou d’autres professionnels de la santé. Ce type d’occasion pédagogique pourrait également permettre aux apprenants d’acquérir de l’expérience sur la façon de signaler et de traiter de tels incidents, y compris les stratégies de désamorçage.
Remerciements
Ce travail a été soutenu par une subvention du comité de recherche de l’Université de Brandon. Les auteures souhaitent remercier Debra Dusome, inf. aut., B.A., Cert. art-thérapie, M.A., en tant que co-chercheuse au projet, ainsi que les nouvelles diplômées et nouveaux diplômés qui ont participé à l’étude.
Références
Boychuk-Duchscher, J. From surviving to thriving: Navigating the first year of professional nursing practice. Saskatoon, 2021, SK : Préparer l’avenir des soins infirmiers. https://nursingthefuture.ca/
Association canadienne des écoles de sciences infirmières. Formation en sciences infirmières lors de la pandémie de COVID-19, 2020. https://www.casn.ca/wp-content/uploads/2020/03/COVID-19-POSITION-STATEMENT_FR.pdf
Chachula, K., Dusome, D. et Smith, N. « New registered nurse and registered psychiatric nurse graduates’ transition-to-practice amid the pandemic: An art-based grounded theory study », Nurse Education Today, 130, 2023, p. 1–7. https://doi.org/10.1016/j.nedt.2023.105946
Elias, A. et Paradies, Y. « The costs of institutional racism and its ethical implications for healthcare », Journal of Bioethical Inquiry, 18(1), 2021, p. 45–58. doi: 10.1007/s11673-020-10073-0
Kathryn Chachula est professeure agrégée au département des sciences infirmières à l’Université de Brandon. Ses intérêts de recherche portent sur l’enseignement et l’apprentissage en soins infirmiers.
Nadine Smith est professeure adjointe au département des sciences infirmières en psychiatrie à l’Université de Brandon. Ses intérêts de recherche portent sur la santé mentale et la formation en soins infirmiers psychiatriques.
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