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Trois stratégies efficaces pour aider les patients en douleur
Par Tacie McNeil
10 juin 2024
Cet article fait partie de la série La réduction des méfaits sauve des vies d’infirmière canadienne.
Les troubles liés à la consommation de substances sont grandement stigmatisés et souvent peu compris des fournisseurs de soins de santé, laissant certains patients en proie au jugement, sans prise en charge adéquate de la douleur. Le personnel infirmier peut éprouver de la frustration et ignorer comment soutenir les patients souffrant de troubles liés à la consommation de substances. Dans un contexte de soins actifs, la douleur mal maîtrisée et le sevrage des opioïdes sont souvent précurseurs de conflits entre les patients et l’équipe soignante, d’une sortie prématurée et d’un état de santé non traité et s’aggravant.
Le trouble lié à l’utilisation d’opioïdes est une affection médicale se caractérisant par une consommation accrue de la substance au fil du temps, de l’incapacité d’en cesser l’utilisation ou d’en réduire la quantité utilisée ou la fréquence d’utilisation, et l’utilisation courante malgré les risques ou les conséquences et la dépendance physique (tolérance et sevrage). Ce trouble peut comprendre toute forme d’opioïde, naturel ou synthétique, illicite ou prescrit. Dans le contexte canadien, le fentanyl est proéminent. Le trouble lié à l’utilisation d’opioïdes est une affection chronique et récurrente qui nécessite un traitement spécialisé, dont des médicaments, du counseling et du soutien psychosocial pour le prendre en charge efficacement. En raison de la puissance d’action et de la toxicité du fentanyl illicite, les patients se présentent souvent aux soins actifs avec une très grande tolérance aux opioïdes et nécessitent des doses d’opioïdes beaucoup plus élevées et une fréquence d’administration accrue pour traiter la douleur et procéder au sevrage.
La douleur est un phénomène complexe en soi. Lorsqu’elle survient dans le contexte d’un trouble de consommation d’opioïdes, elle peut s’avérer difficile à prendre en charge tant pour le personnel infirmier que pour les patients. La douleur peut être physique, comme la douleur musculosquelettique découlant d’une blessure. Elle peut aussi être émotionnelle ou psychologique et peut prendre racine dans un traumatisme durant l’enfance, comme l’abus ou la négligence, ou des traumatismes courants, comme la violence, ou des facteurs liés aux déterminants sociaux de la santé.
La douleur contribue dans une large mesure à la consommation de substances et agit comme obstacle au rétablissement. La douleur non traitée renforce l’intensité et la fréquence des envies impérieuses de consommer et la dépendance à des substances plus dangereuses en quête de soulagement. Par ailleurs, les patients souffrant du trouble lié à l’utilisation d’opioïdes peuvent éprouver davantage de douleur et disposer de moins d’aptitudes et de stratégies pour la prendre en charge par rapport à d’autres populations. Par exemple, il est possible que les patients qui consomment des opioïdes depuis longtemps aient une expérience physiologique accrue de la douleur (hyperalgésie induite par les opioïdes). Les personnes qui ont vécu des traumatismes importants peuvent présenter des troubles comorbides de santé mentale et des capacités d’adaptation défaillantes ou sous-développées et une tolérance réduite à la douleur. La cause profonde de la douleur peut être inconnue ou invisible pour les patients, mais ne signifie pas pour autant qu’elle est irréelle. En tant que membres du personnel infirmier, nous devons croire et valider les déclarations des patients lorsqu’ils nous expriment leurs douleurs. Donc, comment apporter son aide, en tant qu’infirmière ou infirmier? Je vous propose ainsi trois stratégies à envisager.
1) Traiter rapidement et adéquatement l’expérience subjective de la douleur des patients
Il est impératif de traiter rapidement et adéquatement l’expérience subjective de la douleur des patients. Les médicaments, souvent des opioïdes, doivent être administrés en fonction des besoins des patients et ajustés en conséquence. Une démarche souple en matière d’administration des opioïdes permet de s’assurer que la douleur ressentie par les patients est traitée, de créer un climat de confiance et une relation thérapeutique, de faciliter l’établissement d’objectifs communs entre les patients et le personnel infirmier, et de renforcer la participation des patients.
Il est important d’inclure les patients dans la prise de décisions concernant l’administration de médicaments et de leur demander leur avis sur l’efficacité sans que nos préjugés personnels n’obscurcissent notre jugement clinique. Par exemple, il faut discuter de l’expérience de la douleur avec nos patients, de leurs objectifs à long terme concernant les opioïdes et assurer un suivi après l’administration d’analgésiques pour veiller à ce que leurs besoins en matière de soulagement de la douleur soient satisfaits. Il faut parfois un certain temps pour comprendre le niveau de tolérance aux opioïdes des patients et leurs besoins en médicaments. L’empathie, la communication et la confiance sont des atouts essentiels pour le personnel infirmier.
Le traitement de la douleur peut comprendre un mélange complexe d’opioïdes à longue et courte durée d’action, de médicaments non opioïdes et de traitements non pharmacologiques. Les préoccupations du personnel infirmier à propos de la sédation ou de la diminution de la respiration des patients peuvent être atténuées par des stratégies de surveillance renforcées et la reconnaissance qu’une certaine euphorie ou somnolence peut être acceptable dans cette population compte tenu de la nécessité de doses plus élevées et plus fréquentes. Le personnel infirmier peut vérifier la réactivité des patients plus souvent, surveiller la saturation en oxygène, s’assurer d’avoir suivi une formation à la naloxone, disposer de naloxone au chevet des patients et avoir recours à d’autres mesures de sécurité.
2) Utilisation d’opioïdes prescrits pour éviter le sevrage
Le sevrage aux opioïdes est une expérience extrêmement désagréable et inutile pour les patients qui peut exacerber leur douleur. Le sevrage peut être évité par l’utilisation appropriée d’opioïdes prescrits ou de traitements par agonistes opioïdes (TAO). Les patients en sevrage ont souvent de la difficulté à observer leur traitement et peuvent être absents de l’unité pendant de longues périodes pour obtenir et consommer des substances afin de s’automédicamenter. Ils peuvent également décider de ne plus se présenter.
Le sevrage a pour conséquence que les patients ne reçoivent pas les soins médicaux dont ils ont besoin, et le personnel infirmier peut perdre des occasions de fournir des services de réduction des méfaits ou des options en matière de traitement de la toxicomanie qui pourraient sauver des vies. La réduction des méfaits peut comprendre l’enseignement d’une utilisation sûre des substances, l’offre de médicaments plus sûrs tels que la morphine ou l’hydromorphone et le maintien de la tolérance des patients aux opioïdes afin d’éviter le risque accru d’empoisonnement aux opioïdes et de décès en cas de rechute ou de reprise de l’utilisation de ces substances. Les patients dont la douleur et le sevrage sont bien pris en charge sont également plus susceptibles de choisir des options de traitement de la toxicomanie, notamment le counseling externe, le traitement à résidence et le TAO.
L’échelle du sevrage clinique des opioïdes est un outil validé qui mesure la gravité du sevrage aux opioïdes en évaluant les symptômes suivants : fréquence cardiaque accélérée, sudation, tremblements, dilatation des pupilles, chair de poule, rhinorrhée, larmoiement, nausées et vomissements, diarrhée, bâillements, agitation, anxiété ou irritabilité et douleur osseuse ou articulaire. L’échelle peut être utile pour évaluer les symptômes des patients, mais elle peut aussi être problématique lorsqu’elle est utilisée à mauvais escient. Les pointages varient souvent considérablement d’une évaluation infirmière à l’autre, et l’outil est limité quant à la prise en charge du sevrage aux opioïdes.
Bien que l’échelle puisse démontrer la présence d’opioïdes et la gravité du sevrage, ce qui est utile lors de l’administration initiale de la buprénorphine ou de la naloxone, elle ne doit pas être utilisée pour justifier le refus d’administrer des médicaments opioïdes lorsque la patiente ou le patient le demande (c’est-à-dire pour prouver que la patiente ou le patient n’est pas en sevrage et n’a donc pas besoin de médicaments). Les patients peuvent ressentir le début du sevrage avant qu’il ne puisse être mesuré par l’échelle du sevrage clinique des opioïdes. Par conséquent, comme pour la douleur, on doit faire confiance aux patients et les traiter lorsqu’ils demandent un médicament. Le personnel infirmier ne doit retenir ou retarder l’administration d’opioïdes au besoin pour la prise en charge du sevrage que lorsque la sédation ou la respiration de la patiente ou du patient engendre des inquiétudes immédiates.
3) Envisager un traitement par agonistes opioïdes
Les médicaments par agonistes opioïdes sont prescrits pour stabiliser et traiter les troubles liés à l’utilisation d’opioïdes. Au Canada, les agonistes opioïdes comprennent la Suboxone (buprénorphine/naloxone), la méthadone ou Kadian (morphine orale à libération lente). La pratique exemplaire consiste à proposer un traitement par agonistes à tous les patients qui souffrent de ce trouble. Les admissions en soins actifs sont une occasion précieuse pour le personnel infirmier de discuter de ces options médicamenteuses avec les patients. Si les patients sont d’accord, l’hospitalisation est souvent une bonne occasion de stabiliser le trouble lié à l’utilisation d’opioïdes avec ces médicaments. Ces médicaments ont pour but de remplacer d’autres opioïdes (p. ex. le fentanyl illicite) et de soulager les patients des envies impérieuses de consommer et des symptômes de sevrage pendant au moins 24 heures. Les chercheurs ont constaté que lorsque les patients prennent part à une forme ou une autre de TAO, les résultats sont nettement meilleurs, notamment en ce qui concerne la réduction des cas d’empoisonnement aux opioïdes et de décès.
À l’hôpital, il est fréquent que d’autres opioïdes soient prescrits aux patients pendant qu’ils sont soumis à un TAO afin de prendre en charge la douleur et le sevrage. Au fil du temps, l’objectif est de ne plus utiliser d’autres opioïdes pour la douleur aiguë ou le sevrage. Les phases d’initiation varient, mais en général, la stabilisation au moyen de la Suboxone prend de quelques heures à quelques jours, alors que la stabilisation sous méthadone et Kadian peut prendre de quelques jours à quelques semaines. Certaines personnes soumises à un TAO continueront à consommer d’autres substances, mais leurs taux de morbidité et de mortalité diminueront s’ils restent sous traitement. Le personnel infirmier peut administrer des médicaments au besoin, pendant que les patients s’adaptent aux médicaments du TAO.
Il est faux de croire que les patients soumis à un TAO n’ont pas besoin d’analgésiques supplémentaires. Le TAO ne permet pas à lui seul de traiter la douleur aiguë de façon adéquate. La prise en charge de la douleur s’ajoute à celle du TAO et les patients peuvent nécessiter des doses d’opioïdes plus élevées que dans d’autres populations. Sauf contre-indication, le TAO doit être maintenu à l’hôpital pour les personnes dont le traitement a été initié dans un autre établissement de soins. Si on cesse l’administration de ces médicaments abruptement, la douleur et le sevrage des patients seront difficiles à prendre en charge. Les patients peuvent aussi être exposés à un risque élevé de reprise de la consommation de substances, d’empoisonnement et de décès. Pour garantir la sécurité, il est essentiel que la patiente ou le patient connaissent ses antécédents de médicaments précis, y compris la date de sa dernière prise. Il peut être nécessaire d’ajuster les doses et de les doser à nouveau si la patiente ou le patient a manqué des doses consécutives, car sa tolérance peut être réduite. Le personnel infirmier peut communiquer souvent avec les patients pour discuter de la façon d’équilibrer l’administration des médicaments afin de prévenir le sevrage et de prendre en charge la douleur aiguë.
La réduction des méfaits met l’accent sur les besoins des patients
Le trouble lié à l’utilisation d’opioïdes est une maladie chronique et récurrente, et le fait de désintoxiquer les patients ou de les sevrer complètement des opioïdes dans le cadre de soins actifs n’est pas une mesure sécuritaire. La perte potentielle de tolérance des patients aux substances les expose à un risque extrêmement élevé d’empoisonnement et de décès s’ils recommencent à consommer des substances après leur sortie de l’hôpital. Ce ne sont pas tous les patients en soins actifs qui sont prêts pour un TAO. Dans ces cas, le personnel infirmier peut prendre en charge le sevrage à l’aide d’opioïdes prescrits. La pratique optimale consiste à les administrer généreusement (selon l’ordonnance) pour éviter le sevrage, car les médicaments prescrits sont beaucoup plus sûrs que le fentanyl illicite.
Lorsque le personnel infirmier prend en charge la douleur et le sevrage des patients en soins actifs, ces derniers sont beaucoup plus susceptibles de s’investir avec l’équipe soignante et de recevoir les soins dont ils ont besoin. Le personnel infirmier peut soutenir les patients en soins actifs en communiquant avec eux sur la douleur et le sevrage, en plaidant pour que les patients bénéficient d’une prise en charge appropriée de la douleur et en fournissant des médicaments au besoin.
Jennifer Jackson, inf. aut., Ph. D., est professeure adjointe à la Faculté des sciences infirmières de l’Université de Calgary et rédactrice pour la série « La réduction des méfaits sauve des vies » de la revue infirmière canadienne.
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