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Innovations en matière de soins de santé primaires : une petite ville d’Ontario adopte la démarche des grandes villes en offrant des services infirmiers de rue

  
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La crise du logement alimente le phénomène de l’itinérance et accroît la nécessité d’aider les gens là où ils se trouvent

Par Ellen Buck-McFadyen, Sean Lee-Popham et Alexandria Sayegh
13 juin 2024
istockphoto.com/kieferpix
Il est essentiel de reconnaître que les clients consomment des substances et sont sans abri dans ces communautés de toutes tailles. Alors que la crise du logement et du coût de la vie continue de pousser de plus en plus de personnes dans des situations précaires, nous devons proposer des solutions novatrices pour répondre aux besoins de nos résidents les plus vulnérables là où ils se trouvent, dans les rues des villes, dans les petites villes et sur leurs petites routes.

Cet article fait partie de la série La réduction des méfaits sauve des vies d’infirmière canadienne.


Les infirmières et infirmiers de rue offrent des services aux gens là où ils se trouvent, éliminant les obstacles aux soins et promouvant la santé ou réduisant les méfaits pour certaines des populations les plus marginalisées du Canada.

Ce travail a toujours été effectué dans les plus grands centres urbains du pays, où les infirmières et infirmiers rencontrent les clients dans les rues, les allées, les refuges, les centres d’accueil ou les parcs publics. Cependant, la crise du logement s’étant aggravée ces dernières années, un nombre croissant de résidents ruraux se sont retrouvés sans-abri, et des campements apparaissent dans les petites villes partout au pays. Le besoin de services infirmiers de rue ne se limite plus aux villes.

Alors que l’itinérance est considérée comme un phénomène urbain, une analyse récente des données sur l’itinérance dans 55 régions rurales du Canada a révélé qu’environ la moitié de ces régions connaissaient des taux d’itinérance par habitant supérieurs à ceux des trois plus grandes villes du pays (Schiff et coll., 2022).

Dans cet article, nous soulignons la nécessité d’offrir des soins infirmiers de rue dans les régions rurales en nous concentrant sur l’expérience d’une petite ville de l’est de l’Ontario.

À propos de la ville

Avec une population d’environ 4 000 habitants, la communauté se trouve dans une région de chalets, où le taux de pauvreté est élevé, où il y a peu de possibilités d’éducation postsecondaire ou d’emploi à l’année, où les services sociaux et sanitaires sont limités, où il n’y a pas de services spécialisés (comme la prise en charge du sevrage des patients hospitalisés), et où les transports en commun sont limités. Les villes moyennes les plus proches se trouvent à une heure trente de route.

Comme dans d’autres villes touristiques, la conversion de loyers à long terme en résident de style AirBnB et l’afflux de personnes venues s’installer dans le pays durant la pandémie ont gonflé les coûts de logement, réduit un parc immobilier déjà faible et repoussé les résidents aux revenus les plus faibles hors du marché immobilier. Lorsque la demande en loyer est élevée, les propriétaires peuvent être sélectifs quant aux personnes à qui ils louent, et dans une petite ville, où la réputation et la stigmatisation sont souvent bien ancrées, il peut être presque impossible pour les personnes sans-abri ou souffrant de maladie mentale ou de toxicomanie de trouver un emploi ou un logement (Buck-McFadyen, 2022).

À propos des résidents

Malgré les difficultés liées à la vie rurale, les résidents font souvent preuve de résilience en comblant les lacunes des services officiels et en se mobilisant autour des problèmes locaux.

Alors que la crise du logement et de l’itinérance devenait visible dans la région, plusieurs tentatives de création d’abris d’urgence ont été lancées par la communauté, entre autres dans une église et un motel. Bien que ces refuges n’aient duré que quelques semaines en raison de la complexité de la prise en charge d’une population vulnérable avec des ressources et une formation limitées, ils ont fait prendre conscience de l’ampleur de la crise et de la nécessité de mettre en place des mesures de soutien plus durables au sein de la communauté.

Une organisation à but non lucratif a progressivement étendu ses services pour soutenir le nombre croissant de résidents vulnérables. L’organisation a collaboré avec le comté pour accueillir un refuge de nuit qui a appliqué des leçons tirées des refuges précédents en incluant un mélange de bénévoles, de nourriture chaude et de personnel de sécurité rémunéré.

Ces interventions démontrent l’innovation et la persévérance nécessaires dans les régions rurales mal desservies et souvent livrées à elles-mêmes. L’approche innovatrice de la communauté pour soutenir ses résidents comprend l’intégration de services de proximité et de réduction qui sont essentiels pour les soins primaires, où la pratique infirmière doit être adaptée pour répondre aux besoins et aux lacunes des services.

Adapter le rôle en soins infirmiers pour satisfaire les besoins de la communauté

En 2020, l’équipe de santé familiale de la ville a créé un nouveau poste de spécialiste en réduction des méfaits pour combler les besoins de plus en plus complexes de la communauté. Dans ce rôle, une infirmière ou un infirmier autorisé (IA) travaille 32 heures par semaine pour offrir des services d’approche et de réduction des méfaits, ainsi que des soins primaires, aux clients sans-abri, souffrant de troubles mentaux et de toxicomanie, ce qui revient à dire qu’elle ou il œuvre en soins infirmiers de rue à la campagne.

L’équipe de santé familiale et les Services de santé mentale et de traitement des dépendances de l’Association canadienne pour la santé mentale (ACSM) se partagent le financement de ce poste. L’ACSM est une organisation non gouvernementale qui offre des soins de santé mentale communautaires en Ontario.

L’IA travaille à partir du bureau de l’équipe de santé familiale et gère sa propre charge de travail. Souvent, les clients ne sont pas des patients inscrits sur la liste de l’équipe en raison d’une pénurie de médecins, et l’IA est leur principal point de contact avec le système de soins de santé.

L’IA visite les clients là où ils se trouvent, y compris dans la rue, dans les bois, dans les campements, au centre d’accueil ou dans des bâtiments abandonnés, des roulottes et des maisons qui ont désespérément besoin d’être réparées dans toute la région. Ce travail de proximité permet d’instaurer un climat de confiance, de mieux comprendre les conditions de vie des clients et d’offrir aux personnes vulnérables des soins qu’ils n’auraient pas l’occasion de recevoir autrement, alors qu’on s’attend à ce qu’elles cherchent des services et se présentent à l’heure aux rendez-vous fixés.

À quoi ressemblent les soins infirmiers de rue dans un contexte rural?

Le rôle d’infirmière ou d’infirmier spécialisé en réduction des méfaits se rapproche à bien des égards de celui de l’infirmière ou de l’infirmier de rue dans les centres urbains, même si certains aspects peuvent être propres au milieu rural mal desservi.

  • Soins primaires : Le plus souvent, les soins comprennent l’évaluation, le pansement d’une plaie, le suivi des changements de médicaments ou du traitement par agonistes opioïdes, et l’offre de matériel de réduction des méfaits et de sensibilisation.
  • Soins de suivi : Les clients vulnérables peuvent facilement être perdus de vue pour des soins de suivi. Il peut donc être nécessaire de vérifier les visites aux urgences, de s’assurer que les ordonnances d’antibiotiques sont remplies et prises, et de surveiller la cicatrisation des plaies.
  • Navigation dans le système : Dans d’autres cas, le plaidoyer et la navigation dans le système sont nécessaires pour aider les clients à se rendre à leurs rendez-vous ou pour convaincre les fournisseurs de ne pas annuler les services lorsque les clients manquent leur rendez-vous. Ils peuvent prendre des rendez-vous au nom des clients qui n’ont pas d’adresse ou de téléphone fixe, visiter des clients pour leur rappeler leurs prochains rendez-vous, ou même accompagner les clients à leurs rendez-vous dans le cadre de ce rôle d’approche.
  • Résolution de problèmes : Les infirmières ou infirmiers qui assument ce rôle sont très conscients des répercussions des déterminants sociaux de la santé sur leurs clients et collaborent avec les partenaires communautaires pour trouver des solutions à des problèmes complexes liés au revenu, au logement et au transport. Par exemple, l’IA a créé et présidé un comité directeur composé de fournisseurs de services, de décideurs et de clients ayant vécu l’expérience de l’itinérance, afin de partager l’information et de discuter de stratégies pour faire face à la crise du logement et de l’itinérance.
  • Plaidoyer : La défense des intérêts se fait au niveau individuel, communautaire et sociétal et exige de l’infirmière ou de l’infirmier qu’elle ou il soit en contact étroit avec les réalités de ses clients. Le rôle d’approche et les relations développées permettent de comprendre les effets en aval des politiques sanitaires et sociales, ce qui place l’infirmière ou l’infirmier en bonne position pour défendre les solutions en amont.
  • Collaboration : La collaboration est aussi essentielle et met à contribution un éventail de partenaires des services sociaux et de soins de la santé. Compte tenu de la rareté des services formels, elle inclut également des partenaires moins traditionnels, comme les organisations communautaires à but non lucratif, les groupes confessionnels et les bénévoles de la communauté.
  • Autonomie : La flexibilité et l’innovation sont des aspects importants du rôle de l’infirmière ou de l’infirmier, tout comme l’autonomie et le fait de travailler dans la pleine mesure du champ d’exercices pour répondre aux besoins des clients complexes dans une zone rurale mal desservie.

Résultats

L’infirmière ou l’infirmier en réduction des méfaits interagit avec un nombre croissant de clients marginalisés au sein de la communauté, à mesure que la confiance et que les services d’approche sont établis. Le nombre d’interactions annuelles avec les clients est passé de moins de 100 en 2020 à 284 visites en personne et à 762 visites indirectes en 2022.

Notre expérience montre comment les soins infirmiers de rue peuvent être mis en œuvre dans un contexte rural pour faciliter l’accès aux soins primaires et aux services de réduction des méfaits. Bien qu’une évaluation plus formelle soit nécessaire pour examiner son effet sur les résultats tels que les visites à l’hôpital et les surdoses, les mesures d’évaluation ne rendent pas facilement compte des interactions informelles, du plaidoyer et de la sensibilisation communautaire qui conduisent à la prévention ou à la réduction des méfaits, ni des relations qui s’établissent au fil du temps entre l’infirmière ou l’infirmier et ses clients. Cette relation avec un fournisseur de soins de santé cohérent peut faciliter l’amélioration du bien-être du client ou de la cliente et restaurer la confiance qui a été érodée par des interactions négatives au sein du système de soins de santé pour tant de personnes souffrant de multiples vulnérabilités qui s’entrecoupent.

Les difficultés à surmonter

Ce rôle novateur et valorisant n’est pas sans poser de problèmes. Le fait de pouvoir rendre visite aux clients là où ils se trouvent offre une perspective unique sur leur vie et permet de nouer avec eux des relations qu’il n’est pas possible d’établir autrement. Cependant, le fait d’être l’unique IA à exercer cette fonction, sans collègues sur lesquels compter pour obtenir du soutien ou des conseils, peut être source d’isolement.

Le fait d’être exposé à la souffrance de clients victimes de traumatismes, d’exclusion sociale et d’une immense pauvreté peut susciter des inquiétudes et des sentiments de frustration face aux défaillances du système et à l’inaction des pouvoirs publics.

Enfin, dans une petite ville où la densité de la population est faible et qu’il est peu possible de garder l’anonymat, il est difficile de séparer le rôle personnel du rôle professionnel lorsque l’on rencontre des clients dans des espaces publics ou que l’on est confronté à des membres de la communauté ayant des opinions opposées sur la réduction des méfaits. Il est particulièrement important pour une infirmière ou un infirmier qui vit et travaille dans de petites communautés de prendre soin de soi et d’adopter des stratégies qui lui permette de maintenir ses limites.

Perspectives pour l’avenir

Malgré les difficultés associées à ce rôle, il est essentiel de reconnaître que les clients consomment des substances et sont sans abri dans ces communautés de toutes tailles. En l’absence d’un programme de service d’approche et de réduction des méfaits, comment ces personnes vulnérables sont-elles actuellement prises en charge? Envoyons-nous les résidents des zones rurales en ville (la solution « Greyhound »)? S’en remettent-ils aux services d’urgences pour répondre à leurs besoins en matière de soins de santé? Il est clair que certains passent à travers les mailles du filet, avec environ 20 décès par surdose chaque jour au Canada en 2022 (Gouvernement du Canada, 2023).

Alors que la crise du logement et du coût de la vie continue de pousser de plus en plus de personnes dans des situations précaires, nous devons proposer des solutions novatrices pour répondre aux besoins de nos résidents les plus vulnérables là où ils se trouvent, dans les rues des villes, dans les petites villes et sur leurs petites routes.

Références

Buck-McFadyen, E. « Rural homelessness: How the structural and social context of small-town living influences the experience of homelessness », Canadian Journal of Public Health, 113(3), 2022, p. 407–416. doi:10.17269/s41997-022-00625-9

Gouvernement du Canada. Méfaits associés aux opioïdes et aux stimulants au Canada, Ottawa : Agence de la santé publique du Canada, juin 2023. Tiré de https://sante-infobase.canada.ca/mefaits-associes-aux-substances/opioides-stimulants

Schiff, R., Wilkinson, A., Kelford, T., Pelletier, S. et Waegemakers Schiff, J. « Counting the undercounted: Enumerating rural homelessness in Canada », International Journal on Homelessness, 3(1), 2022, p. 1–17. doi:10.5206/ijoh.2022.2.14633


Ellen Buck-McFadyen, inf. aut., Ph. D., est professeure adjointe à la Faculté des sciences infirmières Trent/Fleming, de l’Université Trent.
Sean Lee-Popham, inf. aut., B. Sc. inf., et Alexandria Sayegh, inf. aut., B. Sc. inf., sont infirmiers en réduction des méfaits.

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