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L’élimination de la stigmatisation peut améliorer la qualité des soins et prévenir les décès évitables
Par Amber Heyd
25 juillet, 2024
Cet article fait partie de la série La réduction des méfaits sauve des vies d’infirmière canadienne.
La stigmatisation liée à la consommation de substances
Les personnes qui consomment des substances font l’objet d’une stigmatisation et d’une discrimination considérables. Des études démontrent que les troubles liés à la consommation d’alcool et de substances figurent parmi les problèmes de santé les plus stigmatisés. La stigmatisation peut être décrite comme une attitude, une croyance ou un comportement discriminatoire à l’égard de personnes sur la base d’attributs, de caractéristiques ou de qualités. Le personnel infirmier et les autres fournisseurs de soins de santé peuvent involontairement contribuer à la stigmatisation de la consommation de substances, menant à des conséquences néfastes ou négatives sur la santé des personnes qui consomment des substances.
Il peut être utile d’envisager la consommation de substances sur un continuum. La consommation de substances peut être expérimentale, récréative ou régulière, et le fait de consommer ne donne pas nécessairement lieu à un diagnostic de trouble lié à la consommation de substances. Lorsque la consommation de substances entraîne des problèmes de santé physique ou mentale et des problèmes à la maison, au travail, à l’école ou avec la famille et les amis, un diagnostic de trouble lié à la consommation de substances peut en résulter, et ce trouble peut varier de léger à grave. La stigmatisation et les stéréotypes négatifs associés à la consommation de substances sont complexes et découlent de facteurs tels qu’une compréhension bio-psychosociale limitée, la criminalisation de la consommation de substances et la tendance à juger les personnes qui consomment des substances comme moralement déficientes. Chez les personnes ayant reçu un diagnostic de trouble lié à la consommation de substances, le fait de qualifier l’utilisation de substances de « choix » et d’attribuer l’utilisation répétée à un manque de « maîtrise de soi » contribue encore à la stigmatisation.
La stigmatisation de la consommation de substances a des conséquences concrètes. Elle est répandue dans le système de soins de santé, contribuant à des résultats de santé négatifs, à une piètre qualité de vie et à d’importantes inégalités sociales et sanitaires parmi les personnes qui consomment des substances. Les personnes en quête de services de santé déclarent avoir été confrontées à la stigmatisation de la part du personnel infirmier. En effet, la recherche indique que de nombreux membres du personnel infirmier ont des préjugés négatifs à l’égard des personnes qui consomment des substances, la stigmatisation vécue étant considérée comme un obstacle important à l’accès aux soins de santé. La stigmatisation de la consommation de substances peut également affecter négativement les interventions de santé publique et les services fondés sur des données probantes, notamment les services de consommation supervisée, les programmes d’échange de seringues et les tests de dépistage de la consommation de drogues.
Il est essentiel de s’attaquer à la stigmatisation pour améliorer la qualité des soins et les issues pour les personnes qui consomment des substances et pour prévenir d’autres décès évitables, surtout dans le contexte de la crise actuelle d’intoxication aux drogues.
Le pouvoir du langage
Le langage est un outil puissant pouvant perpétuer ou remettre en question la stigmatisation et les stéréotypes associés à la consommation de substances. Le langage que nous utilisons pour parler de la consommation de substances et des personnes qui en consomment a des répercussions négatives sur les soins aux patients et les résultats cliniques. L’incidence du langage ne se produit pas seulement au niveau des relations, entre les patients et les fournisseurs, mais s’étend également aux politiques, aux pratiques, à la formation et aux environnements de travail. La recherche démontre que l’utilisation d’un langage stigmatisant affecte négativement le bien-être des patients et influence les attitudes, les perspectives et les actions à l’égard des patients qui consomment des substances, y compris les processus décisionnels du personnel infirmier. Des termes tels que « toxicomanes », « abus », « propre » et « sale » ont des connotations négatives ayant des effets néfastes sur les individus et les communautés. Par exemple, si une personne est confrontée à une situation négative lorsqu’elle se présente à l’urgence, comme le fait d’être traitée de toxicomane ou de toxicophile, elle cherchera moins à obtenir des soins lorsqu’elle en aura besoin. Ces interactions négatives peuvent décourager les personnes de chercher de l’aide et avoir un effet sur la qualité et l’accessibilité des services de soins de santé.
Notre rôle en tant que fournisseurs de soins de santé
Il est essentiel pour les membres du personnel infirmier de participer à des pratiques réflexives, d’examiner le langage que nous utilisons et de reconnaître les préjugés que nous entretenons à l’égard de la consommation de substances et des personnes qui en consomment. Il s’agit d’une première étape essentielle pour mettre en œuvre des changements qui facilitent une démarche en matière de soins non stigmatisante et axée sur la personne. Nous pouvons nous investir dans des pratiques réflexives en examinant attentivement le langage que nous utilisons lorsque nous interagissons avec les personnes qui consomment des substances ou qui ont reçu un diagnostic de trouble lié à la consommation de substances. Quels sont les mots qui nous viennent à l’esprit? Quelles sont nos attitudes à l’égard de la consommation de substances? Il est important d’identifier les origines de ces pensées et croyances. Poser de telles questions facilite notre participation au cycle de réflexion, un peu comme si nous épluchions les couches d’un oignon pour mieux nous connaître, comprendre les préjugés que nous pouvons entretenir et les répercussions de ces aspects sur notre pratique professionnelle.
Le personnel infirmier joue un rôle central dans les changements de langage et de pratique qui facilitent une démarche de soins axée sur la personne. Notre influence s’étend à plusieurs niveaux, soit individuel et familial, communautaire élargi et systémique, ayant une influence importante sur les patients et les individus dans une diversité de contexte.
Niveau individuel et familial
Au niveau individuel et familial, les infirmières et infirmiers peuvent utiliser un langage axé sur la personne, en donnant la priorité aux individus en tant que personnes avant de mettre l’accent sur les attributs personnels ou les problèmes de santé (voir tableau suivant). Par exemple, l’utilisation de termes tels que « personne souffrant d’un trouble lié à la consommation d’alcool » plutôt que « alcoolique » respecte l’identité individuelle, en évitant de définir une personne par sa consommation de substances ou par ses problèmes de santé. Les infirmières et infirmiers peuvent aussi adopter un langage fondé sur les points forts qui soutient le rétablissement tout en reconnaissant que le continuum du rétablissement est unique pour chaque personne. Dans les plans de soins et les discussions sur la prise en charge des cas, remplacer des termes tels que « non conforme » par « choisit de ne pas le faire » permet de préserver l’autonomie et le droit des patients au consentement, en plus d’éviter de renforcer les modèles de soins de santé paternalistes. L’application de ces changements de langage s’étend aux membres de la famille des patients, ce qui favorise une compréhension positive des troubles liés à la consommation de substances en tant que conditions médicales.
Tableau : Termes et expressions de rechange liés à la consommation de substances
Termes et expressions à éviter |
Autres termes et expressions à utiliser |
Consommateurs de drogues/pharmaco-dépendant(e); toxicomanes; alcooliques; héroïnomanes; drogués; accros (tout autre jargon ou étiquette); consommateurs/buveurs excessifs |
Personnes qui consomment des substances; personnes vivant avec un trouble lié à la consommation de substances ou d’alcool; personnes qui s’injectent des drogues; personnes qui ont une consommation épisodique importante d’alcool et/ou de substances |
Abus de substances et/ou abuser de substances; mauvais usage de substances; consommation problématique de substances; alcoolisme |
Consommation de substances; trouble lié à la consommation de substances (si diagnostiqué); trouble lié à la consommation d’alcool |
Anciens toxicomanes; toxicomanes en voie de guérison; anciens alcooliques; sobres; propres |
Personnes ayant vécu une expérience de la consommation de substances (trouble); personnes ayant consommé des substances/de l’alcool; personnes ayant des antécédents de consommation de substances/d’alcool; personnes en cours de rétablissement (d’un trouble lié à la consommation de substances/d’alcool) |
Rechute; dérapage; reprise; sur/hors circuit |
Récurrence de la consommation de substances/d’alcool; reprise de la consommation de substances/d’alcool; récurrence d’un trouble lié à la consommation de substances/d’alcool |
Surdose; en surdose |
Intoxication à une substance ou à l’alcool (p. ex. aux opioïdes, aux stimulants, à l’alcool) |
Drogues illégales; drogues illicites, drogues de rue, marché noir |
Approvisionnement en drogues/marché de drogues/substances non réglementées |
Test de dépistage de drogues sale/propre |
Résultat négatif au test de dépistage de drogues; résultat positif au test de dépistage de drogues |
Résistance; refus; inobservance; non conformité |
La personne n’est pas d’accord/choisit de ne pas le faire/refuse de le faire |
Rechute; désintoxication; admission en désintoxication |
Programmes de prise en charge du sevrage; traitement médical des troubles liés à la consommation de substances |
Bébé/nourrisson/nouveau-né toxicomane |
Nouveau-né exposé à des substances; nourrisson présentant des signes de sevrage à la suite d’une exposition prénatale à des substances; nourrisson souffrant d’un sevrage néonatal aux opioïdes/syndrome d’abstinence néonatale |
Ce tableau n’est pas une liste exhaustive. Veuillez consulter les ressources énumérées pour plus d’exemples et d’information.
Niveau communautaire
Au niveau communautaire, les infirmières et infirmiers peuvent avoir recours à des stratégies de lutte contre la stigmatisation lorsqu’ils parlent des personnes qui consomment des substances, en encourageant les autres à réfléchir au langage utilisé et à ses répercussions. Il est important d’éviter les termes argotiques, péjoratifs et discriminatoires comme « héroïnomane » ou « toxicomane », qui sont fortement stigmatisés et ont une connotation négative.
Par ailleurs, il est important que les infirmières et infirmiers utilisent un langage qui fait état de la nature médicale des troubles liés à la consommation de substances et de leur traitement, lorsqu’ils s’adressent au public. Les infirmières et infirmiers peuvent attirer l’attention sur les déterminants sociaux élargis de la santé, comme la pauvreté, les expériences négatives pendant l’enfance et les traumatismes intergénérationnels, qui ont été associés à des facteurs de risques de développer un trouble lié à la consommation de substances. En s’adressant au public, les infirmières et infirmiers peuvent tenir compte des messages implicites que les images, ainsi que le langage, peuvent communiquer, en évitant les images qui dépeignent des représentations stéréotypées des personnes qui consomment des substances (p. ex. les personnes sans logement, les personnes ayant des démêlés avec le système de justice ou les photos « avant et après » associées à la consommation de substances).
Niveau systémique
Au niveau systémique, les membres du personnel infirmier peuvent plaider en faveur de l’intégration de la formation à la consommation de substances et à la réduction des méfaits dans le cadre des programmes d’enseignement de la pratique infirmière. Ils peuvent contribuer à l’élaboration de matériel pédagogique, de ressources d’orientation ou de formation qui mettent l’accent sur une démarche axée sur la personne lorsqu’elles travaillent avec des personnes qui consomment des substances.
Les infirmières et infirmiers peuvent aussi plaider en faveur de la modification des documents (p. ex., les politiques et les procédures) afin de remplacer les termes stigmatisants par des termes axés sur les points forts et la personne, de façon à représenter la nature médicale des troubles liés à la consommation de substances.
Et surtout, nous pouvons plaider en faveur d’une participation significative des personnes ayant une expérience vécue de la consommation de substances dans l’élaboration des politiques et des services de soins de santé, en adoptant le concept « rien sur nous sans nous ».
Conclusion
Les infirmières et infirmiers sont bien placés pour prendre l’initiative de transformer le langage et la pratique professionnelle dans le sens d’une démarche non stigmatisante et axée sur la personne. Le personnel infirmier peut utiliser un langage non stigmatisant et axé sur la personne aux niveaux individuel et familial, communautaire et systémique, en influençant un large éventail de partenaires. En participant activement à ce changement de langage, les infirmières et infirmiers peuvent recadrer le récit entourant la consommation de substances et des troubles, changer les attitudes, réduire la stigmatisation et favoriser de meilleurs résultats en matière de santé pour les personnes qui consomment des substances et celles qui vivent avec un trouble lié à la consommation de substances.
Ressources
Se servir des mots pour surmonter la stigmatisation : un guide d’introduction, document gratuit avec d’autres exemples de langage stigmatisant, publié par le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances.
Respectful Language and Stigma: Regarding People Who Use Substances, feuillet gratuit de trois pages sur la stigmatisation publié par le British Columbia Centre for Disease Control.
Parler de la consommation de substances de manière humaniste, sécuritaire et non stigmatisante : Une ressource pour les organisations canadiennes des professionnels de la santé et leurs membres, page Web et ressource téléchargeable de l’Agence de la santé publique du Canada.
Amber Heyd, inf. aut., B. Nurs., M. Sc., est infirmière autorisée auprès des Alberta Health Services et coordonnatrice de la recherche au Addictive Behaviours Lab, de l’Université de Calgary.
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