https://www.canadian-nurse.com/blogs/cn-content/2024/09/23/ok-not-to-be-ok
Une perspective et un aperçu des enjeux infirmiers essentiels dans le domaine de la toxicomanie et de la santé mentale
Par Teryn Warnke
23 septembre 2024
Dans un monde où les crises semblent permanentes, il est facile de se désensibiliser face aux nombreux enjeux qui se posent et perdurent. En tant qu’infirmières et infirmiers ces dernières années, nous avons été submergés par la COVID, la crise des opioïdes, la pénurie de la main-d’œuvre infirmière, l’augmentation des heures supplémentaires et la détresse morale qui en découle inévitablement.
Pendant ce temps, nous avons été témoins de la chute rapide de nos collègues, que ce soit attribuable au stress découlant de la COVID, à l’épuisement professionnel, à la retraite anticipée ou à une foule d’autres raisons. À la suite de ces crises et de ces pertes, il semble qu’une baisse générale du moral s’installe dans notre profession. Pourtant, beaucoup d’entre nous continuent à aller de l’avant parce qu’au fond de nous, nous avons le désir d’aider et de prendre soin de celles et ceux qui en ont le plus besoin. Cependant, comme nous sommes de plus en plus désensibilisés aux crises qui nous entourent, il convient de se demander si cette même désensibilisation ne se répercute pas inconsciemment sur les soins que nous fournissons à nos patients.
Les patients stigmatisés sont ceux qui ont le plus besoin de l’aide du personnel infirmier
L’un des domaines essentiels des soins de santé qu’il convient d’examiner dans le cadre de cette question est celui de la toxicomanie et de la santé mentale. La population de patients nécessitant des soins dans ce domaine est trop souvent négligée ou méprisée en raison de la stigmatisation consciente ou inconsciente associée à cette spécialité de soins. Malheureusement, ces patients sont souvent ceux qui ont le plus besoin de nous.
Lorsqu’une personne se présente à l’hôpital ou à la clinique en quête de soins et d’attention pour maladie mentale ou toxicomanie, elle le fait parce qu’elle a besoin de soutien de courte durée. Elle ne veut pas être jugée, rejetée ou négligée. Elle veut et a besoin d’être traitée avec la même compassion, la même attention et la même compréhension que toute personne qui franchit les portes de l’hôpital ou de la clinique. Regrettablement, j’ai vu de mes propres yeux des patients qui cherchaient désespérément de l’aide et un traitement se présenter à l’hôpital et qui ont été accueillis par des jugements critiques et de l’indifférence à l’égard de leurs difficultés, plutôt qu’avec compassion et acceptation.
La question se pose alors de savoir pourquoi. Est-ce attribuable à la stigmatisation associée à la toxicomanie et à la santé mentale? S’agit-il d’une éventuelle désensibilisation inconsciente liée au monde qui nous entoure? Ou bien le problème se situe-t-il à l’intérieur de nous? Chacune et chacun d’entre nous fait face à ses propres problèmes, qu’ils soient grands ou petits, tant internes qu’externes. Le fait d’être infirmières ou infirmiers ne nous immunise pas contre ces problèmes.
Il est normal de reconnaître que nous avons besoin d’aide
Tout au long de la pandémie et des nombreuses crises infirmières et mondiales en cours, nous pouvons probablement reconnaître qu’il y a eu des moments où nous avons eu besoin d’aide. Dans ces situations, il est facile de laisser nos propres luttes et besoins s’infiltrer dans notre esprit, ce qui rend presque impossible de penser clairement, d’éprouver de l’empathie pour celles et ceux qui luttent et de faire passer les besoins des autres avant les nôtres.
Mais surtout, même si la situation peut sembler écrasante et envahissante, nous devons d’abord prendre du recul et nous rappeler qu’il n’y a pas de mal à ne pas se sentir bien. Il est normal de lutter et de remettre en question certains aspects dans la vie. Il est normal de reconnaître que nous n’allons peut-être pas bien et que nous avons nous-mêmes besoin d’aide. Et surtout, le fait de reconnaître que l’on n’est peut-être pas bien à ce moment-là peut être exactement ce dont on a besoin pour revenir à son soi empathique.
Nous avons tous été durement touchés à tant de niveaux et par tant de courants différents qu’il est facile d’oublier que la situation de chaque patiente ou patient est intensément individualisée et que chacune et chacun est affecté différemment. Autrefois, l’empathie était quelque chose que nous offrions en abondance. Mais lorsque nous sommes nous-mêmes épuisés à bien des égards, il devient facile d’oublier ce que c’est que d’avoir de l’empathie pour nos patients. Il est facile de se dire : « J’ai tellement souffert moi-même et je suis passé à travers, alors pourquoi pas vous? » Ou sommes-nous peut-être nous-mêmes encore en difficulté, ce qui voilerait notre capacité à fournir des soins de haute qualité aux patients que l’on attend de nous, tant par la communauté en général que par nous-mêmes, en tant que professionnelles et professionnels.
Lorsque nous sommes poussés au bord de la détresse morale, il peut être difficile de retrouver l’étincelle qui nous animait autrefois. Mais aujourd’hui plus que jamais, alors que nous continuons à reconstruire nos vies après la COVID et dans le contexte des nombreuses crises en cours, il est essentiel que nous nous souvenions de la raison pour laquelle nous avons choisi la profession infirmière au départ. Notre désir d’aider. Notre désir de prendre soin des autres. Notre désir d’être la personne avec laquelle les gens se sentent en sécurité et à l’aise et surtout, la personne à qui ils peuvent confier leur vie lorsqu’ils ont atteint leur point le plus bas.
Chaque patiente et patient mérite des soins professionnels
C’est d’autant plus important lorsqu’il s’agit de la toxicomanie et de la santé mentale, un domaine des soins infirmiers qui, malheureusement, est encore très stigmatisé. Lorsqu’une patiente ou un patient consulte pour un trouble de toxicomanie ou de santé mentale, ce n’est pas parce qu’elle ou il est faible ou succombe facilement aux pressions de la vie. C’est parce que la toxicomanie et les troubles de santé mentale sont des maladies au même titre que n’importe quel autre domaine de l’hôpital. La seule différence réside dans la partie du corps qu’ils affectent.
Chaque patiente ou patient, quelle que soit sa lutte interne ou externe, mérite notre amour professionnel, nos soins, notre compassion et notre empathie, et non un traitement qui diffère en fonction du diagnostic et certainement pas en fonction de notre propre état d’esprit. Il serait insensé de penser qu’une personne qui cherche de l’aide en raison d’une toxicomanie qui s’aggrave ne soit pas prise en considération, soit jugée ou reçoive des soins de qualité inférieure en raison de notions préconçues selon lesquelles tout le monde se bat et connaît des difficultés de nos jours, et que les gens devraient savoir qu’il ne faut pas continuer à consommer des drogues alors que ces substances tuent tant de gens.
Même s’il est difficile de saisir qu’une personne peut exprimer de telles pensées, la triste réalité est que ces notions se retrouvent parfois dans la pratique. Bien qu’elles n’aient pas été communiquées directement à la patiente ou au patient, elles peuvent être tout à fait évidentes pour la patiente ou le patient selon les soins qu’elle ou il reçoit. Cela peut avoir des effets dévastateurs sur la patiente ou le patient, de la tristesse à la colère, en passant par des sentiments de confusion, de culpabilité et de désespoir, qui contribuent tous à une expérience négative pour la patiente ou le patient, à de mauvais résultats thérapeutiques et à la possibilité de ne plus faire appel aux ressources de soins de santé et de ne plus chercher d’aide à l’avenir.
Cependant, tout n’est pas perdu, car au cœur de la pratique infirmière se trouvent notre capacité et notre désir de soigner les gens. Malgré le fardeau auquel les infirmières et infirmiers font face de nos jours, nous avons toujours cette empathie en nous. Sinon, pourquoi continuerions-nous à exercer la profession que nous aimons malgré toutes les difficultés que nous avons rencontrées au fil des ans? L’empathie est toujours là. Elle est toujours en nous.
L’empathie n’est pas quelque chose à mettre de côté parce que nous pensons qu’une personne devrait être capable de faire face à ses problèmes individuels toute seule. Mais si vous vous sentez ainsi, il est possible que, dans une certaine mesure, vous luttiez intérieurement et qu’inconsciemment, cette lutte interne ait des répercussions sur vos patients.
Il est essentiel que nous prenions tous un moment de recul pour évaluer notre propre état d’esprit. Avons-nous oublié ce que c’est que d’avoir de l’empathie pour nos patients? Ou peut-être, ce qui serait encore mieux serait de nous poser une première question : « Est-ce que je vais bien? » Car si nos patients passent toujours en premier, nous ne devons pas oublier qu’il est tout aussi important de prendre soin de nous-mêmes.
Teryn Warnke, inf. aut., est infirmière en chef adjointe en soins psychiatriques intensifs pour adultes à l’Alberta Hospital Edmonton.