https://www.canadian-nurse.com/blogs/cn-content/2024/11/25/adii-method
L’objectif est d’aider le personnel infirmier à synthétiser et à analyser les données, puis à les communiquer de façon interprofessionnelle
J’ai souvent remarqué, lors de simulations en laboratoire ou de stages cliniques, que les étudiantes et étudiants en soins infirmiers s’efforçaient de rédiger des rapports concis qu’elles ou ils avaient l’intention de transmettre aux médecins. Il leur semble difficile d’intégrer efficacement leurs données anormales et l’analyse qui en découle dans un rapport SBAR.
La mauvaise communication interprofessionnelle a été citée comme l’une des principales causes de l’abandon de la profession infirmière par la cohorte étudiante nouvellement diplômée (Raurell-Torredà et coll., 2021). Une analyse efficace des données est fondamentale pour la formulation des rapports communiqués au sein des professions et entre elles (Lanz et Wood, 2018). J’ai formulé la méthode ADII pour aider la communauté étudiante à mieux aligner les données anormales et leur analyse, accompagnée de la communication interprofessionnelle subséquente.
ADII signifie anormalité des données, problèmes (issues, en anglais) et interventions. Dans cet article, j’aborde la relation entre l’outil de communication SBAR et l’analyse des données, et la façon dont la méthode ADII peut aider la communauté étudiante à synthétiser les résultats anormaux dans un rapport rationalisé.
L’efficacité de l’outil SBAR dépend de l’analyse des données qui le précède
SBAR, qui signifie situation, contexte (background), évaluation (assessment) et recommandation, est un outil de transfert et de communication bien établi utilisé par le personnel infirmier (Park, 2020). L’utilisation de l’outil SBAR dans des scénarios de simulation avec la clientèle améliore la communication, le travail d’équipe et les interventions infirmières de l’étudiante ou l’étudiant (Raurell-Torredà et coll., 2021).
Cela étant dit, l’efficacité de l’outil SBAR se limite à la capacité du personnel infirmier à reconnaître les caractéristiques importantes d’une situation clinique (Lanz et Wood, 2018), et que pour reconnaître les caractéristiques importantes de toute situation de façon intuitive, il faut être en mesure d’organiser les données pertinentes en groupe significatif.
Par exemple, dans la section des recommandations de l’outil SBAR, l’infirmière ou l’infirmier doit communiquer clairement ce qu’elle ou il attend du professionnel ou de la professionnelle de qui elle ou il relève (Park, 2020). Il est peu probable de savoir ce qui est nécessaire si l’analyse des données n’a pas été effectuée efficacement.
L’évaluation et le raisonnement clinique sont fondamentaux dans le processus d’élaboration d’un rapport efficace, dans la mesure où l’identification des données pertinentes d’une évaluation est une condition préalable nécessaire à l’élaboration d’un rapport efficace (Lanz et Wood, 2018).
Un élément essentiel de la communication en soins infirmiers consiste à résumer et à présenter les données d’évaluation et à les mettre en lien avec les problèmes particuliers du client ou de la cliente (Lanz et Wood, 2018). Ces processus d’analyse des données, d’identification des problèmes et de communication subséquente représentent un défi pour la cohorte étudiante (Lanz et Wood, 2018) ainsi que pour certains membres du personnel infirmier (Cachón-Pérez et coll., 2021).
Dans la section qui suit, je présente un argument à l’appui de la notion selon laquelle certaines de ces difficultés sont liées à la façon dont nous enseignons et appliquons certains aspects de la démarche infirmière.
Un appel à l’innovation dans l’enseignement et l’application de la démarche infirmière
Les difficultés que rencontrent certains membres de la communauté étudiante et les membres du personnel infirmier dans l’application de la démarche infirmière ont des incidences directes sur les processus d’analyse des données, l’identification du problème et la communication subséquente (Cachón-Pérez et coll., 2021; Korkut et coll., 2021). Les conclusions de Cachón-Pérez (2021) et Korkut (2021) semblent indiquer que, dans certains contextes, il est possible d’adopter des approches nouvelles et innovatrices pour l’enseignement et la mise en application de la démarche infirmière.
Dans leur revue intégrée, Tan et coll. (2017) concluent que des changements organisationnels et culturels sont nécessaires pour surmonter les difficultés en matière de communication interprofessionnelles qui existent entre les membres du personnel infirmier et les médecins. Je pense que ces changements culturels nécessaires comprennent un changement de perspective autour de la délimitation stricte entre les diagnostics médicaux et les diagnostics infirmiers.
Comme je l’explique ci-dessous, je pense qu’un tel changement pourrait avoir une incidence positive sur l’efficacité de l’analyse des données dans le cadre de la démarche infirmière et sur la communication interprofessionnelle subséquente entre le personnel infirmier et les médecins.
Les limites des diagnostics infirmiers
Les étudiantes et étudiants qui travaillent selon la démarche infirmière ont fait part de leurs difficultés à relier les données aux diagnostics infirmiers et aux interventions infirmières (Korkut et coll., 2021). Des membres du personnel infirmier travaillant dans un service d’urgence en Espagne se sont dits préoccupés par le fait que le manque de connaissances de la terminologie de la Nanda International faisait de l’application des diagnostics infirmiers un processus lourd et prétentieux (Cachón-Pérez et coll., 2021, p. 5).
Lorsque ce personnel infirmier a appliqué ces diagnostics infirmiers à son travail au service des urgences, il a trouvé que cette démarche avait peu de valeur, car il « n’a pas fait de relation entre le travail réel d’un service des urgences et la théorisation des diagnostics infirmiers », qu’il estimait trop généraux pour s’appliquer à sa situation particulière (Cachón-Pérez et coll., 2021, p. 5).
Intégrer la terminologie du diagnostic médical à la démarche infirmière
L’attribution de diagnostics médicaux ne relève pas de la pratique infirmière, mais la détermination de diagnostics infirmiers est au cœur de la démarche infirmière. L’utilisation de la méthode ADII ne vise pas à remettre en question ces deux axiomes de la pratique infirmière. Cela étant dit, Gleason et coll. (2017) soutiennent que le « point de vue désuet » (p. 1) selon lequel le diagnostic médical relève uniquement de la responsabilité des médecins doit être corrigé, dans le sens où le personnel infirmier devrait participer dans une certaine mesure au processus, et que le renforcement du rôle du personnel infirmier à cet égard contribuera à réduire les erreurs de diagnostic.
Selon Gleason et coll. (2017, p. 4), « Rendre [une] fonction de triage diagnostique explicite dans les rôles infirmiers pourrait nettement améliorer la performance diagnostique de l’ensemble de l’équipe grâce à une reconnaissance plus rapide des signaux d’alerte cliniques pour des états dangereux telle que la septicémie, l’embolie pulmonaire, l’infarctus du myocarde et l’accident vasculaire cérébral, en particulier pour les patients hospitalisés. » [traduction libre]
Les écoles de soins infirmiers devraient veiller à ce que leur programme d’études comprenne du contenu particulier au processus de diagnostic (Gleason et coll., 2017). D’après mon expérience clinique, si un membre du personnel infirmier utilise un outil de dépistage homologué pour détecter un état pathologique, comme la septicémie, il communiquera souvent son inquiétude en utilisant la terminologie diagnostique de la médecine, et non les énoncés diagnostiques couramment associés à la démarche infirmière, comme ceux attribués à NANDA-I.
La méthode ADII : une étude de cas
La méthode ADII, une distillation de la démarche infirmière, a été créée pour aider la communauté étudiante et le personnel infirmier à analyser rapidement les données anormales de la clientèle et, par la suite, à formuler des énoncés SBAR à utiliser lors de la collaboration avec les médecins ou les personnes prescriptrices.
L’acronyme ADII signifie anormalité des données, problèmes (issues, en anglais) et interventions (I). Les données anormales de la méthode ADII sont recueillies dans le cadre de l’évaluation de la démarche infirmière. L’aspect « problème » de la méthode ADII est parallèle à l’aspect « diagnostic » de la démarche infirmière. Enfin, l’aspect « interventions » de la méthode ADII peut être associé aux aspects de « planification » et de « mise en application » de la démarche infirmière.
L’étude de cas qui suit illustre la méthode ADII dans la pratique.
Anormalité des données (AD)
Le client a subi une appendicectomie hier. La sortie est imminente et aucun résultat anormal n’a été noté dans le dossier jusqu’à présent. Les signes vitaux du client se situent dans la fourchette d’un adulte en bonne santé et aucun diagnostic médical secondaire n’est associé à son profil.
Le lendemain matin, à la suite de l’évaluation physique du client, l’infirmière identifie ce qui semble être de nouvelles données anormales. L’infirmière regroupe les données en fonction des problèmes ou diagnostics anticipés (voir le sommaire de l’étude de cas ci-dessous).
Problèmes (I)
La méthode ADII permet à l’infirmière d’envisager, et non d’attribuer, des diagnostics médicaux réels ou potentiels en même temps que des diagnostics infirmiers, car cela permet de mieux comprendre la signification des données et d’optimiser l’universalité de toute communication subséquente avec le médecin. La prise en compte des diagnostics médicaux et infirmiers pourrait renforcer la collaboration interprofessionnelle entre le personnel infirmier et les médecins, dans la mesure où le langage des diagnostics infirmiers est considéré comme inadéquat pour la communication dans certains contextes (Cachón-Pérez et coll., 2021).
Dans le cas présent, l’infirmière a regroupé les données du client en fonction des diagnostics infirmiers identifiés (voir le sommaire de l’étude de cas ci-dessous). En outre, l’infirmière note certains des diagnostics médicaux potentiels qui pourraient être associés aux données anormales et aux diagnostics infirmiers en vue de déterminer les recommandations anticipées de la personne prescriptrice associée au rapport SBAR.
Intervention (I)
L’objectif principal de l’infirmière à cette étape est de collaborer avec le médecin afin d’obtenir des ordonnances facilitant l’attribution des tests diagnostiques et les traitements pertinents pour le client. C’est pourquoi la section « intervention » de la méthode ADII se limite aux ordonnances potentielles que l’infirmière prévoit de recevoir de la personne prescriptrice (voir sommaire de l’étude de cas ci-dessous).
Sommaire de l’étude de cas
Anormalité des données (AD) |
Problèmes (I) |
Interventions (I) |
- TA 155/92; 115 BPM; RR 32; 97 % SpO2 à l’air ambiant; température 37,2 °C
- Faible profondeur respiratoire; douleur thoracique à l’inspiration; diminution de l’entrée d’air dans les bases bilatéralement
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Diagnostics infirmiers :
- Mode de respiration inefficace
- Risque de diminution du débit cardiaque
Diagnostics médicaux potentiels :
- Pneumonie
- Embolie pulmonaire (EP)
- Infarctus du myocarde (IM)
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Mode de respiration inefficace
- Pneumonie
- Radiographie thoracique
- Échantillon d’expectoration
- Antibiotiques
- Analgésiques
- Embolie pulmonaire
- Tomodensitométrie en spirale
- Scintigraphie pulmonaire de perfusion et de ventilation
- Anticoagulation
Risque de diminution du débit cardiaque
- Infarctus du myocarde
- Électrocardiographie
- Taux de troponine
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- Douleur, rougeur et enflure du mollet gauche
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Diagnostics infirmiers :
- Altération de la perfusion tissulaire
Diagnostics médicaux possibles :
- Thrombose veineuse profonde (TVP)
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Altération de la perfusion tissulaire
- Thrombose veineuse profonde
- Niveaux de D-dimères
- Échographie Doppler
- Anticoagulation
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Formulation ADII et SBAR
Les données analysées par la méthode ADII s’intègrent parfaitement dans un rapport SBAR (voir Figure 1).
La situation, qui comprend l’identification de l’infirmière ou de l’infirmier, du lieu et du client ou de la cliente (Park, 2020), est un moyen logique d’entamer la conversation avec la personne prescriptrice.
Le contexte comprend les antécédents médicaux et chirurgicaux (Park, 2020).
L’évaluation comprend l’état actuel du client ou de la cliente et ce que l’infirmière ou l’infirmier pense être les problèmes généraux (Park, 2020). Le contenu de l’évaluation de l’outil SBAR correspond aux données anormales et aux problèmes identifiés dans la méthode ADII.
La section de recommandations de l’outil SBAR comprend ce que l’infirmière ou l’infirmier pense être nécessaire de la part de la personne prescriptrice (Park, 2020), ce qui correspond aux interventions identifiées dans la méthode ADII.
Figure 1
Synthèse de la méthode ADII et de l’outil SBAR
Incidence pour les recherches ultérieures
Les recherches ultérieures selon la méthode ADII pourraient se concentrer sur les domaines suivants :
- Les difficultés de la communication interprofessionnelle liées à la culture entourant la délimitation stricte entre les diagnostics médicaux et les diagnostics infirmiers.
- La mesure dans laquelle les infirmières et infirmiers regroupent les données en fonction des diagnostics médicaux perçus plutôt que des diagnostics infirmiers.
- La mesure dans laquelle la méthode ADII facilite la synthèse et l’analyse efficaces des données, ainsi que la communication interprofessionnelle subséquente.
- La mesure dans laquelle la méthode ADII améliore les résultats pour les patient(e)s et la rétention des diplômé(e)s en soins infirmiers.
Je tiens à remercier Lorraine Holtslander, enseignante à l’Université Athabasca et professeure émérite à l’Université de la Saskatchewan, pour son travail de mentorat.
Références
Cachón-Pérez, J.M., Gonzalez-Villanueva, P., Rodriguez-Garcia, M., Oliva-Fernandez, O., Garcia-Garcia, E. et Fernandez-Gonzalo, J.C. « Use and significance of nursing diagnosis in hospital emergencies: a phenomenological approach », International Journal of Environmental Research and Public Health, 18(18), 2021. https://doi-org.ezproxy.vcc.ca/10.3390/ijerph18189786
Gleason, K.T., Davidson, P.M., Tanner, E.K., Baptiste, D., Rushton, C., Day, J., . . . et Newman-Toker, D.E. « Defining the critical role of nurses in diagnostic error prevention: a conceptual framework and a call to action », Diagnosis (Berlin, Allemagne), 4(4), 2017, p. 201–210. https://doi-org.ezproxy.vcc.ca/10.1515/dx-2017-0015
Korkut, S., Sahin, S., Ulker, T. et Cidem, A. « Nursing students’ views of the nursing process and its challenges, and their solutions: a qualitative study », International Journal of Caring Sciences, 14(2), 2021, p. 811–824.
Lanz, A.S. et Wood, F.G. « Communicating patient status: comparison of teaching strategies in prelicensure nursing education », Nurse Educator, 43(3), 2018, p. 162–165. https://doi-org.ezproxy.vcc.ca/10.1097/NNE.0000000000000440
Park, L.J. « Using the SBAR handover tool », British Journal of Nursing, 29(14), 2020, p. 812–813. https://doi-org.ezproxy.vcc.ca/10.12968/bjon.2020.29.14.812
Raurell-Torredà, M., Rascón-Hernán, C., Malagón-Aguilera, C., Bonmatí-Tomás, A., Bosch-Farré, C., Gelabert-Vilella, S. et Romero-Collado, A. « Effectiveness of a training intervention to improve communication between/awareness of team roles: a randomized clinical trial », Journal of Professional Nursing, 37(2), 2021, p. 479–487. https://doi.org/10.1016/j.profnurs.2020.11.003
Tan, T., Zhou, H. et Kelly, M. « Nurse–physician communication — an integrated review », Journal of Clinical Nursing, 26(23–24), 2017, p. 3974–3989. https://doi-org.ezproxy.vcc.ca/10.1111/jocn.13832
Jason Cohen, inf. aut., M. Nurs., est professeur en soins infirmiers au Vancouver Community College.
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