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Il est « décevant » d’entendre dire que le personnel infirmier est à l’origine de la pénurie au sein de la profession infirmière. Concentrons-nous plutôt sur les raisons sous-jacentes

  
https://www.canadian-nurse.com/blogs/cn-content/2025/02/18/nursing-shortage-underlying-reasons

Deuxième réponse de deux à l’article d’octobre intitulé Comment le personnel infirmier peut entraver le recrutement et le maintien en poste

Par Kate Shelest
18 février 2025
istockphoto.com/asiseeit
Les infirmières et infirmiers sont des personnes professionnelles résilientes et hautement qualifiées, qui possèdent différents niveaux de résilience et peuvent trouver de la satisfaction à prodiguer des soins dans des situations difficiles.

L’article Comment le personnel infirmier peut entraver le recrutement et le maintien en poste de Kathy Arseneau qui est paru dans la revue infirmière canadienne le 1er octobre 2024 suscite une grande réflexion et nécessite une réponse réfléchie.

L’enjeu

La possibilité d’une pénurie de personnel infirmier est apparue il y a de nombreuses années. J’ai été témoin de la lutte pour maintenir les normes professionnelles des soins infirmiers et adhérer au Code de déontologie de l’AIIC (2017). L’épuisement professionnel des infirmières et infirmiers, qui conduit à la détresse morale et à la maladie, ne devrait pas être une surprise. Je vous invite à consulter ces études canadiennes qui figurent dans mes références :

  • Havaei, MacPhee et Dahinten. « Emotional Exhaustion and Intention to Leave », 2016
  • Havaei, MacPhee, Ma, Gear et Sorensen. A Provincial Study of Nurses’ COVID -19 Experiences and Psychological Health and Safety in British Columbia, Canada: Final Report, 2020a
  • Havaei, MacPhee, Ma, Gear et Sorensen. A Provincial Study of Nurses’ Psychological Health and Safety in British Columbia, Canada: Final Report, 2020b
Gracieuseté de Kate Shelest
« D’après mon expérience, les infirmières et infirmiers ont une volonté innée (voire une valeur professionnelle fondamentale) de résoudre les problèmes, d’aider et de soigner. Lorsque ces valeurs fondamentales sont remises en question ou qu’on les empêche de se réaliser, les infirmières et infirmiers peuvent éprouver de la détresse morale et de l’usure de compassion », affirme Kate Shelest.

Dans ces études provinciales portant sur les soins actifs, les soins communautaires et les soins de longue durée, le personnel infirmier a signalé une détérioration de la santé mentale et une baisse de la qualité des soins infirmiers (Havaei et coll., 2020a, p. 14).

D’après mon expérience, les infirmières et infirmiers ont une volonté innée (voire une valeur professionnelle fondamentale) de résoudre les problèmes, d’aider et de soigner. Lorsque ces valeurs fondamentales sont remises en question ou qu’on les empêche de se réaliser, les infirmières et infirmiers peuvent éprouver de la détresse morale et de l’usure de compassion.

La réponse

À ma grande déception, l’article d’infirmière canadienne de Kathy Arseneau suggère fortement que les infirmières et infirmiers sont une cause fondamentale de la pénurie de personnel infirmier en raison de leurs comportements négatifs à l’égard de leurs collègues et des étudiantes et étudiants qui aspirent à intégrer la profession. Je ne nie pas que ces comportements puissent exister sous différentes formes et à différents niveaux. Mais, il faut prendre le temps de comprendre l’origine de ces comportements.

Dans son article intitulé Reductionism + Nursing Devaluation Syndrome: The Triggers Behind the Mass Exodus of Nurses, Ali Fakher (2024, p. 1) explique comment :

« …les perspectives réductionnistes traditionnelles des soins de santé se concentrent sur des symptômes isolés plutôt que sur les besoins holistiques des patients. Cette perspective réduit les soins infirmiers à une série de tâches au lieu de les considérer comme une interaction complexe de facteurs émotionnels, physiques et sociaux. Elle prive la profession de sa profondeur et n’utilise pas la pensée critique, l’innovation et le leadership que les infirmières et infirmiers apportent aux soins des patients » [traduction libre].

Cette perspective est également soutenue par MacPhee, Dahinten et Havaei (2017), qui expliquent comment, en raison de l’effet des démarches mécanistes de la pratique, les infirmières et infirmiers souffrent de détresse émotionnelle et morale, ce qui entraîne des conséquences telles que l’épuisement émotionnel, l’insatisfaction au travail et l’abandon éventuel de la profession (p. 3).

Cette situation, combinée à la pénurie de l’ensemble du personnel de santé, à l’acuité élevée de la clientèle et au rétablissement après une pandémie mondiale (ne l’oublions surtout pas), bouscule les valeurs fondamentales de la pratique infirmière, met à rude épreuve la résilience et épuise l’énergie nécessaire pour mener une enquête compatissante.

Le stress provenant de diverses sources est lié à des changements dans les fonctions cognitives, comportementales et émotionnelles qui peuvent compromettre les soins professionnels (Dyess, Prestia, Marquit et Newman, 2018, p. 79). On reconnaît que les incidences de l’épuisement professionnel et du traumatisme personnel et vicariant du personnel infirmier peuvent également se répercuter sur la vie personnelle. Le manque de contrôle en ce qui a trait aux faiblesses du système de santé canadien actuel ajoute également à la détresse morale.

Compte tenu de tous ces éléments, il est évident que les infirmières et infirmiers peuvent avoir envie de décourager d’autres personnes à s’engager dans la profession. Les membres du personnel infirmier sont par nature des personnes soignantes et protectrices. Pourquoi encourager quelqu’un à s’aventurer dans un édifice en feu?

La solution

Les membres du personnel infirmier sont liés aux normes professionnelles et au Code de déontologie de l’AIIC afin de veiller sur leur propre santé et de rester aptes à exercer. Le Code de déontologie approuve la définition de la santé de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), soit « un état de complet bien-être physique, mental (spirituel) et social, qui ne consiste pas seulement en une absence de maladie » (AIIC, 2017, p. 23). On reconnaît ainsi que la relation interactive entre toutes les dimensions de l’expérience humaine est holistique; par conséquent, les soins autoadministrés holistiques constituent une ressource valable pour soutenir la santé des infirmières et infirmiers.

Au lieu de publier un article provocateur qui ne tient pas compte de la réalité actuelle de la pratique infirmière, de l’histoire de la profession et des enjeux qu’elle doit surmonter, je suggère avec respect d’envisager des solutions pratiques et empreintes de compassion.

Comme indiqué, les normes de la profession infirmière, le Code de déontologie et la définition de la santé de l’OMS font état de l’importance d’une perspective holistique de la santé et du bien-être. Les perspectives positives visant à soutenir le personnel infirmier, telles que les suggestions suivantes, devraient être dûment présentées et prises en considération :

  • Au minimum, intégrer un programme d’études holistiques qui soutient les pratiques de soins autoadministrés holistiques au niveau de la cohorte étudiante. Au moins, les personnes nouvellement diplômées en soins infirmiers seront mieux préparées à faire face aux difficultés professionnelles qui, selon moi, ne seront pas résolues de sitôt.
  • Mettre en œuvre des mesures de soutien holistiques pour les infirmières et infirmiers qui exercent actuellement.
  • Offrir un soutien holistique aux infirmières et infirmiers épuisés qui ont quitté la profession.

Je voudrais souligner ici que les infirmières et infirmiers sont des personnes professionnelles résilientes et hautement qualifiées, qui possèdent différents niveaux de résilience et peuvent trouver de la satisfaction à prodiguer des soins dans des situations difficiles. Rushton, Batcheller, Schroeder et Donohue (2015) laissent entendre que la création et la mise en œuvre de pratiques holistiques de soins autoadministrés par les infirmières et infirmiers peuvent renforcer et soutenir cette résilience d’un point de vue de la personne globale, en soutenant la santé et l’aptitude à la pratique.

En conclusion, je reconnais que je n’ai fait qu’effleurer la surface de la littérature évaluée par les pairs en décrivant l’état de l’épuisement professionnel et l’incidence des conditions de travail actuelles sur la pratique infirmière. Je suis tout à fait favorable à l’intégration de la théorie holistique dans les programmes de soins infirmiers existants et dans la mise en œuvre des programmes en milieu de travail. La profession infirmière doit se remettre de façon holistique, à l’interne, en faisant preuve de compassion envers elle-même et envers nos collègues, car je ne vois pas le système changer pour nous de sitôt.

Références

Association des infirmières et infirmiers du Canada. Code de déontologie des infirmières et infirmiers autorisés, 2017. Tiré de Déontologie - Association des infirmières et infirmiers du Canada

Dyess, S., Prestia, A., Marquit, D. et Newman, D. « Self-care for nurse leaders in acute care environment reduces perceived stress: A mixed-methods pilot study merits further investigation », Journal of Holistic Nursing, 36(1), 2018, p. 79–91. doi:10.1177/0898010116685655

Fakher, A. « Reductionism + nursing devaluation syndrome: The triggers behind the mass exodus of nurses », Linkedin, 2024. Tiré de https://www.linkedin.com/pulse/reductionism-nursing-devaluation-syndrome-triggers-fakher-bsn-rn--dyh3f/

Havaei, F., MacPhee, M. et Dahinten, V. « RNs and LPNs: Emotional exhaustion and intention to leave », Journal of Nursing Management, 24(3), 2016, p. 393–399. doi:10.1111/jonm.12334

Havaei, F., MacPhee, M., Ma, A., Gear, A. et Sorensen, C. A provincial study of nurses’ COVID-19 experiences and psychological health and safety in British Columbia, Canada: Final report, 2020a, doi:10.14288/1.0394563

Havaei, F., MacPhee, M., McLeod, C., Ma, A., Gear, A. et Sorensen, C. A provincial study of nurses’ psychological health and safety in British Columbia, Canada: Final report, 2020b, doi:10.14288/1.0391985

MacPhee, M., Dahinten, S. et Havaei, F. « The impact of heavy perceived nurse workloads on patient and nurse outcomes », Administrative Sciences, 7(7), 2017, p. 1–17. doi:10.3390/admsci7010007

Rushton, C., Batcheller, J., Schroeder, K. et Donohue, P. « Burnout and resilience among nurses practicing in high-intensity settings », American Association of Critical Care, 24(5), 2015, p. 412–421. doi:10.4037/ajcc2015291

Organisation mondiale de la Santé. WHO global report on traditional and complimentary medicine 2019., juin 2019. Tiré de https://www.who.int/publications/i/item/978924151536


Kate Shelest, inf. aut., B. Sc. inf., M.A. Santé intégrale, est infirmière en soins holistiques, en encadrement et en consultation certifiée CIINDE et conseillère auprès de la cohorte étudiante. Elle est également membre du conseil d’administration et ancienne présidente de l’Association canadienne des infirmières et infirmiers holistiques.

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