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Leçons apprises
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Le modèle POD a permis de normaliser les soins aux patients et les pratiques afin de mieux planifier les activités de l’urgence. On note maintenant moins de fluctuations au cours d’une journée malgré un nombre accru de visites de patients et un sous-effectif du personnel infirmier. En effet, le service d’urgence a pu fonctionner en offrant des soins de qualité, malgré la pénurie d’IA.
Messages à retenir :
- S’assurer d’une bonne collaboration avec le travail interprofessionnel, et que chaque membre du personnel puisse travailler au maximum de ses capacités;
- Une bonne communication entre tous les acteurs du réseau est un aspect clé;
- Lorsque l’organisation est alignée vers un but commun, on peut arriver à mettre en place des changements de qualité malgré des situations non idéales.
La pénurie de travailleurs de la santé, notamment d’infirmières et infirmiers autorisés (IA), se fait sentir dans plusieurs établissements de soins de santé au Canada. Situé dans la région de la capitale nationale, l’Hôpital Montfort a fait face et continue de faire face à des défis majeurs de recrutement et de rétention de cette catégorie de professionnels de la santé. Cette pénurie est devenue encore plus marquée dans le contexte de la pandémie où les travailleurs de la santé ont dû s’absenter ou ont quitté le secteur de la santé. Le taux de roulement des IA de l’Hôpital Montfort est passé d’environ 6 % en 2020 à plus de 16 % en 2022. Il était donc urgent de trouver une façon différente de prodiguer les soins en vue de répondre aux besoins des patients.
Dans un premier temps, nous avons remarqué que les professionnels de la santé ne pratiquaient pas toutes et tous au plein potentiel de leur champ d’exercice, ce qui s’avérait donc une piste de solution pour alléger le quotidien des IA (Déry, D’amour et Roy, 2017). Par ailleurs, certaines IA entreprenaient des activités qui pouvaient être accomplies par d’autres catégories de professionnels. De plus, nous avons noté dans la littérature scientifique que la pratique interprofessionnelle pourrait offrir une occasion de pallier au déficit des ressources humaines en permettant l’amalgame des compétences et d’expertises variées des professionnels (Nancarrow et coll., 2013).
À l’aide de cette prémisse, l’urgence de l’Hôpital Montfort a élaboré un modèle de soins basé sur cette approche en suivant un processus d’amélioration de la qualité. Cet article a pour but de faire part des efforts déployés pour mettre en place ce nouveau modèle de soins interprofessionnel et collaboratif qui a permis d’optimiser le travail du personnel infirmier et d’améliorer la prise en charge des patients.
Description détaillée de la façon dont l’innovation a influencé la pratique infirmière
De l’élaboration du concept lié au modèle à la mise en œuvre
Le processus de changement a débuté il y a environ deux ans. Pour concevoir ce nouveau modèle, la réflexion a d’abord porté sur les causes du problème et ensuite sur des stratégies permettant d’embaucher d’autres types de professionnels réglementés et de personnel de soutien non réglementé pour soutenir les IA dans leurs activités cliniques. En ce sens, nous avons procédé à une revue sommaire de la littérature pour relever les antécédents en termes de pratiques optimales interprofessionnelles. De plus, nous avons effectué un sondage pour savoir comment les autres hôpitaux au pays arrivaient à atténuer les activités cliniques des IA en rehaussant la pratique des thérapeutes respiratoires. À la lumière de ces démarches, il s’est avéré que les thérapeutes respiratoires n’exerçaient pas au maximum de leur pratique à l’urgence et que les équipes de soins bénéficieraient d’un apport supplémentaire de leur part.
Des activités préalables aux interventions ont d’abord été mises sur pied. L’objectif premier était de sensibiliser les membres du personnel sur cette nouvelle façon de rehausser le champ d’exercice existant de façon sécuritaire. Ainsi, nous avons mis l’accent sur l’importance de la communication entre le médecin, le personnel infirmier, le thérapeute respiratoire, ainsi que le paramédical et sur l’importance de la participation de tous les membres de l’équipe; le médecin, le personnel infirmier (IA et IAA, infirmières et infirmiers venant de recevoir leur diplôme, thérapeute respiratoire, aide-soignante, le paramédical, commis et préposée au personnel). Nous avons organisé plusieurs réunions hebdomadaires avec tout le personnel du service afin de générer des idées d’amélioration des soins. Enfin, nous avons dressé un plan d’action en fonction des idées de solutions mises en priorité. À l’aide de la méthodologie « LEAN », nous avons élaboré un nouveau concept lié au modèle de soins, de type POD. Les POD sont des mini-urgences au sein de l’urgence, composés de petits groupes de professionnels de la santé et du personnel de soutien (médecins, IA, IAA, thérapeutes respiratoires, aides-soignantes, paramédical, commis, préposés, etc.) qui s’entraident pour fournir les soins aux patients. La prise en charge devient donc un travail d’équipe où les activités sont mises en commun et où un nombre déterminé de patients est assigné à chaque POD, qui est autonome.
Afin de comprendre les incidences de la structure POD sur la communication, nous avons élaboré un modèle théorique. Si on prend en exemple 21 civières, trois médecins et quatre membres du personnel infirmier, ainsi qu’une assignation aléatoire des civières, on estime qu’il y pourrait y avoir plus de 177 000 interactions possibles (voir figure 1).
Figure 1
Réseau de communication : 177 243 combinassions possibles
En revanche, avec un regroupement de type POD, le nombre d’interactions peut passer à 144 combinaisons (voir figure 2). Ce résultat coïncide avec quelques faits décrits dans la littérature (Gavin et Peterson, 2017; Pod-and-Huddle ED Model Speeds Processes, 2015).
Figure 2
Réseau de communication : 144 combinassions possibles
Pour évaluer les modèles de communication et de déplacement qui sont démontrés dans les figures ci-haut, nous avons choisi un scénario et utilisé une analyse combinatoire pour démontrer les possibilités. Dans la figure 1, le premier médecin peut se rendre à sept civières parmi les 21 disponibles, le deuxième médecin peut se rendre à sept civières parmi les 14 et le dernier médecin peut se rendre vers les sept civières restantes. Du côté du personnel infirmier, le nombre de combinaisons possibles prend aussi de l’ampleur. Les combinaisons des déplacements des médecins en plus de celles des membres du personnel infirmier totalisent plus de 177 000 possibilités de différentes interactions entre médecins, personnel infirmier et patients.
Cependant, dans un modèle amélioré comme le POD de la figure 2, ces nombres d’interactions passent à 144, car chaque médecin et membre du personnel infirmier peut seulement se rendre à un des trois POD. Ce fait est important, car chaque déplacement représente du temps perdu. Le modèle de la figure 2 est donc plus efficace.
La réflexion à la base du recours à cette méthodologie était de diminuer les sources de gaspillage; par exemple le surplus de mouvements du personnel au sein d’un service ou la perte de talents (non-utilisation des compétences d’un membre de l’équipe à leur plein potentiel). L’élément de proximité du patient assigné dans un POD a permis de modifier la charge de travail des IA, par exemple les déplacements inutiles d’une section à l’autre de l’urgence se retrouvaient éliminés.
Un autre exemple d’efficacité du modèle a été au niveau du rehaussement des activités des thérapeutes respiratoires. Par exemple, ils ont pris sous leur charge l’évaluation des tests de marche pour prévenir les chutes en ce qui a trait aux oxymétries à l’effort. De plus, le rôle du paramédical à l’urgence a été intégré au sein de l’équipe afin d’appuyer la prise en charge de patients en attente de débarquement d’ambulances et de réaffectation des IA vers d’autres activités. Il est à noter que le rôle des membres du personnel de soutien non réglementé a aussi été revu afin de leur permettre de puiser au maximum dans leur champ d’expertise et de pallier le manque d’IA. Nous avons élaboré une formation ciblée pour la documentation de certaines activités dans le dossier médical électronique. Le transport des patients et les transferts vers les unités de soins sont bonifiés par la présence du préposé et de l’aide-soignante. Le paramédical a ainsi été intégré au sein de l’équipe soignante et y contribue grandement.
Des rencontres fréquentes ont été tenues pendant tout le processus pour passer en revue les enjeux et tenir compte des points positifs et des aspects devant être améliorés. Le personnel en jeu a également pris part à des séances de formation afin de renforcer ses capacités en vue de l’accomplissement de certaines activités cliniques. Ce concept a facilité l’intégration de ces membres du personnel à l’urgence et ainsi allégé la charge de travail des IA.
Résumé des résultats
Impact et succès
Il est impératif de mentionner que tout le succès revient aux membres du personnel de l’Hôpital Montfort de tous les niveaux (des membres de la direction jusqu’aux commis) qui ont été flexibles aux changements. L’engagement des membres du personnel, notamment les thérapeutes respiratoires, a été essentiel pour appuyer le personnel infirmier et pour éviter des bris de services à l’urgence. De plus, la contribution des gestionnaires et des autres dirigeantes et dirigeants pour véhiculer des messages cohérents sur l’implantation du modèle et sa valeur ajoutée a été primordiale dans la gestion du changement. L’établissement progressif d’une communication efficace non seulement entre les membres du personnel, mais aussi avec les patients a été pertinent pour le continuum des soins.
Les retombées du modèle peuvent être examinées selon deux angles. D’abord au niveau des membres du personnel où s’est installé un esprit d’équipe et d’entraide au moment où la situation était particulièrement fragile. La complémentarité des expertises s’est révélée tangible et un climat de communication s’est établi entre les membres du personnel. De plus, l’engagement des membres du personnel infirmier qui ont accepté une redistribution de leurs tâches dans l’unique but de répondre aux besoins des patients a définitivement eu un effet positif au niveau de leur climat de travail et a permis de diminuer la surcharge de travail. Le personnel infirmier est en mesure de mieux gérer le triage et reconnaît le rôle accru duparamédical à l’urgence, ainsi que du thérapeute respiratoire dans la prise en charge de certains patients. La charge de travail est maintenant partagée.
Ce travail d’équipe a créé une mise en commun des expériences, ce qui fait que les membres de l’équipe soignante ont acquis de nouvelles connaissances et intégré de nouvelles expertises. Ils ont été mieux reconnus pour leurs capacités et leurs compétences, ce qui a accru la reconnaissance de leur expertise.
Pour ce qui est de l’hôpital, ce modèle a permis de normaliser les soins aux patients et les pratiques afin de mieux planifier les activités de l’urgence. On note maintenant moins de fluctuations au cours d’une journée malgré un nombre accru de visites de patients et un sous-effectif du personnel infirmier. Les membres du personnel sont également plus motivés, ce qui contribue à la rétention du personnel. Nous avons noté une stabilisation entre le nombre de départs et le nombre de personnes embauchées au sein de l’établissement. Avant le début du projet, l’urgence comptait 42 % de postes vacants en pratique infirmière.
Les défis
La mise en place de ce modèle a engendré un changement de mentalité et de culture. La communication a dû être renforcée pour mieux faire comprendre les rôles de chacune et chacun et la délégation des tâches. Nous avons organisé des formations de perfectionnement pour mettre à niveau le nouveau personnel à l’urgence, c’est-à-dire le thérapeute respiratoire, le paramédical, le préposé, l’aide-soignante et le personnel infirmier, car comme la plupart n’avaient pas travaillé préalablement à l’urgence, il leur a fallu un certain temps d’adaptation.
Nous tenons à signaler que, même si ce nouveau modèle a pris quelques années à élaborer, l’Hôpital Montfort a réalisé l’implantation du concept en l’espace de deux mois durant la pandémie. Malgré un échéancier très serré, les attentes ont été claires afin d’assurer que le personnel soignant et le personnel administratif puissent réaliser cet exploit.
Perspectives et pérennisation
Ce modèle interprofessionnel et collaboratif est maintenant bien en place et restera désormais le nouveau modèle de soins à l’urgence. Les prochaines étapes sont de poursuivre la formation du personnel pour renforcer les aptitudes et optimiser ce modèle en continuant à intégrer d’autres membres de disciplines différentes, tels que l’ajout d’un(e) physiothérapeute, d’un(e) pharmacien(ne) ou d’un(e) technicien(ne) en pharmacie. Ultimement, les principes directeurs qui en découleront seront utilisés afin de disséminer ce modèle dans d’autres services et chaque secteur s’y adaptera au moyen des principes LEAN. Nous en sommes à l’évaluation post-implantation. L’Hôpital Montfort, en tant qu’établissement universitaire, demeure à l’affût pour ce qui est de trouver des solutions novatrices afin de prodiguer des soins de qualité aux patients et d’attirer les professionnels de la santé.
Remerciements
Il est important de mentionner que la réussite de ce changement dans le modèle de soins est attribuable à des acteurs clés de l’organisation. Des remerciements s’imposent à Sara Leblond, Alberto Ramirez, Nicholas Comeau, Dominic Séguin, Valérie Dubois-Desroches, Julie Boulianne, le Dr Francis Dubé, et toute la grande équipe des membres du personnel de l’urgence : commis, personnel infirmier autorisé, personnel infirmier auxiliaire autorisé, thérapeutes respiratoires, médecins, aides-soignants, préposé(e)s et tous les autres professionnels de la santé et le personnel de soutien, ainsi que l’équipe de gestion de projets et l’équipe de la pratique professionnelle. Merci de vos efforts et de votre soutien, vous pouvez être très fiers de votre travail.
Un merci également à l’Institut du Savoir Montfort pour son soutien, tout particulièrement à Marie-Junelle Jean-François Michel ainsi que Miryam Duquet, sans qui la rédaction de cet article n’aurait pas été possible.
Références
Déry, J., D’Amour, D. et Roy C. « L’étendue optimale de la pratique infirmière », Perspective Infirmière, 14(1), 2017, p. 51–55.
Gavin, N. et Peterson, K. « Team-based pod system reduces lengths of stay for treat-and-release patients », ED Management, 29(6), 2017, p. 67–69.
HealthManagement. Pod-and-huddle ED model speeds processes, 23 novembre 2015. Tiré de https://healthmanagement.org/c/hospital/news/pod-and-huddle-ed-model-speeds-processes
Nancarrow, S. A., Booth, A., Ariss, S., Smith, T., Enderby, P. et Roots, A. « Ten principles of good interdisciplinary team work », Human Resources for Health, 11, 2014, p. 19. doi:10.1186/1478-4491-11-19
Les auteurs de cet article travaillent tous pour l’Hôpital Montfort à Ottawa.
Josette Roussel, inf. aut., M. Éd., M. Sc., FACSI, est vice-présidente associée, soins aux patients et cheffe de direction des soins infirmiers.
Patrice Lampron, inf. aut., B. Sc. inf., est gestionnaire clinique de l’urgence.
Natalie Ladouceur, inf. aut., B. Sc. inf., M. Sc. inf., est directrice de la pratique professionnelle.
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